Paysage glissé, alias le toboggan du château des ducs
de Bretagne, est-il là pour toujours ? Ce sera une installation
« pérenne
et remontée chaque été », avait dit, ou laissé entendre, Jean
Blaise lors de la présentation du Voyage à Nantes 2017. Pour être remonté,
encore faudrait-il qu’il fût démonté. Ce n’est pas le genre d’opération qu’on
improvise. La dépose de l’installation devrait être à peu près aussi coûteuse
et délicate que sa pose et faire intervenir à nouveau personnels et matériels
spécialisés. Elle a été prévue dès le début.
Ou plutôt, manifestement, elle ne l’a pas été. Par oubli,
par négligence, par calcul ? Quelle que soit l’explication, elle n’est pas
à la gloire du Voyage à Nantes. Le toboggan est donc là pour un moment. « On
va le laisser pendu aux remparts pour le transformer et le rallonger »,
avouait Jean Blaise à Julie Charrier-Jégo (Presse Océan du 1er septembre 2017) dès la fin du VAN 2017. Et voilà comment ce Paysage glissé
d’un été glisse à la fois dans le temps et dans l’espace, devenant plus durable
afin de devenir plus long.
Cette non-dépendaison pose quand même problème à plus d’un
titre.
L’aspect esthétique n’est sans doute pas le plus important.
Le toboggan zèbre un pan de rempart sans intérêt historique ni architectural,
reconstruit à moindres frais après l’explosion de la poudrière du château
en 1800. Sa courbe puissante, ses teintes brunâtres aux reflets métalliques
font assez heroic fantasy, dans le fond. S’il paraît incongru, il n’est
pas forcément une catastrophe visuelle.
L’aspect sanitaire mériterait plus ample analyse. La plate-forme
où atterrissent les hardis
tobogganautes est posée au-dessus des douves. Que
trouverait-on au-dessous, mijotant dans l’obscurité des eaux stagnantes ?
L’idée même n’est pas ragoûtante.
L’aspect technique laisse dubitatif.
« Nous avions
fait les études nécessaires »,
assure
Jean Blaise lui-même. Si les études nécessaires ont donné un toboggan
raté, par quel miracle des études superflues donneraient-elles un toboggan
réussi ? En rallongeant le toboggan d’un tronçon en pente douce, on espère
sans doute éviter des chutes brutales à la minorité des visiteurs qui
descendent trop vite. Ceux qui descendent à petite vitesse devront terminer la descente à pied ; le
cas n’était déjà pas rare dans la configuration actuelle. Régler un défaut ne
ferait qu’accentuer l’autre. Le vrai problème est qu’on ne peut pas faire un
toboggan pour toutes les morphologies et toutes les positions. Ce n’est pas un hasard
si la plupart des grands toboggans aboutissent dans une piscine, ce qui règle
la question radicalement : tout le monde à l’eau. Mais qui désire
plonger dans les douves du château (voir le paragraphe précédent) ? Quant
au second gros problème technique du toboggan, la température, une prolongation
n’y changerait rien. Quand le soleil tape, l’acier chauffe. À moins d’en faire
une attraction nocturne ou de lui ajouter une toiture, il faudra toujours
fermer
Paysage glissé les après-midi de grand beau temps.
L’aspect juridique enfin est franchement abusif. Paysage
glissé adorne le château au titre non d’un permis de construire mais d’une
simple autorisation temporaire d’occupation. Il devait être démonté à la fin
de la manifestation estivale. En se dispensant de l’enlever, le Voyage à Nantes
s’est placé délibérément dans l’illégalité. Le comble est qu’il est aussi
chargé par la ville de Nantes de gérer le château des ducs de Bretagne dans le
cadre d’une délégation de service public (DSP) ! Toutes proportions
gardées, il se conduit envers le château comme une famille d’accueil pédophile
envers un enfant confié par les services sociaux...
Remarque complémentaire : Nantes Métropole accorde ses
DSP au Voyage à Nantes sans appels d’offres. Elle se fonde pour cela sur une
disposition dérogatoire du code général des collectivités territoriales :
la mise en concurrence n’est pas obligatoire quand le délégant exerce sur le
délégataire « un contrôle analogue à celui qu'il exerce sur ses propres
services ». Nantes Métropole laisserait-elle ses propres services s’asseoir
sur le droit de la construction ?
De l’autre côté de la douve, la statue d’Anne de Bretagne
par Jean Fréour contemple le toboggan avec comme un petit sourire ironique. Les
Malouins avaient reproché à la duchesse de construire au flanc de leur château une tour
dont ils ne voulaient pas. « Quic-en-groigne, avait-elle répondu, ainsi
sera car tel est mon bon blaisir. » Plaisir, pardon.