21 mai 2025

« Liberté, égalité, féminité », devise nantaise

La Ville de Nantes poursuit depuis quelques années « une politique de féminisation des dénominations de voies et d’équipements publics » : autrement dit, une politique de discrimination sexuelle. Le dire n’est pas politiquement correct, bien entendu, mais c’est l’évidence même. La municipalité nantaise, l’effectif de Nantes Métropole en est la preuve, n’est pas sexuellement égalitaire. 

Les noms de rue, à Nantes comme ailleurs, proviennent de lieux-dits (rue du Bois-Tortu…), de destinations géographiques (quai des Antilles…), de villes (rue de Strasbourg…), d’événements (esplanade des Victimes des bombardements des 16 et 23 septembre 1943…), de particularités géographiques (quai de la Fosse...), de professions (rue des Cap-Horniers…), d’industries (rue de la Brasserie…), d’institutions religieuses (rue du Chapeau-rouge…), de concepts pieux (boulevard de l’Égalité…), d’animaux (rue des Grenouilles…), de végétaux (rue des Clématites…), de lieux de batailles (rue de Valmy…), de nationalités (boulevard des Belges…), etc. 

Et aussi, pour un bon tiers, de personnages ‑ très majoritairement des hommes sans aucun doute. Cependant, aucun n’a été choisi en raison de son sexe. À tort ou à raison, on a retenu des artistes, des chefs d’État, des militaires, des savants, des médecins, etc. au titre d’œuvres, d’inventions, de victoires, de fonctions, etc. et pas parce qu’ils étaient des hommes. Nantes n’a même pas de rue Dieu le père. En fait, la seule voie de Nantes à porter un nom d’origine sexuée était autrefois la rue de la Rosière d’Artois.

Un peu de place aux femmes

Naguère, si l’on hésitait sur le choix d’un nom, c’était entre deux mérites, pas entre deux sexes. Les édiles nantais n’étaient pas hostiles aux femmes par principe. Il en ont honorées qui n’étaient pas des « épouses de ». Qui sait que la dédicataire de la rue Bonne-Louise était une Madame Charrier ? Le mariage n’était d’ailleurs pas une condition. Une cour Moreau, dans la rue du Moulin, a porté le nom des sœurs Moreau, qui y tenaient une école maternelle, la rue Fanny-Peccot honore une généreuse célibataire qui légua sa fortune au bureau de bienfaisance, la rue Dudrézène, commémore l’auteure de Une vie manquée : souvenirs d’une vieille fille (j’avoue un peu de provoc’, là : l’œuvre de Sophie Ulliac-Tremadeure, alias Sophie Dudrézène, comprend surtout des romans pour la jeunesse et ses articles du Journal des jeunes personnes). 

Débaptiser des rues, déshabiller l’un pour habiller l’autre ? Refuser l’hommage d’une rue à un homme parce qu’il est homme pour le donner à une femme parce qu’elle est femme ? Ce serait courir le risque d’échanger une injustice contre une autre. Mais ce ne serait pas la première fois. À Nantes, la place Cincinnatus est devenue place de la Duchesse-Anne et la rue Montaigne est devenue rue Marie-Anne du Boccage. La rue Jeanne d’Arc a amputé la rue Moquechien en 1892. En sens inverse, on a aussi vu dans l’histoire de la Ville la rue des Bonnes-sœurs devenir rue de l’Union, le passage Sainte-Anne rue Brizeux, le pont Sainte-Catherine pont d’Orléans, la rue des Saintes-Claires rue Fénelon, la place Sainte-Elisabeth rue du Marchix, la rue des Ursules rue du Lycée, la rue de la Vierge rue Pérelle, etc. On soupçonne pourtant que c’était un signe de passion politique plutôt que de répression sexuelle.

Jules Ferry dans le collimateur ?

L’odonymie est un exercice délicat. En 1946, pour faire pendant à Roosevelt et Churchill, Nantes n’a pas honoré Staline mais… Stalingrad ! Chaque époque a ses propres pudeurs et ses propres engouements, que les suivantes doivent parfois traîner comme un boulet. Aujourd’hui, à quelles voies donnerions-nous un nom de général, un nom de saint(e), un nom d’aristocrate ? Honorerions-nous Colbert, rédacteur du Code Noir, Kléber, massacreur des Vendéens, Lamoricière, conquérant de l’Algérie, André Morice, maire rad’soc’ de Nantes mais constructeur de la ligne Morice pendant la guerre d’Algérie, l’amiral Courbet, qui guerroya contre la Chine pour garder à la France sa colonie du Tonkin ? Pour limiter les dégâts, nous en sommes réduits à apposer des déclarations de repentance à côté des noms d’armateurs du 18e siècle.

Faudra-t-il systématiquement expliquer, chaque fois qu'un nom est contestable,
qu'on l'a gardé quand même afin de pouvoir "assumer" l'héritage de l'histoire nantaise ?
Et puis, à partir de quand des déclarations outrageantes doivent-elles oblitérer des mérites matériels ? Comment imaginer un dédicataire plus louable que le docteur Alexis Carrel, chirurgien de pointe et prix Nobel de médecine ? Hélas, personne sans doute dans la municipalité nantaise n’avait lu L’Homme cet inconnu, vendu pourtant à 400 000 exemplaires en France, où il faisait l’éloge de l’eugénisme… Si Alexis Carrel a été privé de son boulevard, Jules Ferry, chantre de la colonisation (« Il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures »…), conserve sa rue. Pour le moment. 

Il n'est pas toujours nécessaire d’attendre longtemps pour se mordre les doigts. Johanna Rolland se félicitait voici trois ans d’inaugurer une place Abbé-Pierre. Les édiles nantais qui imposent aujourd’hui des noms de femmes sont-ils bien certains que leurs vertus resteront impérissables ? Dans les lotissements des banlieues-dortoirs, les nouvelles voies s’appellent plutôt rue des Mésanges ou allée des Glycines. C’est la sagesse même

12 mai 2025

Est-ce le stock de noms féminins qui s’épuise à Nantes, ou plutôt le « dialogue citoyen » ?

Nantes est une fois de plus en plein dialogue citoyen – vous le savez aussi bien que moi, naturellement. Le thème du moment est : « Noms de rues, place à l’Égalité ». Il s’agit de proposer de nouveaux noms à donner aux rues de la ville. On lit bien proposer : les citoyens proposent, la maire dispose – l’Égalité a des limites. La première partie du projet s’est déroulée du 24 mars au 21 avril. Tout un chacun a pu présenter ses propositions sur le site web dédié.

Ça sent un peu le réchauffé. Nantes avait déjà lancé une consultation sur le thème « Nom de rues, place aux femmes » début 2016. L’Égalité de cette année ratisse plus large, ou moins sexiste : si l’appel municipal porte d’abord sur des « noms de femmes qui ont marqué l’histoire locale, nationale ou internationale », il accepte aussi « des noms de personnalités, peu importe leur genre, engagées en faveur de la défense des droits humains » ‑ ou en tout cas de certains droits : « lutte contre le racisme, l’esclavage, les discriminations, en faveur des droits des minorités, etc. » Une Égalité à périmètre délimité, en somme, dont les Nantais ont compris le caractère rhétorique : ils ont proposé 359 noms pour la première catégorie, 119 seulement pour la seconde.

Comment féminiser un nom de rue à  Nantes : Acte I

En 2016, la catégorie « femmes » étant seule en lice, la Ville avait reçu 1 118 réponses ! On mesure la baisse d’enthousiasme des Nantais... D’autant plus que 28 % des propositions reçues cette année (132) proviennent en réalité d’un unique contributeur stakhanoviste. Il devance de très loin la numéro deux, à qui la Ville doit « seulement » 18 % des propositions (87). Le premier a écumé Wikipédia, la seconde a surtout recyclé en copier-coller les articles de son propre blog Médiapart. Cette dernière est aussi l’auteur de la plupart des rares commentaires (une vingtaine) déposés sur le site, sous forme de renvois vers son blog. On n’est jamais si bien servi que par soi-même.

Un contributeur a proposé une douzaine de patronymes ukrainiens. Un autre avance une vingtaine de noms parmi lesquels « La Séléné du Rocher », « La Cléopâtre de Jersey » et la « Rue des femmes du 12ème art ». Dix pour cent des contributions ont été déposées in extremis, le dernier jour de la consultation. Au total, 89 personnes ont répondu à l’appel à idées, soit environ 0,027 % de la population nantaise. Pour donner l’échelle, le conseil municipal de Nantes compte 69 élus. 

Ces inconnu.e.s qui ont déjà leur rue ou leur boulevard 

L’examen des 478 idées déposées est en cours dans les services de la ville jusqu’au 16 mai. Néanmoins, le résultat est apparemment acquis d’avance puisque, annonce déjà la Ville sur le site web du débat, « plus de 350 propositions sont recevables ». De 478 à 350, pourquoi un tel taux de chute ?

Un peu parce que certains noms sont proposés en double (Mahsa Armini, Catherine Bernheim, Hypathie d’Alexandrie, Alice Milliat, Cecilia Payne, Anne Sylvestre, Harriet Tubman, Élisabeth Vigée-Lebrun ; « La Séléné du Rocher » est aussi un doublon sophistiqué pour Claude Cahun), voire en triple (Frantz Fanon, Katherine Johnson). 

Et beaucoup parce que certains contributeurs n’ont pas pigé les règles fixées. Il n’y en a pourtant que deux. D’abord, les personnalités nommées doivent être décédées depuis au moins deux ans. Ce qui exclut par exemple « Roseline Bachelot (1964-2023), ancienne ministre de la culture », née Roselyne Narquin en 1946 et bien vivante à ce jour.

Comment féminiser un nom de rue à Nantes : Acte II
Ensuite, ces personnalités ne doivent pas être déjà honorées à Nantes. On s’imaginerait que le citoyen qui propose une allée Mme Untel ou un square Melle Duchmol s’intéresse assez aux susdites pour savoir si leur nom figure sur une plaque au coin d’une rue… Eh bien pas du tout. Parmi les personnalités proposées ces jours-ci, beaucoup ont déjà été honorées par Nantes, qui a donné leur nom à

  • une rue (Maya Angelou, Susan Brownell Anthony, Florence Arthaud, Barbara, Marcelle Baron, Anita Conti, Jeanne d’Arc, Jeanne de Belleville, Olympe de Gouges, Sophie Germain, Gisèle Giraudeau, Raymonde Guérif, Caroline Herschel, Miriam Makeba, Marie Marvingt, Louise Michel, Édith Piaf, Marie-Claude Vaillant-Couturier),
  • une allée (Madeleine Brès, Claude Cahun, Jacqueline de Romilly, Isabelle Eberhardt, Adélaïde Hautval, Françoise Héritier, Claire Lacombe, Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé, Lise Meitner, Marie Pape-Carpentier),
  • une ruelle (Lilla Hansen),
  • une venelle (Alexandra David-Néel, Françoise d’Eaubonne),
  • une avenue (Christine de Pisan, Émilie du Châtelet, Alice Milliat, Joséphine Pencalet),
  • un cours (Bertie Albrecht),
  • une place (Marion Cahour, Edmée Chandon, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Paulette Nardal, Suzanne Noël, Charlotte Perriand),
  • un boulevard (Gisèle Halimi, Martin Luther King),
  • un square (Marion Cahour, Virginia Woolf),
  • un pont (Anne de Bretagne),
  • une école (Françoise Dolto, Pauline Kergomard, Louise Michel, Alice Milliat), 
  • une salle de sport (Alice Milliat).

Soit une bonne cinquantaine d’errements : la voirie n’apporte pas forcément la notoriété… (Pour être juste, l’avocat de Françoise d’Eaubonne n’ignore pas que celle-ci est déjà honorée à Nantes ; il trouve juste qu’une venelle n’est pas un hommage à sa mesure.) Ainsi, ce n’est pas seulement la quantité d’idées qui baisse, c’est aussi leur qualité. Ainsi qu'on l’a déjà vu avec d’autres consultations, par exemple à propos du pôle d’écologie urbaine, les Nantais ne croient plus guère au dialogue municipal.


Prochain billet : Liberté, égalité, féminité, devise nantaise

28 avril 2025

Par quoi remplacer le palais de justice de Nantes ?

Le sort futur du site actuel de l’Hôtel-Dieu est en discussion, mais il ne devrait pas y avoir photo : l’emplacement est idéal pour une cité judiciaire. Le palais de justice de Nantes est trop petit et ne pourrait être agrandi sans sacrifier des dizaines d’arbres. Donc c’est fichu, il faut le mettre ailleurs. La solution évidente est de le déplacer de 500 mètres vers l’autre rive de la Loire, où l’on aura dans deux ans tout l’espace voulu. La vraie question n’est donc pas « Que faire du site de l’Hôtel-Dieu » ? mais « Que faire du site du palais de justice ? »

Cet énorme bâtiment conçu en 1993 et achevé en 2000 a causé plus que sa part d’ennuis techniques. Certains le trouvent beau parce qu’il est signé d’un architecte connu, mais c’est un peu comme certains Picasso de la dernière période : la principale qualité de l’œuvre, c’est sa signature. Ceux qui le trouvent moche sont sûrement plus nombreux.


Surtout, c’est un non-sens urbanistique. Ce gros cube noir est l’antithèse de la Kaaba. On ne tourne pas autour pour l’honorer mais pour l’éviter. Il dresse un obstacle massif entre le centre-ville et un quartier qui aurait dû être celui de la création. Supprimons l’obstacle ! Et bâtissons sur ses ruines une place de la Création homothétique de la place du Commerce sur l’autre rive de la Loire.

Rien ne s’oppose à ce que les deux places soient reliées par un téléphérique. Et pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Il ne resterait qu’à prolonger le cheminement vers la pointe de l’île où un pont transbordeur déposerait les usagers à la porte du musée Jules Verne et du Jardin extraordinaire. Du délire ? Certainement beaucoup moins que de construire un CHU sur une île !

Voir article complet sur Nantes Plus :

https://nantesplus.org/hotel-dieu/

L’Hôtel-Dieu va devenir la Cité judiciaire de Nantes…












23 avril 2025

Johanna s’inquiète plus des dettes payées jadis par les Haïtiens que des dettes à payer demain par les Nantais

Commémorer, deux siècles après, la dette d'un pays étranger éteinte depuis longtemps : idée bizarre s’il en est. Johanna Rolland l’a eue cependant. Elle s’est associée à Pierre Hurmic et Jean-François Fountaine, maires de Bordeaux et de La Rochelle pour publier dans Le Monde une tribune sur l’ordonnance du 17 avril 1825 par laquelle Charles X a « concédé » à Haïti son indépendance.

La date cloche. Au 17 avril 1825, Haïti s’était libéré de facto depuis plus de trente ans et de jure depuis plus de vingt ans avec sa déclaration solennelle d'indépendance du 1er janvier 1804 ! Accessoirement, l’expédition Leclerc envoyée en 1801 par Napoléon pour reprendre le contrôle de la colonie avait été un échec sanglant. Alors, pourquoi cette ordonnance à retardement ? Parce que, Johanna Rolland semble l’ignorer, Haïti la demandait. Non pour obtenir son indépendance mais pour que celle-ci soit reconnue en droit international.


Ses dirigeants y tenaient tant qu’ils avaient proposé en 1814, en 1821 et en 1824, de verser une indemnité au profit des colons dépossédés. Ils avaient proposé spontanément 80 millions de francs et en avaient accepté 100. Charles X avait réclamé 150 millions payables en cinq fois (« sous la menace militaire », affirme la tribune municipale... alors que la France était bien incapable de faire en 1825, dix ans après Waterloo, ce qu’elle avait été incapable de faire en 1801). Les trois maires évoquent donc « le versement d’une somme de 150 millions de francs or ». Comme s’ils ignoraient – on a peine à le croire – que, après un premier paiement de 30 millions, Haïti a obtenu que le solde de la dette soit ramené de 120 à 60 millions payables sur trente-neuf années sans intérêt.

Selon le New York Times, recopié sans discussion par Johanna Rolland, la valeur actuelle des versements faits par Haïti à la France en l’espace de soixante-dix ans est de 525 millions d’euros, soit environ 350 euros par habitant, pour une population moyenne de 1,5 million d’habitants  à l’époque. Est-ce peu ou beaucoup ? À l’évidence, c’était trop pour un pays ravagé par les guerres civiles. Reste que la dette de Nantes Métropole dépassait 1 061 millions d’euros à fin 2023, soit 1 550 euros par habitant (ce qui, il est vrai, n’est pas grand-chose à côté des 49 120 euros par tête de notre dette nationale).

Voir article complet sur Nantes Plus :

https://nantesplus.org/haiti/

La mémoire haïtienne de Johanna Rolland a des lacunes

18 avril 2025

Adieu à Denise Rigot-Dessirier

 Il y a des jours où ile microcosme métropolitain paraît dénué du moindre intérêt. À quoi bon l’accabler de sarcasmes sur ses ridicules, ses petitesses et ses illusions ? La disparition de Denise Rigot-Dessirier la semaine dernière renvoie à de plus justes valeurs.

Denise était une grande poétesse. Une poétesse contemporaine aussi : l’électronique était devenue son mode d’expression naturel. Chaque jour ou presque, deux fois même certains jours, elle était présente sur Facebook. L’immédiateté du web répondait à la spontanéité de son œuvre. Oh ! comme tout un chacun, elle aspirait à la chose imprimée, elle y voyait une sorte de bâton de maréchal, elle espérait qu’un éditeur la découvrirait, qu’un jour son princeps viendrait. Chez Stellamaris, elle avait publié L’Enclos des jours ; ce joli recueil était aussi un enclos des pages. Elle, si sensible aux « cloches lourdes dans le soir ténébreux », à « l’ombre solitaire d’un arbre qui semble attendre un bout d’éternité », au « jardin secoué par l’orage », au « matin colorié comme un dessin d’enfant », ne pouvait être parfaitement servie par une encre figée.

Son talent à fleur de peau ne semblait jamais en repos. Elle créait sans relâche des visions saisissantes, si simples pourtant, faites de fragments de tous les jours – un gros bourdon, deux pluies diamantées, une femme aux voiles rouges, l’eau morte du bassin, un rêve de goudron… ‑ immédiatement reconnaissables comme siennes et néanmoins toujours renouvelées, jamais répétées. Elle ne se baignait jamais deux fois dans la même ode ! Et son style était libre comme elle ‑ libre mais jamais relâché, comme guidé par une sorte de common decency poétique. Sa versification se coulait dans l’inspiration du moment. Elle n’usait des rimes qu’autant qu’il lui convenait. Elle ne se revendiquait d’aucune école. Un spécialiste rattacherait peut-être son lyrisme du quotidien au surromantisme par lequel René-Guy Cadou désignait « une voix aussi éloignée de l’ouragan romantique que des chutes de vaisselle surréalistes ».

Denise (à gauche) et Gérard (3e à partir de la gauche) en 2015
avec des artistes russes sur les rives du Golfe de Finlande

Elle était cependant guidée par une étoile polaire : son amour pour son mari, Gérard Rigot, artiste magnifique devenu peintre et sculpteur après avoir exercé cent métiers, fameux notamment pour ses meubles animaliers, qui lui ont valu une grande renommée et de nombreuses contrefaçons à l’étranger, encore aujourd’hui. Le cliché « couple fusionnel » a rarement été aussi juste. Ces dernières années, ils ne quittaient plus guère leur grande maison peuplée d’œuvres, de souvenirs et de rêves, mais les habitués du Flesselles d’avant le covid-19 ont certainement en mémoire la haute stature et la crinière léonine de Gérard côte à côte avec les boucles rousses et le sourire lumineux de Denise. Ils ne passaient jamais inaperçus. « Ces Français sont fous », s’amusait leur guide russe quand Gérard, largement octogénaire déjà, avait escaladé en compagnie de Denise, flasque de vodka en poche, les toits de Saint-Pétersbourg.

Gérard, multipliait inlassablement les portraits de sa femme. Jamais nommé pourtant, il tenait une place majeure dans l’œuvre de celle-ci. Beaucoup plus jeune que lui, Denise s’était laissée envahir par la crainte immanente du moment où il ne serait plus là : « Et je ne savais pas/qu’un jour tu serais vieux (…) Je t’ai cru éternel ». Il ne l’aura jamais démentie. Les derniers mots de son dernier poème, composé sur son lit d’hôpital, ont été pour lui : « Ô mon aimé. Ne m'abandonne pas. JE T'AIME. »

05 avril 2025

Pour un musée Laennec dans le nouveau CHU de Nantes

Depuis quand Nantes n’a-t-elle pas rendu d’hommage officiel à René-Théophile Laennec (1781-1826), et plus largement au trio de médecins Guillaume, René-Théophile et Mériadec Laennec ?

  • L’hôpital Guillaume et René Laennec, alias hôpital Nord ? Il a reçu ce nom en 1984, lors de la fermeture de l’ancien hôpital Laennec de Chantenay, ainsi dénommé en 1927 (un hôpital parisien portait le nom de Laennec depuis 1879).
  • Le buste érigé devant la fac de médecine ? Il est le fruit d’une initiative personnelle du docteur Jean-Pierre Kernéis (1918-1999), doyen de la faculté de médecine, du docteur Charles Le Séac’h (1908-1996), président du conseil départemental de l’Ordre des médecins et de plusieurs de leurs collègues, pour commémorer en 1981 le bicentenaire de la naissance de René-Théophile Laennec.
  • La rue Laennec ? Elle a pris ce nom en 1890, et le conseil municipal d’alors s’étonnait que son hommage vienne si tard.


Guillaume Laennec (1748-1822), né à Quimper, a donné une impulsion décisive à l’Hôtel Dieu et a été le premier directeur de l’école de médecine de Nantes. Il a élevé son neveu René-Théophile (1781-1826), devenu chirurgien à l’Hôtel Dieu dès l’âge de 18 ans avant de poursuivre une carrière parisienne et de prendre une place importante dans l’histoire de la médecine comme inventeur, entre autres, du sthétoscope et des principes de l’auscultation médiate. Mort à 45 ans, René-Théophile a désigné comme héritier et continuateur son neveu Mériadec Laennec (1797-1873), directeur de l’école de médecine à l’instar de son père mais aussi maire de La Chapelle-Basse-Mer et président du conseil général de Loire-Inférieure.

Un bicentenaire incontournable

Guillaume, René-Théophile et Mériadec mériteraient bien un hommage collectif qui soutiendrait le prestige médical de la Ville. L’université de Nantes possède un important fonds Laennec, légué par un descendant, qui comprend les manuscrits scientifiques de René-Théophile et ses premiers stéthoscopes. On n’y accède que sur rendez-vous. La construction du nouveau CHU devrait être l’occasion d’en faire un musée ouvert au public. Il pourrait être élargi à d'autres avancées médicales nantaises, comme celles dues au professeur Eugène Cornet (1917-1979), patron de l'ancien hôpital Laennec. Il serait inauguré le 13 août 2026, pour le 200e anniversaire de la mort de René-Théophile.

À condition bien sûr que Johanna Rolland et les siens ne se braquent pas sur les opinions politiques de ce trio de grands savants nantais. Guillaume, fervent républicain dégoûté par les abus de la Révolution à Nantes, a été témoin à charge dans le procès de Carrier. René-Théophile, qui avait trop vu la guillotine fonctionner sous sa fenêtre place du Bouffay, était catholique et royaliste. Mériadec, gendre de Lucas-Championnière et monarchiste lui aussi, a été révoqué par le gouvernement socialiste de 1849. Des couleuvres peut-être difficiles à avaler…

Voir article complet dans Nantes Plus :

https://nantesplus.org/laennec/

Nantes redécouvrira-t-elle Laennec avant 2026 ?

28 mars 2025

Nantes manque d’interpellants notoires

À l’ordre du jour du conseil municipal de Nantes, ce 28 mars 2025, il aurait dû y avoir les « interpellations citoyennes ». Une noble initiative, annoncée par Johanna Rolland en 2020, censée permettre aux Nantais de causer à leurs édiles. Une usine à gaz, surtout, garantissant que les interpellations trop marginales ou indésirables seront écartées. La Maire choisit celles qui seront présentées au conseil municipal, et y répond. 

Le travail de dialogue citoyen n’a pas été bien lourd : une seule interpellation en 2024, zéro en 2025. Un seul sujet a ainsi été abordé : l’admission des chiens dans les transports en commun. En guise de réponse, Johanna Rolland a évoqué une future et éventuelle charte de l’animal en ville… 

Tout de même, 24 interpellations avaient été proposées en première saison, et 19 en deuxième saison. Aucune d’elles n’a reçu le nombre minimum de soutiens attendus des résidents nantais (300). Même celle des chiens n’a été admise qu’au rattrapage, avec 295 soutiens.

Pour quels communicants se prend-on ?

Nantes n’est pas seule dans son malheur. D’autres villes ont essayé la formule avec un résultat pas meilleur. Le site ad hoc de la Ville de Rennes fait état de 20 contributions, qui ont obtenu 6 votes. Celui de Rennes Métropole, de 7 contributions et 1 vote. Celui de la Ville de Bordeaux, de 3 interpellations et 56 signatures. Il y a encore pire : le droit d’interpellation instauré en 2022 par le département de Loire-Atlantique a suscité 0 (zéro) interpellation.

Les Nantais s’expriment. Sur les réseaux sociaux, sur Facebook notamment, dans les lieux publics, en famille, entre amis. Sur les murs, aussi, hélas… Johanna Rolland et ses confrères ont-ils vraiment cru que le site municipal serait le lieu d’expression auquel les citoyens pensent spontanément ? Ce serait un gros excès de vanité de leur part ! En tout cas, ils ont pu mesurer à quel point ils sont déconnectés des citoyens. Ils sont devenus quantité négligeable.

Et puis, certains Nantais se souviennent sûrement du temps où Jean-Marc Ayrault demandait aux militants socialistes de ficher les « opposants notoires ». Une interpellation un peu énergique ne serait-elle pas un excellent moyen de s’autodéclarer opposant ? D’autant plus que, comme l’interpellation est réservée aux résidents, l’interpellateur doit indiquer son adresse !

Voir article détaillé sur Nantes Plus :

https://nantesplus.org/interpellation/

L’interpellation citoyenne à la nantaise reste sans voix

20 mars 2025

Nantes, ville révoltée : note de lecture depuis un autre trottoir

Dans Nantes, ville révoltée, Contre Attaque entend « revisiter les révoltes nantaises d’hier et d’aujourd’hui [voire d’avant-hier, parfois] en parcourant une série de lieux emblématiques ». Dédié « aux rêveurs, rêveuses et aux révoltés d’hier et de demain, de Nantes et d’ailleurs », l’ouvrage ne prétend pas à l’objectivité : la rébellion, c’est bien, l’ordre non. De mai 68 aux Gilets jaunes en passant par Notre-Dame-des-Landes et Chantelle, tout est bon pourvu qu'il y ait manif'. La plume collective est tenue par une narratrice engagée, Claude, qui « dit avoir 90 ans » et conserve néanmoins une belle énergie.

Rêvés ou pas, ses souvenirs au présent narratif défilent à un rythme rapide. Elle ne se contente pas de recenser des révoltes. Le livre est organisé non par dates ou par thèmes mais par sites. Ce découpage fonctionne bien : l’âme des « lieux emblématiques » (« Cours des 50 émeutes », « place Royale, place au peuple », etc.), dont le décor est décrit brièvement, est aussi faite des événements qui s’y sont déroulés. Contre attaque propose d’ailleurs une carte de la ville révoltée dessinée par Le Chant du cygne.

Le style est enlevé et néanmoins soigné, le vocabulaire est choisi et la syntaxe irréprochable. On ne s’encombre pas des Nantaizeuzédénantais, du point médian, du langage épicène et autres tics de langages « militants ».

Ce livre est « générationnel ». La Forme d’une ville, de Julien Gracq, était au fond l’autoportrait d’un lycéen établi par le vieil écrivain qu’il était devenu. Nantes, ville révoltée évoque à bien des égards un autoportrait de la fraction soixante-huitarde des boomers et restera à ce titre un témoignage intéressant autant qu'un manifeste un peu nostalgique : avec le temps qui passe, les engagements deviennent engouements.

Consciente de n’avoir pas épuisé son sujet, Claude voit sûrement que le monde change mais n’ose pas trop envisager que les révoltes d’hier ne puissent plus être celles d’aujourd’hui quand il n’y a plus guère d’industrie lourde en ville, quand les capitalistes de l’immobilier et de la grande distribution cultivent leurs relations avec la gauche municipale, quand on saccage la nature pour bâtir des HLM plus que des aéroports, quand les bandits romantiques à la Courtois laissent place aux narcotrafiquants… Le livre s’achève sur « une ébauche de programme pour le jour où la Commune de Nantes serait de nouveau proclamée » qui semble inspirée du Gorafi (« des fontaines de Muscadet et des banquets dans la rue »…). C’est une queue de poisson, pas une ouverture sur l’avenir. La suite appartiendra à une nouvelle génération.

Contre attaque, Nantes, ville révoltée ‑ Une contre-visite de la Cité des Ducs, Éditions Divergences, 2024, ISBN 979-10-97088-70-5, 192 pages, 13 €.

Voir une critique plus complète sur Nantes Plus :

https://nantesplus.org/ville-revoltee/

Nantes, ville révoltée : la forme d’une ville avec un filtre rouge

14 mars 2025

Femmes au bord de la crise d’imaginaire

Pour installer une Cité des Imaginaires dans le bas-Chantenay, Nantes Métropole a choisi de conserver le bâtiment Cap 44. Motif : c’était l’une des premières applications du béton armé par l’ingénieur Hennebique. On sait à présent à quoi ressemblera la Cité : du verre en bas, du métal en haut. De béton, pas grand-chose, sauf quelques piliers et poutrelles conservés à l’intérieur du bâtiment. Ainsi va le « narratif » métropolitain…


Il ne s’arrête pas là : le même bâtiment hébergera la Cité des Imaginaires et le Musée Jules Verne. Ce double nom devrait conduire à un narratif bifidus, avec un risque de cannibalisation mutuelle ‑ plus de dépenses de communication pour moins d’efficacité commerciale. Or que contiendra le bâtiment ? Le Musée Jules Verne agrandi (1 150 m²), un espace d’exposition (850 m²), une médiathèque/ludothèque, un bar et un restaurant. À part la rime avec « Jardin extraordinaire », on voit mal à quoi sert l’appellation « Cité des Imaginaires ». 

Pour diriger l’ensemble, Johanna Rolland, après un faux départ avec Marie Masson, a néanmoins choisi une ancienne du Centre Pompidou-Metz, c’est-à-dire une professionnelle des expositions et non des musées littéraires. En 2023, les collectivités locales et autres mécènes du Centre Pompidou-Metz ont versé en moyenne 33,17 euros pour chacun de ses 301 449 visiteurs. Nantes Métropole espère que sa Cité des Imaginaires remplacera l’Arbre aux Hérons dont elle attendait un demi-million de visiteurs par an. Il serait démoralisant d’extrapoler, mais on aimerait voir la lettre de mission de la nouvelle directrice.

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Avec un peu d’imagination, la Cité des Imaginaires s’appellerait… Musée Jules Verne

04 mars 2025

Le château des ducs de Bretagne cherche à ratisser trop large avec l’exposition Chevaliers

Le musée Stibbert de Florence a extrait de ses collections de quoi faire une belle exposition sur l’armement des chevaliers médiévaux – cuirasses, heaumes, épées, etc. Il l'a envoyée en tournée à travers le monde pour se faire connaître. Après les États-Unis et le Canada, elle est visible au château des ducs de Bretagne à Nantes jusqu’au 20 avril.

Le château a tenu à lui ajouter son grain de sel en l’élargissant à de « nouveaux thèmes, comme la chevalerie française et bretonne, la place des femmes dans cet univers masculin et le mythe du chevalier dans les arts, la littérature, le cinéma aux 19e et 20e siècles ». Bien entendu, il n’a pas d’objets aussi impressionnants que ceux du Stibbert à montrer pour illustrer ces « nouveaux thèmes » : hormis des enluminures et des affiches de cinéma, ses ajouts sont surtout des textes à vocation didactique.


D’une exposition homogène, il a ainsi fait une exposition disparate. À ratisser plus large, il ratisse moins droit. Il suffit de regarder les enfants : ils s’émerveillent devant les cuirasses et baillent devant les tartines de texte. Des explications qui auraient pu les intéresser dans d’autres circonstances les rebutent parce qu’elles dérangent l’admiration qu’ils portent aux objets, et peut-être l’imagination qu’ils leur inspirent.

On a ainsi introduit dans l’exposition Godefroi de Bouillon, Bertrand du Gesclin, Jeanne d’Arc et d’autres, fort bien. On a juste oublié le chevalier nantais Tirant le Blanc. Son nom a pourtant été donné à une petite place de Nantes, tout à côté du château des ducs, lors de la première édition des Allumées. C’est dire quelles traces celle-ci a laissé dans les mémoires…

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Chevaliers au château de Nantes : des armures venues d’Italie et un oubli bien local