05 août 2016

Qui croit vraiment à l’Arbre aux hérons ?

Je fais semblant comme ça, mais au fond, l’Arbre aux hérons dans la carrière de Miséry, je n’y crois pas beaucoup. Voici pourquoi.

  1. Quand on veut mettre en valeur la taille d’une construction, on ne commence pas par  la placer dans un trou. De Stonehenge à l’opéra de Sydney en passant par les pyramides d’Égypte, le Parthénon ou la tour Eiffel, on a toujours choisi des sites dégagés. L’affiche « officielle » de l’Arbre aux hérons conçue par Stephan Muntaner et diffusée par Les Machines de l’île représente un arbre qui flotte dans les airs sous le titre « Une cité dans le ciel » : tout le contraire d’une installation engoncée dans une ancienne carrière.
  2. Le terrain de l’ancienne brasserie mérite sûrement d’être aménagé et cette proposition n’est pas la première (ainsi, Yves Lainé suggérait d’y créer une estufa fria comme à Lisbonne). Mais sa transformation en site touristique majeur imposerait de reconfigurer les voies de circulation depuis les Salorges jusqu'à la gare de Chantenay, de créer un parking de plusieurs centaines de places et de revoir les transports en commun (presque 800 m depuis la station de tram Gare maritime, c’est trop pour beaucoup de piétons, surtout quand ils n’ont pas l’objectif en ligne de mire tout au long du chemin). Ce serait pas mal de millions d’euros à ajouter aux 35 millions de la construction de l’Arbre elle-même.
  3. L’Arbre aux hérons serait bien plus vulnérable aux intempéries que Les Machines de l’île : qui voudrait parcourir ses branches sous une pluie battante ou chevaucher un héron mécanique par grand vent à 45 m de hauteur ? Largement ouverte aux vents dominants de sud-ouest, la carrière ne le protégerait pas. Il est probable en outre qu’elle est le cadre de mouvements aérauliques locaux. Heureusement, la maquette au 1/10e  construite par Les Machines de l’île et la soufflerie climatique Jules Verne du CSTB permettent de les étudier. Ça n’a pas été fait avant la décision de Johanna Rolland ? Hoho, ça ne donne pas l’impression d’un projet bien bordé.
  4. Éloigné des Machines de l’île, l’Arbre aux hérons formerait un établissement distinct, avec peu de synergies et un risque de cannibalisation commerciale. Une partie des visiteurs seraient probablement « volés » à l’établissement principal, aggravant son déficit. Si l’Arbre attirait comme espéré 400.000 visiteurs par an (soit un tiers de moins que Les Machines de l’île, alors qu’il coûterait au minimum 75 % plus cher) et qu’on calculait son amortissement sur dix ans, comme c’est la norme, il coûterait 8,75 euros par visiteur aux contribuables nantais et autres financeurs, sans même tenir compte des frais d’aménagement du site et d’un éventuel déficit d’exploitation.
Donc, pour résumer, non, je ne crois pas que la construction de l’Arbre aux hérons soit une idée sérieuse. Mais pourquoi Johanna Rolland l’aurait-elle avancée, alors ? Là, j’ai deux hypothèses. Non exclusives l’une de l’autre.

D’abord, Madame le maire de Nantes a besoin de détourner l’attention. Le numéro de juin du bulletin municipal Nantes Passion s’ouvrait sur un éditorial signé par elle et intitulé « Le tourisme, atout majeur du territoire nantais ». L’annulation de certaine université d’été l’a mise en sérieux porte-à-faux. Comment éviter que les professionnels du tourisme ne comprennent : « le socialisme, handicap majeur du tourisme nantais » ? En faisant miroiter des lendemains qui chantent grâce à un nouvel équipement censé attirer les foules.

Ensuite, Madame le maire de Nantes a besoin de préparer le terrain. L’an prochain, elle va devoir annoncer des restrictions budgétaires à des tas de gens, ainsi que le proclamait Presse Océan samedi dernier sur toute la largeur de sa Une : « Nantes Métropole va se serrer la ceinture ». Pour atténuer les amertumes, elle devra montrer qu’elle s’impose elle aussi des sacrifices. Annoncer un grand projet pour pouvoir annoncer son abandon, croyez-vous que ce soit au-dessus de l’imagination des communicants nantais ?

8 commentaires:


  1. Ce terrain mérite peut-être d'être protégé, tel quel. Ce sont justement ces lieux non aménagés qui rendent, de loin en loin, la ville encore un peu respirable. Une vaste scène de "nature reprenant ses droits" seraient plus apaisantes qu'une énième zone hystérico-ludique ! Mais faut pas rêver...
    Ma petite proposition alternative : confier le site à un vrai artiste, un ex de Monumenta par exemple (Anselm Kiefer, Serra ou Anish Kapoor...). Un sculpteur de talent et dont la reconnaissance est réellement internationale. Histoire de créer un véritable patrimoine, qui puisse attirer la manne touristique sans trop nous faire honte. Mais faut pas rêver...

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  2. Trop de chantiers tue le chantier :

    L'oeuvre grotesque place du Bouffay, chantier inclu comme le soulignait déjà un autre @anomyme, ajoute à cette dimension estivale des fameux travaux-à-la-nantaise. La grue mobile, immobile et sur cales, a inscrit sur sa cuirasse : Il est interdit de passer sous la charge. Je souscris à ce message élémentaire de prudence. À moins qu'il ne soit interdit d'interdire ! Mais nous rappelons à nos aimables voyageurs que dans cette configuration artistique (prévue ou pas prévue par le constructeur) l'équipement de levage est en dehors de tout contrôle !

    Nos aimables visiteurs en provenance de la gare [d'Orléans] et de la terre entière terminent donc leur périple ici-là, ici-bas. Quel bonheur !

    @un nantais de nouveau honteux de l'image de sa ville, bouhou hou...

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  3. Pierre Giroire (pierre@giroire.net)6 août 2016 à 13:48

    De jeunes artistes de la région nantaise qui avaient exposé leurs oeuvres dans le cadre de l'expo-Randonnée Landes'Art* à Notre Dame des Landes, m'avaient demandé de les aider à préparer un dossier sur leur projet d'expo collective sur ce site dans le cadre de l'expo Estuaire avec diverses animations. Nous avions élaboré un dossier "en béton" avec une estimation précise des coûts ( environ 30 000 € tout compris)des notes sur la sécurisation des parois rocheuses et leur utilisation pour y poser des installations artistiques, un coin pique-nique avec un bar (idée reprise sur l'Ile de Nantes)le stationnement etc. Nous avons très rapidement reçu un refus, je ne suis même pas sûr qu'on ait lu notre dossier. Cette idée qui colle parfaitement au site pourrait être reprise pour une utilisation permanente du lieu avec un coût dérisoire par rapport à l'arbre aux hérons qui tient plus du disneyland que de la démarche artistique. Nul besoin non plus de faire appel à des artistes internationaux "reconnus" dont le faire savoir sert de savoir faire comme l'individu qui nous a livré un pitoyable plagiat de Calder place du Bouffay donc pas de "Jeffkooneries chez nous ! Notre région regorge de jeunes talents dont beaucoup survivent avec le RSA.
    * J'ai été un des co-créateurs de cette expo. 5 km de ballade dans la campagne entre champs et bosquets avec des oeuvres d'artistes professionnels, amateurs, d'enfants des écoles et d'habitants de Notre Dame des Landes et des environs qui essaient la création artistique. L'expo dure tout l'été jusqu'à fin septembre.

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  4. Je persiste : ce site mérite d'être protégé, tel quel. Mais s'il faut à tout prix en faire quelque chose, autant en faire quelque chose de bien (de bien mieux que bien, en fait).
    J'ai évoqué Anselm Kiefer, Richard Serra et Anish Kapoor, parce que ce sont de très grands artistes et qu'ils ont montré, à l'occasion de Monumenta, leur capacité à répondre au défi posé par l'immensité du Grand Palais, là où d'autres invités (Buren, Boltanski, etc.), tout aussi "reconnus", ont échoué. Et il est évident que l'Arbre aux hérons, du fait de ses faiblesses "esthétiques" propres (de trop grosses bestioles sur de trop frêles structures) et de sa bêtise, ne mérite pas un tel écrin - abstraction faite de la dimension économique du projet, qui me semble très bien évaluée par Sven Jelure.
    Votre nom étant lié à l'opposition au projet de nouvel aéroport, vous êtes un ennemi déclaré ; c'était perdu d'avance. Les artistes qui se sont liés à vous se sont peut-être "grillés", du point de vue des subventions (Dallas, ton univers impitoyaâââble...). Qui paie commande : pour être libre (relativement), ne jamais rien demander. Et pour obtenir quelque chose, se soumettre (pas relativement, mais absolument). Proposer un projet au Van, ou à Estuaire, c'est tacitement approuver leur philosophie touristique-consumériste - et les avions qui vont avec. A vouloir jouer sur les deux tableaux, on perd en intégrité sans garnir son compte en banque.
    Par ailleurs (pardonnez-moi pour ce que je vais écrire), une multitude de petites oeuvres sympas, réalisées par une multitude d'artistes "professionnels", d'amateurs, d'enfants des écoles et d'habitants des environs, des quartiers, de militants associatifs, de migrants et de babas toujours cools et de piques niqueurs toujours sympas, cela me laisse a priori perplexe, pour le site de la carrière. Mais si vous avez Robert Smithson, je suis preneur !
    J'oubliais : Robert Smithson est mort, et je ne suis pas propriétaire du site...

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  5. Abre aux hérons... aux hérons... Putain, pourquoi des hérons ? Pourquoi pas des cigognes, des vautours, des gypaètes barbus, des perroquets, des mésanges géantes, des moineaux devenus immenses après avoir niché près d'une centrale nucléaire... que sais-je ?
    Avec des condors on pourrait même ressuciter la vieille blague potache des internats :
    - Tu sais comment s'appelle la femelle du condor ?
    - ...
    - Le dortoir !
    - Comment ça ?
    - Ben oui, c'est là qu'on dort ! (LA condor, pour ceux qui seraient un peu bouchés).
    Et toc pour les hérons... et ron et ron... petites patt' d'hérons !

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  6. Pourquoi des hérons ? Mais c'est évident ! Les Machines de l'île se prétendent héritières de Jules Verne et de Léonard de Vinci. On aurait du mal, je pense, à trouver des hérons dans l'oeuvre du second. Mais il y en a quelques-uns chez Jules Verne. Dans son roman posthume "L'Etonnante aventure de la mission Barsac", il décrit un engin métallique colossal qui "ressemble beaucoup à un héron colossal perché sur une patte", avec "un pylône en treillis métallique haut de quatre à cinq mètres" et à son sommet "deux ailes en métal brillant, d’une envergure totale de six mètres environ". Il s'agit en fait d'un planeur, d'où bien sûr le thème de la cité aérienne repris sur l'affiche de Muntaner.
    L'engin de Jules Verne est au service du sinistre dictateur Harry Killer, mais là, toute ressemblance avec des édiles réels serait purement fortuite.

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  7. A Sven Jelure : merci de la précision concernant Jules Verne et les hérons. Je ne connais pas "L'étonnante aventure de la mission Barsac", je vais chercher !

    Je ferai deux remarques :
    1) l'affiche "Une cité dans le ciel" ne se réfère nullement à Jules Verne, à mon humble avis. C'est tout juste un arbre flottant dans l'air avec ses racines et la motte de terre qui le supportait.
    2) Il existe déjà un musée Jules Verne et... presque personne n'en parle ! Il est vrai que son accès n'est pas des plus commodes et il n'est même pas indiqué par des panneaux (ou alors je ne les ai pas vus).

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  8. Oui, il existe ! Pour ceux pour qui la marche est le moyen de locomotion typique du néolithique (un mauvais souvenir à oublier, de même que la hache de pierre pour gérer les conflits de voisinage...), prendre le C1, arrêt Lechat, et finir en taxi (il reste encore une bonne centaine de mètres à parcourir). Ce Musée est une petite merveille d'absence de moyen, de désuétude et de bricolage pas vraiment réussi. Il l'était encore il y a quelques années, en tout cas. Un moment de poésie "banaliste", provinciale, que les prétentieuses animations de l'été nous feraient (presque) aimer !

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