06 avril 2012

Le Mémorial de l'abolition de l'esclavage et la langue de bois d’ébène

À en croire l’historiographie municipale officielle, les Nantais ont effacé la traite atlantique de leur mémoire. Depuis vingt ans, on nous l’a dit et redit sur tous les tons : Nantes a occulté son passé, Nantes ne voulait pas voir la vérité en face, etc. Aujourd’hui, c’est écrit sur le site web du Mémorial :

"En 1848, après de longs combats, est votée l’abolition de l’esclavage, en grande partie grâce au combat mené par Victor Schœlcher. Nantes tourne la page mais, entre cynisme et mauvaise conscience, elle est recouverte du manteau du silence et de l’oubli.
Il faut attendre les années 1990 pour que des Nantais entament avec la Municipalité une démarche volontaire pour regarder l’histoire en face."

"Cynisme et mauvaise conscience" : c’est écrit en toutes lettres sur ce site payé par les Nantais eux-mêmes. Or c'est faux.

Bien entendu, nul n’a (ou n’avait jusqu’à ce jour) considéré la traite comme le fait majeur de l’histoire de la ville. L’histoire d’autrefois était d’abord événementielle : on s’intéressait aux guerres, aux couronnements, aux traités bien plus qu'aux activités économiques. Et puis, tout le monde cultive de préférence les souvenirs glorieux.

Néanmoins, les grands classiques de l’histoire de Nantes, y compris ceux d'auteurs nantais, ont toujours signalé le commerce triangulaire, parfois de façon très détaillée. C’est le cas des Annales de Nantes de F.C. Meuret (1830), du Dictionnaire historique, géographique et topographique de Nantes de J.F. Macé de Vaudoré (1836), des Archives curieuses de la ville de Nantes et des départements de l'Ouest, de F. J. Verger (1838), des Essais historiques sur la ville de Nantes et de l’Histoire de Nantes d’Ange Guépin (1832 et 1839), de Du commerce de Nantes de E.B. Le Bœuf (1857),  de Nantes ancien et le pays nantais de Charles Dugast-Matifeux (1879), de La Course et les corsaires du port de Nantes de Stéphane La Nicollière-Teijeiro (1896), de Les Anciens corps d'arts et métiers de Nantes d'Edouard Pied (1903), de Nantes, port maritime & port fluvial de Jacques Dagault (1905), de Le Commerce de Nantes et la révolution de Marcel Treille (1908), de Nantes au 18e siècle, l’ère des négriers de Gaston Martin (1931), de Nantes du vicomte Hervé du Halgouët (1939), de Les Derniers négriers de Louis Lacroix (1952, 1967, 1977), de Histoire de Nantes de Paul Bois (1977), de Nantes de Jean Mettas (1978), de Histoire d'une ville et de ses habitants d'Emilienne Leroux (1984), de Nantes de Paul-Louis Rossi (1987), de Nantes et le Pays nantais et Nantes et le temps des négriers d’Armel de Wismes (1978 et 1983). Excusez du peu : cette liste vite faite est sûrement incomplète.

Tous les Nantais qui ont visité le musée des Salorges installé au château des ducs de Bretagne à partir de 1955 et pendant près d'un demi-siècle peuvent en témoigner : loin d’être dissimulée, la traite y était clairement signalée et illustrée. Elle a aussi été plusieurs fois évoquée dans les revues historiques locales comme le Bulletin de la Société archéologique de Nantes et les Annales de Nantes et du Pays nantais. Et également dans quelques romans où Nantes est mise en scène comme Les Négriers de Jean Lainé (1970) ou des biographies comme Le Roman de Sophie Trébuchet de Geneviève Dormann (1982). Elle a toujours été signalée dans les guides touristiques (p. 470 dans le Guide bleu Bretagne de 1977, par exemple).

Les auteurs de la présentation officielle du Mémorial ignoraient-ils tout cela ? Si c’est le cas, ce n’est pas brillant. Mais sinon, la "démarche volontaire" entamée par la Municipalité pour "regarder l'histoire en face" vise au contraire à la regarder de travers ! Vous avez dit "cynisme" ?

3 commentaires:

  1. Jean-Marc Ayrault voudrait que Nantes ait commencé avec lui ! On dirait que rien n'existait avant son élection. Vous l'aviez déjà montré à propos de la "belle endormie".

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  2. L'argent des contribuables ou l'argent des Nantais sert à un faire valoir des élus... Ils se font plaisir et font plaisir à ceux qui remportent le marché..
    Au lieu de s'occuper de l'insécurité croissante et l'incivisme permanent eh non on pavoise et on fait de l'esbroufe...
    Dur dur

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  3. Le Mémorial, c'est cynisme et BONNE conscience

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