On n’a rien fait pour susciter l’un de ces rites ostentatoires dont notre époque est friande. Un indice concret de cette lacune est visible dans le Mémorial tel qu'il existe. La galerie souterraine comporte un petit bassin. Déjà, des visiteurs ont lancé quelques pièces de monnaie : cela montre que le désir est là. Mais cette auge modeste ne rivalisera jamais avec la fontaine de Trevi.
On aurait aussi pu dresser à l’une des extrémités du site une estrade pour les orateurs d’occasion, à la manière du Speakers’ Corner de Hyde Park, histoire de montrer que face à l’esclavage la parole est libre.
On aurait pu ménager dans les murs de la galerie des interstices où l'on aurait glissé des vœux de libération, une bouche de la vérité qui aurait croqué les doigts des négriers comme ceux des menteurs le sont à Rome, une bocca di leone pour y déposer des dénonciations comme à Venise (« Vous connaissez un marchand d'esclaves ? Faites-le savoir. »).
On aurait pu ériger une statue qui aurait invité le visiteur au contact tactile, comme le porcellino de Florence, le manneken-pis de Bruxelles ou le gisant de Victor Noir, au Père Lachaise, dont on connaît les vertus reproductrices (ou, si l’on préfère le bois au bronze et le nez à d'autres organes, comme la statue de Saint Guirec à Ploumanac’h).
La plus belle occasion manquée est cependant celle des esclaves de l’amour. Les grossières rambardes du Mémorial ne rendent pas justice à la métallurgie nantaise. Mais surtout, leurs barreaux sont trop épais pour que les amants y attachent des cadenas avant d’en jeter la clé à la Loire, ainsi qu’on fait sur d’innombrables ponts du monde entier (une opportunité déjà bêtement loupée par la passerelle Schoelcher). Dommage : à raison de dix barreaux* sur 300 m de long et de 3 cm pour chaque cadenas, il y avait de quoi en suspendre 100.000 !
* En réalité, si les balustrades de l'esplanade comptent bien dix barreaux, celles de la promenade n'en ont que six, sans que rien n'explique cette rupture de rythme.