La nef du Grand Palais à Paris, c’est plus d’un hectare et
45 mètres de haut. Tous les deux ans, l’exposition Monumenta
invite un artiste à remplir cet espace énorme. Huang Yong Ping, qui s’y colle
cette année, a opté pour une solution de facilité : il y a empilé 305
conteneurs maritimes. Puis, comme il faut quand même un peu de création pour faire
art, il a posé sur les grosses boîtes des figurations du bicorne de Napoléon et
d’un squelette de serpent géant.
Un peu de storytelling par-dessus et le tour est
joué. « Le reptile tient en respect un chapeau vide posé sur les marchandises du
monde », commente doctement le commissaire de l’exposition dans un dossier
pédagogique. Sauf que le reptile est vide lui aussi, il n’en reste que les
os en aluminium, et qu’on parierait bien que les conteneurs le sont aussi.
L’œuvre est intitulée Empires, rapport au chapeau de Napoléon que le
dossier pédagogique s’emploie à magnifier* (« Huang Yong Ping a bien compris que le bicorne d’Eylau est un
chapeau mais qu’il est également LE chapeau »). Mais quand on
travaille DU chapeau, il y a davantage à découvrir au Grand Palais que des
piles de grosses boîtes. « C’est une de mes premières oeuvres qui est
totalement chinoise et occidentale », assure Huang Yong Ping à propos
d’Empires, avec une syntaxe peut-être un peu plus chinoise
qu’occidentale. « On peut la comparer à Histoire de la peinture
chinoise et l’histoire de l’art moderne occidental lavés à la machine pendant
deux minutes de 1987. » La comparaison est morale et non physique,
bien entendu, puisque le petit tas de boue issu des deux bouquins sacrifiés
devait occuper à peu près 100.000 fois moins de place qu’Empires.
Le serpent, un bon business ?
Le serpent, un bon business ?
Huang Yong Ping et le Grand Palais racontent bien ce qu’ils
veulent. Mais cela ne peut nous être totalement indifférent, à nous Nantais.
Car le reptile du Grand Palais reproduit, en plus grand, le Serpent d’océan du
même artiste ancré à Saint-Brévin depuis Estuaire 2012. En 2012 toujours, Huang
Yong Ping a aussi installé un serpent métallique dans un musée de Brisbane,
en Australie. Avant même Estuaire, en 2009, il
en avait exposé un à New York. Huang Yong Ping produit-il des serpents
industriels à la chaîne ?
La réalité pourrait être encore plus décevante. « Le
projet est né en 2006 dans sa forme quasi définitive grâce à des dessins,
croquis, vignettes, avant de prendre la
forme d’une maquette en évolution permanente », révèle Huang Yong Ping
lui-même à propos d’Empires dans le dossier
pédagogique de Monumenta. En 2006 ? Le serpent de Saint-Brévin, l’une des rares
œuvres d’Estuaire qui tiennent la route (façon de parler puisqu’il est
ancré sur une plage), serait-il donc une simple maquette préparatoire de
Monumenta, comme ceux de la Gladstone Gallery et de QAGOMA ? Et peut-être aussi la « mue » exposée à la HAB Galerie au cours du Voyage à Nantes 2014 ?
Ce serait un peu fort de café. Car Serpent d’océan a coûté
pas moins de 694.955 euros – un
prix que Jean Blaise prétendait ignorer à l’époque. Tout ça pour alléger le
budget de Monumenta ? La coïncidence est d'autant plus troublante que Jean Blaise, maître à penser d'Estuaire, et Jean de Loisy, commissaire de l'exposition Monumenta, sont de vieux amis. Jean de Loisy a même été conseiller artistique
d’Estuaire ! Le serpent est grand mais le monde de la culture est petit.
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* Tout en évitant de rappeler que le 18 juin, date de clôture de
l’exposition, sera le 201ème anniversaire de la bataille de
Waterloo.