La question est donc :
«
Etes-vous favorable au projet de transfert de l'aéroport de
Nantes-Atlantique sur la commune de Notre-Dame-des-Landes ? »
Cette
question est celle des porteurs du projet. Ses adversaires,
raisonnant davantage en termes d'enjeux, comprendront plutôt :
« Etes-vous favorable au projet d'artificialisation
d'espaces naturels et agricoles sur la commune de
Notre-Dame-des-Landes ? » Voire, pour la frange gauchiste : «
Etes-vous favorable au projet du groupe capitaliste Vinci sur la
commune de Notre-Dame-des-Landes ? » Et, pour la frange
contribuable : « Etes-vous favorable au projet de dépenses
publiques (manifestement sous-estimées) sur la commune de
Notre-Dame-des-Landes ? »
Certains
habitants du Sud-Loire entendront : « Etes-vous favorables à
ce que les avions qui passent au-dessus de vos têtes passent plutôt
au-dessus de celle des Landais ? » Et certains autres :
« Etes-vous favorable au transfert de votre emploi à
l'aéroport de Nantes-Atlantique sur la commune de
Notre-Dame-des-Landes ? » Quelques spéculateurs fonciers
interpréteront : « Etes-vous favorable à l'urbanisation des
terrains que vous avez achetés entre Nantes et Notre-Dame-des-Landes
? » Et les patrons du BTP : « Etes-vous favorable au projet de
construction de bâtiments, de pistes et de routes sur la commune de
Notre-Dame-des-Landes ? »
On aura noté évidemment que le projet
porte sur un « transfert de l'aéroport de Nantes
Atlantique ». Depuis des
années, ses partisans militaient pour la « création de
l'Aéroport du Grand Ouest ». Mais halte au créationnisme !
Depuis le Grenelle de l'environnement, la France s'interdit de créer
des aéroports ; elle s'autorise cependant à les changer de
place, quand bien même leur capacité serait décuplée au passage.
Quant
à l'appellation Aéroport du Grand Ouest, l'introduire dans la
question aurait trop clairement souligné l'absurdité d'une
« consultation locale » riquiqui, limitée
aux électeurs du département. Comme
on l'écrivait ici, il y a un loup derrière
Notre-Dame-des-Landes... mais ce loup se présente sous une peau de
mouton ! L'association Des Ailes pour l'Ouest, qui réunit les
partisans du nouvel aéroport, devrait se rebaptiser d'urgence Des
Ailes pour la Loire-Atlantique, si ce n'est Des Ailes pour
l'arrondissement de Nantes, histoire de faire profil bas.
Mais la grosse astuce sémantique est
bien sûr dans le mot « transfert ».
Il évite de parler du sort de... Nantes Atlantique. Puisqu'on le
transfère, il va être là-bas et non ici, hein ? Eh !
bien, en ce cas, pourquoi la question posée le 26 juin n'est-elle
pas : «
Etes-vous favorable au projet de fermeture de l'aéroport de
Nantes-Atlantique et à sa réinstallation sur la commune de
Notre-Dame-des-Landes ? » Car une « consultation
locale »
telle que la prévoit l'ordonnance élaborée en vitesse par le
premier ministre vise à interroger les citoyens sur des projets à
fort impact. Or la fermeture de l'aéroport actuel, conformément au
Grenelle de l'environnement, serait encore plus désastreuse sur le
plan économique que l'ouverture d'un aéroport à
Notre-Dame-des-Landes sur le plan écologique : elle
condamnerait à bref délai le pôle nantais de l'aéronautique et
des matériaux constitué à grands efforts et à grands frais autour
d'Airbus. Il serait donc encore plus important de nous consulter sur
cette fermeture que sur cette ouverture !
Je
fais l'âne pour avoir du son ? Évidemment ! Je sais bien,
tout le monde sait bien qu'on ne fermera pas Nantes Atlantique, et tant pis pour le Grenelle !
Il sera toujours bien temps de s'en excuser une fois le
projet de Notre-Dame-des-Landes réalisé. Et là, on se félicitera
de la prescience miraculeuse du premier ministre rédigeant la
question posée le 26 juin...
Il y a
aussi dans le mot « transfert » comme
un sous-entendu de mercato
aéroportuaire qui réjouira les amateurs de sport. Cependant, il n'y
a pas que du positif dans ce substantif. La neuvième édition du
dictionnaire de l'Académie française n'en est pas encore là, mais
voici ce qu'on lit dans la huitième :
Action
de transférer. Le transfert du corps d'un mort. Il se dit
spécialement en termes de Finance et de Commerce et désigne l'Acte
par lequel on déclare transporter à un autre la propriété d'une
rente sur l'État, d'une valeur, d'une marchandise.
Le
transfert du corps d'un aéroport ? Brrrr ! Le Centre
national de ressources textuelles et lexicales n'est pas plus
riant. À l'article « transfert »,
il cite en exemple « Transfert
des cendres, des prisonniers ».
Il signale aussi le sens bancaire du mot, « opération
consistant à faire passer des valeurs monétaires d'un compte à un
autre »,
dont on espère qu'il n'a rien à voir avec le projet d'aéroport. Et
aussi son sens psychologique : « phénomène
par lequel un sentiment éprouvé pour un objet est étendu, par
association*, à un autre objet ».
Bon sang, mais c'est bien sûr : ce qu'il
s'agit de transférer à Notre-Dame-des-Landes, ce n'est pas tant un aéroport que des sentiments
de cupidité et d'orgueil !
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* Le CNRTL ne désigne pas nommément l'association en cause !
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* Le CNRTL ne désigne pas nommément l'association en cause !