Et ce qui se cache derrière « Ce qui se cache derrière Le Voyage à Nantes » paraît clair : cette page est une interview soft de Jean Blaise. Elle vise, semble-t-il, à souligner l’aspect « gestionnaire » de son rôle à la tête du Voyage à Nantes, peut-être pour tenter de gommer ses aspects politiques à l’approche des élections municipales. Oh ! bien sûr, l’article signale que Le Voyage à Nantes fait l’objet de critiques – y compris celles de La Méforme d’une ville. Mais il ne les mentionne que de manière rhétorique, pour les relativiser ou les désamorcer aussitôt, comme fait un avocat dans une plaidoirie.
Ce ne serait pas la première fois que Jean Blaise fait passer un message politique par ce canal. En octobre 2011, Ouest France avait publié sous la même signature un article relativisant les critiques de la Chambre régionale des comptes envers Estuaire. Le rapport de la Chambre était paru trois mois plus tôt ; la veille, en revanche, il avait fondé une intervention très critique d’Isabelle Loirat et André Augier au conseil municipal.
Car avant d’être un culturel, Jean Blaise est un politique. Les journalistes désireux de résumer sa carrière évoquent Les Allumées, le Lieu Unique, Estuaire, Le Voyage à Nantes… Ils se compliquent la vie. En réalité la carrière de Jean Blaise repose tout entière sur son engagement politique. Elle s’est jouée en cinq actes.
- En 1980, nanti d’une licence ès lettres et d’une petite expérience d’animateur socio-culturel, Jean Blaise débarque en Guadeloupe comme chargé de mission du ministère de la Culture, puis directeur d’un Centre d’action culturelle. Il ne tarde pas à se mettre les locaux à dos. « Nous avons dit et redisons au missionnaire culturel du gouvernement français de retourner en France dire à ses maîtres que les Guadeloupéens sont majeurs et capables de bâtir un projet d’animation culturelle et de le réaliser », gronde le patron de l’office municipal de la culture de Pointe-à-Pitre*. Jean Blaise tirera de cette expérience courte mais instructive la matière d’un petit livre, Culture et politique en Guadeloupe et Martinique**.
- En 1982, du temps d’Alain Chenard, Jean Blaise est recruté par la municipalité d’union de la gauche pour diriger la maison de la culture de Nantes. L’année suivante, la droite reprend la mairie avec Michel Chauty. A priori, il n’y a pas de lien de causalité entre les deux événements…
- …Néanmoins, Jean Blaise vit mal la décision des électeurs. « Le soir des élections on est entrés en résistance », a-t-il confié au Monde en 2008, ce qui pour un salarié de la ville ne dénote pas un grand respect du principe de neutralité. Il fait alors un choix capital pour la suite de sa carrière : il se met au service de Jean-Marc Ayrault, alors maire socialiste de Saint-Herblain. La gauche, au pouvoir depuis l’élection de François Mitterrand, se prépare à reprendre Nantes. Ouvertement, elle met les moyens publics au service de fins politiques. De bons connaisseurs décrivent ainsi la manœuvre : « Le ministère de la Culture dépêche en 1984 à Nantes, une mission chargée de mettre en place à partir des [communes] ralliées à la majorité politique nationale, un ‘Syndicat intercommunal pour le développement culturel’. Ces localités soutiennent ensuite la création du CRDC (Centre de recherche et de développement culturel). Il sera dirigé par Jean Blaise »***.
- Une fois Jean-Marc Ayrault élu maire de Nantes, en 1989, le plan se réalise. Jean Blaise revient à Nantes en vainqueur, toujours à la tête du CDRC, qui s’installe en ville. Il dispose de moyens considérables, à commencer par le Lieu Unique, qui lui est attribué en 1994. Il peut lancer Estuaire, dont il dit que « c’est incontestablement un projet de gauche ». Sa carrière est sur des rails.
- Cette carrière connaît pourtant un accident majeur en 2011. La Chambre régionale des comptes rend un rapport critique sur la gestion du CRDC/Lieu Unique pendant la période 2005-2009 (« l’activité du LU a connu un net décrochage », « le LU comptait en 2008/2009 à peine 2 400 abonnés contre plus de 3 500 en 2004/2005 », « la chambre invite l’association à plus de rigueur dans la gestion des licenciements », etc.). Elle manifeste aussi un net scepticisme à l’égard d’Estuaire 2007 et 2009. C’est le genre de rapport qui, ailleurs, conduirait sa vedette sur une voie de garage pour y attendre tranquillement la retraite (Jean Blaise vient alors de souffler 60 bougies). Pas à Nantes : Jean-Marc Ayrault, avant même que la Chambre régionale des comptes n’ait conclu ses travaux, promeut Jean Blaise en créant pour lui Le Voyage à Nantes ! On lui reproche d’avoir eu un peu de peine à gérer simultanément le Lieu Unique et Estuaire ? Il gérera désormais une structure bien plus importante et multiforme !
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* Dany Bebel-Gisler, Le Défi culturel guadeloupéen, Paris, L’Harmattan, 1989, p. 188
** Jean Blaise et al. Culture et politique en Guadeloupe et Martinique, Paris, Karthala, 1981
*** Magali Grandet, Stéphane Pajot, Dominique Sagot-Duvauroux, Gérôme Guibert, Nantes la belle éveillée : le pari de la culture, Toulouse, Éditions de l’attribut, 2010, p. 113