21 août 2009

Ce qu'il y a de plus artistique dans Estuaire, c’est le flou des chiffres

Des artistes, on attend des œuvres plutôt que des comptes. Mais si Estuaire 2009 ne sait même pas calculer un pourcentage, que lui reste-t-il ?

« On arrive à 720 000 visiteurs contre 680 000 en 2007, soit une hausse de 37 % » se félicite Jean Blaise, interrogé par Philippe Corbou dans Presse Océan du 21 août. Le quotidien reprend en une ce « 37 % ». N’y a-t-il pas eu un correcteur pour sortir sa calculette ? Car en réalité, un gain de 40 000 visiteurs ne représenterait même pas 6 % d’augmentation !

En plus de ces 720 000 visiteurs, Estuaire revendique les spectateurs du défilé de Royal de Luxe, début juin : pas moins de 150 000 personnes, selon les organisateurs. Et combien selon la police ? Faute d’informations officielles, il faudra bien se contenter de ce chiffre manifestement très optimiste. Annexer Royal de Luxe, c’était pour Estuaire l’assurance de faire du chiffre dès le premier jour, d’autant plus que la troupe avait joué la sécurité en ressortant la Petite géante, l’une de ses réalisations les plus réussies. Le spectacle de rue n’a pas grand chose à voir avec l’art contemporain ? Ni plus ni moins que le zoo des douves du château, les croisières clubbing ou la cantine du Hangar à bananes, après tout : faut-il en conclure que, pour Estuaire 2009, l’art contemporain, c’est du n’importe quoi ?

Les chiffres d'Estuaire varient avec la marée

Mais attendez… 680 000 visiteurs en 2007… d’où Jean Blaise sort-il donc ce chiffre ? Ce n’est pas du tout celui qu’il annonçait lui-même à la fin d’Estuaire 2007. Il affirmait alors avoir attiré, admirez la précision, 764 125 visiteurs. Officiel, le chiffre figure encore sur le site web de la mairie de Nantes (http://www.nantes.fr/fileadmin/telechargements/Dialoguer/nantespassion/178np.pdf), et bien entendu sur www.nantes.maville.com. Loin d’avoir gagné 40 000 visiteurs en deux ans, Estuaire en a perdu 44 000 !

Le seigneur Estuaire sait dorer la pilule, comme disait à peu près Molière. Estuaire 2007 avait compté dans son bilan tous les promeneurs du Hangar à bananes, censés être venus admirer les anneaux de Buren ; ils étaient même comptés double s’ils avaient parcouru l’hilarante exposition Rouge baiser du Frac. Comme les anneaux figurent encore au programme d’Estuaire 2009, il est probable que les simples promeneurs ont à nouveau été comptabilisés cette année, et doublés s’ils ont mis les pieds au Frac, voire triplés s’ils ont déjeuné à la Cantine. Selon le même principe, on peut imaginer que quiconque est passé par la rue Prémion ou entré dans l’hôtel de région a été considéré comme un admirateur des œuvres de Stéphane Thidet.

Un vrai projet de gauche

On ne chipotera pas Estuaire sur le musée des Beaux-arts, pour lequel on annonce « les mêmes chiffres de fréquentation qu’en 2007 », soit 23 462 visiteurs, alors que le bilan officiel de 2007 était de 31 115 visiteurs : le Leviathan Thot d’Ernesto Neto est encore visible pendant un mois, tout espoir n’est donc pas perdu d’égaler le score de 2007. Voire celui de 2008. 2008 ? Une année sans Estuaire, vous voulez rire ? Pas du tout : en 2008, le musée des Beaux-Arts de Nantes a reçu 112 000 visites sans Estuaire contre 103 414 en 2007 avec Estuaire !

En conclusion de son entretien avec Presse Océan, Jean Blaise dit d’Estuaire que « C’est incontestablement un projet de gauche ». Gaspillage d’argent public, chiffres bidonnés, chevilles enflées, foirages spectaculaires, vaines prétentions, poudre aux yeux – une fois n’est pas coutume, on ne peut qu’adhérer aux propos du grand homme : c’est bien un projet de gauche.