On le disait méprisant, intolérant, autoritaire ? Il
n’est que blessures intimes et sourire si doux. Ah ! qu’un homme
politique est différent selon qu’il est vu par les yeux d’une fille aimante ou
ceux d’un conseiller municipal d’opposition, forcément négatif et de mauvaise
foi…
Mon père ce Ayrault, réalisé par Élise Ayrault et diffusé hier soir sur France 3,
laisse un peu sur sa faim : quoi, ça n’est que cela, la vie d’un homme
politique de premier plan ? On voit un honnête citoyen plus à l’aise avec
son Kärcher devant son camping-car qu’avec un micro dans la cour de Matignon.
Pas d’idées fortes – elles ont peut-être été versées aux Archives nationales
avec le reste. Pas un mot plus haut que l’autre, sauf à contretemps, à propos
d’un projet de découpage régional si étrange et si peu abouti qu’il ne valait
pas de se mettre dans des états pareils.
Jean-Marc Ayrault reste amer : il n’a pas tout compris
au film. Il ne sait pas pourquoi il a été congédié en 2014. Il faisait tout son
possible, pourtant. Eh ! c’est peut-être bien là le problème !
« Veulent-te
ben mais peuvent-te point », comme disait ma grand-tante. Tout lui
réussissait pourtant. Il a eu la chance de se trouver où il fallait quand il
fallait, à Saint-Herblain en 1977 : à partir de là, la vague rose lui a
rendu tout facile, y compris sa seule audace toute relative, le changement de
cheval municipal en 1989. Toutes proportions gardées, son sort évoque celui du
poulet de Russell :
« il arrive qu’un poulet ait été nourri par un
certain homme toute sa vie et qu’il s’habitue à compter sur lui en toute
confiance pour lui apporter son grain ; mais un jour, à la place, l’homme
vient lui tordre le cou »*
. La chance n’a pas complètement
abandonné Jean-Marc Ayrault, cependant : quittant Matignon, il trouve une
pièce de monnaie coincée dans un canapé. Mais quand même, ça n’est plus tout à
fait ça.
Vacherie ultime de France 3 envers Jean-Marc Ayrault, la
chaîne avait programmé juste avant le sien un portrait de son successeur,
histoire de montrer qui a droit au
prime time et qui est relégué
en nocturne. Le commentaire sur Manuel Valls était beaucoup moins aimable, et pourtant
la comparaison implicite entre les deux hommes est impitoyable. Le Parti
socialiste est peut-être en capilotade, mais l’Espagnol de cette armée en
déroute sait encore ajuster ses coups.
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Rue Scribe. On n'a pas poussé l'insolence jusqu'à "Mon héros, ce pied". |
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* Bertrand Russell, L’Art de philosopher, Québec,
Presse de l’université Laval, 2005. Nassim Nicholas Taleb raconte l’histoire à
sa manière dans Le Cygne noir : « le mercredi précédant
Noël, quelque chose d’inattendu va arriver à la dinde »…
(Paris, Les Belles Lettres, 2012).