Jean-Claude Courcoult avait annoncé que le spectacle était « écrit spécialement pour Liverpool ». Mais que signifie « spectacle », d'abord ? Le jeu scénique des marionnettes géantes est limité ; on les trimballe en avant, on les trimballe en arrière, on les assoit, on les allonge. Le morceau de bravoure de Liverpool a été un pas de danse entre la grand-mère et la petite géante ; on avait déjà vu ça huit semaines plus tôt dans le spectacle « écrit spécialement pour Nantes ». Au-delà, on risquerait de s’emmêler les ficelles. Le danger n’est pas nul : à Liverpool, le mécanisme de la grand-mère a été victime d’une rupture de câble.
Le spectacle était censé commémorer avec un mois d’avance l’engagement des Liverpool pals dans la Première guerre mondiale, en août 1914. « La longue parade des trois marionnettes géantes avait à peu près autant à voir avec 1914-1918 qu’une partie de marelle avec un voyage sur la lune », a noté Dominic Cavendish dans le Telegraph, soupçonnant Royal de Luxe de s’être contenté de « recycler de vieux matériaux » pour l’occasion.
Le véritable événement, note Dominic Cavendish, ce n’est pas le spectacle : c’est la foule qui afflue et reste sagement massée des heures durant sous le soleil pour voir passer trois mécaniques qu’elle applaudira chaudement. « L’important a été que pendant quelques heures, le temps a ralenti, s’est inversé même, suscitant un sentiment édénique d’innocence collective. Et si une telle bénédiction a été possible, finalement, n’est-ce pas parce que cette génération infortunée de jeunes gens vaillants a combattu et souffert jusqu’au sacrifice il y a cent ans ? »
Si les géants n’avaient rien à voir avec la guerre, il faut quand même signaler que des extraits de lettres d’engagés liverpudliens de 1914 ont été lus pendant le défilé, et qu’on a projeté sur la foule des cartes postales représentant la célèbre affiche de lord Kitchener (Your country needs you!). Alfred Hickling écrit d’ailleurs dans le Guardian que « l’aspect le plus émouvant du spectacle (…) a été, précédant l’arrivée des géants, une colonne de jeunes hommes en costume edouardien, tout sourire sous un bienveillant soleil, suivie d’un cortège portant des parapluies noirs qui représentait les familles endeuillées ».
Tom Mullen et Tom Airey, de BBC News, ne sont pas non plus très convaincus. « Maintenant que les géants se sont embarqués pour descendre la Mersey, ce spectacle – officiellement intitulé Souvenirs d’août 1914 – a-t-il réussi à faire connaître la guerre au public et à rendre hommage à ses héros ? » demandent-ils. Certains estiment qu’il faut un événement spectaculaire pour parvenir à éduquer un peu une partie du public, admettent-ils. Mais, citant un spectateur, ils mettent un bémol : « commémoration spectaculaire de la Première guerre mondiale ou bien version moderne des habits neufs de l’empereur ? »
Et à propos d’habits, justement, on notera que Royal de Luxe cherchait naguère à faire le « spectacle » en costumant ses personnages. La troupe n’a même pas fait cet effort en Angleterre. La grand-mère a été montrée dans le même accoutrement qu’à Nantes. Sur sa blouse figurent des trèfles. Des trèfles ? Cela tombe bien : en Irlande, début septembre, Jean-Luc Courcoult va pouvoir affirmer que le spectacle est « écrit spécialement pour Limerick ».