31 mai 2011

Les trous béants du mur de Royal de Luxe

Le Mur tombé du ciel place de la Bourse procède d’une idée amusante et sa réalisation est plutôt sympathique. Mais qui donc a choisi la cinquantaine de Nantais représentés ? On dirait un résumé hâtif de l’introduction du Petit Futé ou du Guide du routard et d’un ou deux livres de Stéphane Pajot lus trop vite. Du digest mal digéré.

D’abord, le mur ne montre qu’une cinquantaine de personnages identifiés et non les trois cents, puis deux cents, qu’on nous avait promis. Le reste est formé de simples figurants. Remboursez ! Et encore, sur ce mur censé représenter des « personnages historiques, pittoresques, sites et événements de la cité de Nantes » figurent plusieurs quidams qui n’ont strictement rien à voir avec Nantes.

Diego Rivera, passe encore : le mur est censément inspiré des œuvres de ce peintre officiel mexicain, comme si les fresques à personnages ne dataient pas de l’Antiquité. Mais Frida Kahlo ? « Elle fut l’amante puis l’épouse de Diego Rivera », indique le dépliant explicatif du mur. Parce que Monsieur y est, Madame devrait y être aussi ? Voilà Royal de Luxe bien respectueux du conformisme bourgeois. « Le pape du surréalisme André Breton fut l’un de ses amis et admirateurs », dit aussi le dépliant. La réciproque n’est pas vraie. Revenant d’un séjour à Paris, Frida Kahlo traitait les surréalistes de « hijos de puta ». Pour en finir avec les Mexicains, Zapata n’a évidemment aucun rapport avec les personnages historiques et pittoresques de Nantes – mais on nous a quand même épargné ses vingt-sept épouses.

Guy Môquet, qu’on voit dans le fond face à un peloton d’exécution, n’a qu’un rapport indirect avec Nantes : Parisien, il a été emprisonné et fusillé à Châteaubriant. Il n’était que l’un des Cinquante otages : pourquoi n’avoir pas représenté aussi les quarante-sept autres ? Et avant tout les Nantais fusillés à Nantes (Paul Birien, Joseph Blot, Frédéric Creusé, Michel Dabat, Alexandre Fourny, Léon Jost…). Et pourquoi pas, tant qu’on y est, Gilbert Brustlein qui, en tirant sur Karl Hotz le 20 octobre 1941, déclencha le drame entier ? Toujours au chapitre des exécutions capitales, Gilles de Rais est sur le mur, mais pourquoi pas Charette, Chalais, Landais, Pontcallec, Montlouis, Talhouët, du Couëdic ?

Anne de Bretagne est là, heureusement, mais pourquoi pas son père François II, dernier duc de Bretagne ? Elle est accompagnée de son mari le roi Louis XII, toujours selon la logique des couples légitimes sans doute, mais pourquoi pas de Charles VIII, auquel elle a tout autant été mariée ? Saint Gohard est là aussi, mais pourquoi pas saint Donatien et saint Rogatien, saint Félix, saint Martin ?

Bien entendu, Jean-Luc Courcoult ne s’est pas oublié. Il n’a pas non plus oublié ses bienfaiteurs Jean-Marc Ayrault et Jean Blaise et y a même ajouté Alain Chenard (!) pour faire bonne mesure. Mais on s'étonne de ne pas voir Jean-Louis Jossic, ni Tri Yann collectivement ; ils laisseront pourtant plus de traces que les susdits dans l’histoire culturelle de Nantes.

On n’en finirait pas d’énumérer les absences inexplicables. Où sont par exemple, pour citer des domaines différents, Louis Juchault de Lamoricière (qui aurait pourtant eu de l’allure en zouave pontifical), Sophie Trébuchet, Mériadec Laënnec, les frères Cacault, Jean-Baptiste Ceineray, Evariste Luminais, Jean-François de Nantes ? Avec un minimum de culture historique, ou simplement de documentation, le mur de Royal de Luxe aurait sans peine comporté les trois cents Nantais initialement promis.

10 commentaires:

  1. Quel dommage en effet que les créateurs aient cru "utile" de combler les vides par des figurants! La concertation avec les historiens et/ ou les passionnés n'a pas du avoir lieu pour oublier tant de noms moins connus qui auraient pu attiser la curiosité de beaucoup...

    Une question me brule les lèvres : Sven, de quelle source avez-vous appris l'arrivée du mur en premier?

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  2. Désolé de vous décevoir : sans chercher à rouler des mécaniques, je n'ai pas bénéficié de source particulière. La création du mur n'était pas étonnante, d'ailleurs. Puisque le spectacle de Nantes devait reproduire celui de Guadalajara, le mur était aussi prévisible que l'accident de la petite géante ou le bloc de glace d'El Xolo. C'est comme un film déjà vu en VO, si vous voulez !

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  3. L'économie est assez absente. Difficile aussi de faire des choix. Jean-Joseph Régent est décédé depuis peu. Il aurait pu en être. Sans parler des grands noms de l'agro-alimentaire, de la conserverie, des chantiers

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  4. Oui, en effet, Jean-Joseph Régent aurait pu figurer sur le mur, ou encore Emile Decré, Jean Lefèvre et Pauline Utile et/ou Louis Lefèvre-Utile (même si le mur montre le Véritable petit beurre et la Tour LU, le marquis de Dion, Louis Babin-Chevaye, Pierre Dubern, etc. Il manque aussi des sportifs, à commencer par Eric Tabarly.

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  5. Markis de Verre2 juin 2011 à 07:49

    On peut également se poser la question du pessimisme suggéré par le "remplissage forcé" de ce mur.
    N'aurait-il pas été intéressant d'illustrer le fait que Nantes possède un passé riche (c'est illustré), un présent animé (c'est illustré, sous l'axe "artistique et bienfaisant"), mais également un futur certainement prometteur ?

    On aurait pu pour cela laisser quelques espaces libres, un peu de place pour les copains qui passent comme le chantaient les Elmer Food Beat, nantais eux aussi.

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  6. ...et qui en effet auraient bien eu leur place sur le mur eux aussi, comme les Tri Yann ! Mais je ne partage pas tout à fait votre avis sur le "remplissage forcé", comme le dit mon post d'aujourd'hui.

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  7. Que de critiques...
    Vous ne parlez pas de l’affluence, assez impressionnante tout de même, à la prestation de Royal de Luxe?
    Surement car les chiffres vous contredisent sur ledit spectacle...

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  8. Que de critiques certes... Mais faites-en le reproche à Royal de Luxe, qui a fait de son mieux pour les mériter ! J'ai parlé du chiffrage du public dans un autre post.

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  9. C'est ça la nouvelle "culture" de Nantes, la culture de rue, pleine de lacunes et qui coûte ! Alors qu'il faudrait tant de personnel supplémentaire dans la vraie culture, au moins bibliothèque et archives municipales. Tant que les gens préféreront s'agglutiner dans les rues au lieu d'aller s'instruire, évidemment c'est mieux de dépenser l'argent dans la rue !

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  10. Il faut de tout pour faire un monde, la culture de rue est tout de même de la culture à un certain degré. Avec Royal de Luxe, cependant, on se demande si elle n'a pas fini par devenir surtout du business de rue. Il n'y a pas plus d'imagination dans un spectacle de Royal de Luxe que dans un seul char du Carnaval (ou de la Mi-carême, comme on disait autrefois), mais il y a considérablement plus d'argent public et encore plus de communication, relayée par le choeur des admirateurs inconditionnels de la municipalité nantaise. Et pas grand monde pour dire que le Roy(al de Luxe) est nu ! (Notez bien que je n'ai quand même pas écrit "nul".)

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