31 août 2017

Faut-il supprimer les Rendez-vous de l’Erdre ?

Depuis hier soir, la presse locale et nationale titre sur le vol de 6 kilos de nitrate de potassium commis à la faculté de médecine de Nantes. Or le vol a été constaté le 4 août ! Plus de trois semaines pour révéler cette information… explosive ? C’est probablement qu’on aurait préféré la cacher mais qu’elle a fini par fuiter ! Le secret a été à peine mieux gardé que le produit chimique.

Le nitrate de potassium, alias salpêtre, est une matière explosive et comburante utilisée dans la fabrication d’explosifs. Depuis le Moyen-âge, il entre dans la composition de la poudre à canon. Pas besoin de haute technologie : la bombe islamiste du marathon de Boston, en 2013, était une simple cocotte-minute remplie de nitrate de potassium, de charbon de bois, de soufre et de clous.

La fac de médecine devra s’interroger sur son organisation, puisque un produit dangereux y était stocké apparemment sans grandes précautions. Mais il y a plus urgent. Savoir que ce précurseur d’explosifs se balade dans la nature à la veille des fêtes de l’Erdre doit évidemment provoquer des tempêtes sous les crânes du côté de l’hôtel de ville, de la préfecture et du commissariat central.

Faut-il maintenir les fêtes de l’Erdre ? À vrai dire, la question aurait dû être posée depuis longtemps. Ni le cadre ni l’organisation des festivités ne sont propices à une sécurisation efficace. Oh ! les agents de sécurité ne manquent pas, ils suffisent tout à fait à perturber la circulation du public. Quant à le protéger vraiment, on ne peut se retenir d’un léger doute. Déjà, en voyant défiler les installations destinées à la restauration, on se dit qu’une cocotte-minute en plus ou en moins…

Le bassin Ceineray le 11 août : les jardins flottants ont
été retirés plus de quinze jours avant l'installation des
scènes sur l'eau. A quoi bon ?
Ce n’est pourtant pas que les Rendez-vous de l’Erdre soient organisés dans la précipitation. Au contraire, le travail est accompli avec un sens étonnant de l’anticipation. Trois semaines à l’avance, on met soigneusement de côté les jardins flottants du bassin Ceineray, ainsi rendu à son dépouillement originel bien avant le départ des touristes. Pourquoi tant de hâte, alors que les scènes ne seront installées sur l’eau que bien plus tard ? Mystère municipal… tout comme le budget que représente ces festivités, toutes simples à l’origine et qui en trente ans sont devenues un monstre disparate.

Une fête juste avant la rentrée scolaire, c’est une idée sympathique. Mais le barouf frénétique qui s’est imposé autour de l’Erdre ces dernières années ne connote pas une distraction familiale paisible. La crainte des cocottes-minutes n’arrangera rien. Johanna Rolland devrait en profiter pour remettre en question un concept qui a dépassé ses limites.

22 août 2017

Médusant, le musée d’arts : (10) des caleçons métalliques aux cartels

Je suis un peu déçu. Mon précédent billet sur le musée d’arts a été vu des milliers de fois sans que personne ne s’offusque d’y lire ceci : « Par ce temps de bêtises plates qui court, au milieu des stupidités normales qui nous encombrent, il est réjouissant, ne fût-ce que par diversion, de rencontrer au moins une bêtise échevelée, une stupidité gigantesque ».

Car, je l’avoue, c’est un plagiat. La phrase est de Gustave Flaubert. Dans Par les champs et par les grèves, relatant son voyage en Bretagne, il s’étonne de voir sur les statues du musée des beaux-arts de Nantes « des feuilles de vignes en fer-blanc, qui ont l’air d’appareils contre l’onanisme. L’Apollon du Belvédère, le Discobole et un joueur de flûte sont enharnachés de ces honteux caleçons métalliques qui reluisent comme des casseroles. On voit, d’ailleurs, que c’est un ouvrage médité de longtemps et exécuté avec amour, c’est escalopé sur les bords et enfoncé avec des vis dans les membres des pauvres plâtres, qui s’en sont écaillés de douleur. »

Dans le nouveau musée d’arts de Nantes, pas de feuilles de vigne en fer blanc. Il eût fallu quelque chose à cacher. Mais comment cacher la vacuité ? Eh ! bien, comme un animateur comble un « blanc » à la radio, en disant ce qui lui passe par la tête. Ce qui aurait excité l’ironie de Flaubert à la visite du Cube, la partie du nouveau musée consacrée à l’art contemporain, ce ne sont pas tant les œuvres que ce qu’en disent leurs cartels.

Or puisqu’il s’agit de textes déjà écrits, plus besoin d’un Flaubert, il suffit de lire. Certains textes tentent un portrait moral des œuvres. Mais les plus cocasses sont les descriptions objectives. Quelques exemples (on n’oubliera pas que sont décrites là des œuvres picturales – en principe) :

  • Le mode opératoire consiste à poser la peinture en plusieurs couches sur un voile de « tergal plein jour ». Après chaque couche, la peinture est essuyée pour déboucher les mailles du tissu. La couleur imprègne ainsi le tissu, en infimes pellicules de pigment, créant ainsi des zones opaques ou transparentes. Le voile est ensuite tendu sur un châssis en aluminium. (À propos de Sans titre (tableau/fenêtre rose), de Cécile BART)
  • Ces notations se présentent sous forme de planches de texte sur un fond de grille gris clair, dans une mise en page austère et dense qui évoque celle des textes officiels. Le format des
    planches introduit un face à face avec le regardeur/lecteur qui se trouve ainsi invité à lire.
    (
    À propos de [ljc notations] le travail de l’art au travail… ?jeudi 6 avril 1989 ? […] mercredi 29 avril 1992de Jean-Claude LEFEVRE« Jean-Claude Lefevre, dit » [sic*])
  • Il réalise ainsi des tableaux en bois constitués d’un rectangle central, d’un passe-partout et d’un cadre entièrement recouverts d’une seule couleur. Ces dix panneaux sont issus de ces séries, que l’artiste déclinera en noir et blanc, en clin d’œil à la photographie. (À propos de Sans titre, d’Allan Mc Collum) [moi, j’aime bien le concept des tableaux monochromes déclinés en noir et blanc…]
  • Cette huile sur toile présente deux aplats de bleus séparés par une ligne verticale au centre et deux bandes blanc-bleuté repoussées de part et d’autre de la surface picturale. « Ligne qui sépare », selon l’artiste, mais aussi ligne de passage articulant deux champs colorés et invitant l’œil à passer de l’un à l’autre. (À propos de Diptyque-Atlantique, de Geneviève ASSE)
  • Cette œuvre propose ainsi trois variantes autour de ce protocole : un panneau achevé, l’autre inachevé (catégorie mise en place à partir de 1990), et un produit dérivé le tondo (détail d’un tableau qui n’existe pas). (À propos de Sans titre, de Bernard PIFFARETTI)
Au hasard des salles du Cube, on trouve aussi un « assemblage de panneaux réfléchissants pour autoroutes », une grande plaque d’aluminium « recouverte d’une laque habituellement utilisée pour recouvrir les carrosseries automobiles », des « belles surfaces de tôles lisses et colorées [qui] sont accidentées, cabossées », des « volumes géométriques simples, seulement dessinés par leur contour », un miroir devant lequel « chacun est confronté à sa propre image », etc. Tout cela est parfaitement escalopé sur les bords, comme aurait dit Flaubert. On ne s’ennuie pas à visiter le Cube !
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* En fait, le musée s’est planté. Jean-Claude Lefevre se fait appeler Lefevre Jean Claude.

06 août 2017

Miroir d’eau z’alouettes : (4) une maintenance poétique mais coûteuse

L’avis de marché commence mal : « Le Miroir d’Eau de Nantes Métropole situé sur l’espace public « Château Mercoeur » face au Château des Ducs de Bretagne à Nantes a été mis en service en juillet 2015. » En juillet, on aurait bien voulu, c’est mieux en plein été. Mais n’importe quel site web bien informé, y compris celui de la ville de Nantes, vous dira que le miroir d’eau a été inauguré en réalité le 5 septembre 2015. « Mis en service et inauguré » précisait même Presse Océan, ce qui n’était pas inutile puisque les pannes n’avaient pas manqué.

On se souvient de l’énorme battage médiatique orchestré à l’époque autour de cet équipement de 3,75 millions d’euros voulu par Jean-Marc Ayrault dans l’espoir de faire la nique à celui de Bordeaux – une ambition qui fait légèrement ricaner les Bordelais. Aujourd’hui, toutes ces jactances sont bien oubliées. Oui, quoi, on a là une surface aqueuse de 1.300 m² ‑ presque trois fois moins qu’à Bordeaux – où se déclenchent de temps en temps des jets d’eau ou de brume. Impeccable pour rafraîchir les enfants aux beaux jours mais pas de quoi crier au génie non plus.

Seulement, puisqu’on l’a, il faut bien l’entretenir, d’où l’avis de marché cité plus haut. Le miroir d’eau est géré par la direction de l’espace public de Nantes Métropole. Celle-ci veut confier son entretien et sa maintenance à un prestataire extérieur « pour garantir son bon fonctionnement ». Douterait-elle de ses propres compétences ? Ou préfère-t-elle se laver les mains des dysfonctionnements éventuels ? Car le miroir d’eau est surtout une énorme usine à gaz souterraine. La description de son fonctionnement occupe pas moins de cinq pages du cahier des clauses techniques particulières. En voici le premier paragraphe :

Sur l’idée d’un phénomène naturel volontairement suscité, le niveau des eaux monte et descend sur un rythme de 5 minutes pour générer ainsi une inondation d’environ 2 centimètres sur la totalité de la surface de la place, à l’image des marées transformant constamment le paysage en place inondable et la vie du lieu en créant à tout instant une situation nouvelle*.

Pourquoi des plombiers ne seraient-ils pas poètes, après tout ? Hélas, le retour aux réalités prosaïques ne tarde pas. Cet « accord-cadre à bons de commande avec minimum et maximum et un opérateur économique » coûtera aux Nantais entre 40.000 et 160.000 euros hors taxes par an. Une fourchette dont la largeur dénote bien les doutes de Nantes Métropole sur le bon fonctionnement du miroir d’eau.
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* Comme le signale un lecteur anonyme (voir les commentaires de ce billet), cette « idée d'un phénomène naturel volontairement suscité » est purement et simplement pompée d'un avis de marché concernant la canopée du Forum des halles à Paris !

Les billets précédents de la série Miroir d’eau z’alouettes :

03 août 2017

L’industrie nantaise du bidonnage s’exporte bien : (2) Ottawa

S’il est davantage dans le concret que Jean Blaise (voir le billet précédent), François Delarozière a tout de même appris à gonfler les chiffres – peut-être au contact des Machines de l’île. En 2013, il assurait que la tournée de l’Aéroflorale au cours de l'année Green Capital avait rencontré un grand succès. Voici trois ans, il affirmait que plus d’un million de Pékinois étaient venus voir son cheval-dragon et son araignée. Mais les photos de ces événements ne montraient qu’un public clairsemé ; établir un décompte exact était pourtant facile puisque les spectateurs devaient réserver leur place. Selon les Chinois, ils étaient en réalité 100.000.

Après Pékin, le cheval-dragon et l’araignée de La Machine étaient à Ottawa voici quelques jours. Là, les organisateurs se sont abstenus d’annoncer à l’avance des chiffres invraisemblables. Ils les ont annoncés ensuite. En quatre jours, 750.000 personnes seraient venues voir les deux machines, assure La Machine sur son compte Twitter. Comme au Havre et contrairement à Pékin, l’absence de billetterie permet toutes les conjectures. Mais l'énorme album des photos et vidéos mises en ligne raconte une autre histoire.

François Delarozière a utilisé au Canada un stratagème habile : les parcours des machines n’étaient pas annoncés à l’avance. Officiellement, pour faire durer le mystère. En pratique, cela obligeait tous les spectateurs à se rendre au point de départ indiqué : la garantie de faire masse avec une foule concentrée. Et si les spectateurs accompagnaient ensuite la marche des machines, rien n’interdisait de les recompter et les rerecompter au fur et à mesure.

Avec quel résultat ? On peut en juger d'après les photos fournies par La Machine elle-même et publiées sur le site web de Presse Océan. Les deux premières ont été prises le vendredi 28 juillet en début d’après-midi sur l’esplanade de la National Gallery, l’endroit le plus spacieux visité ensemble par les deux machines. Complémentaires, elles ont été prises du même endroit, peut-être l’un des clochers de la basilique Notre-Dame ; on a seulement tourné l’appareil photo d’un quart de tour entre les deux. Grosso modo, on  voit la foule au sud de St. Patrick Street sur la première, au nord sur la seconde, sur une superficie totale d’environ 3 hectares, soit 30.000 m². Sans se lancer dans un comptage individuel des têtes, on voit que le nombre de personnes présentes ne dépasse pas 15.000. C'est déjà beaucoup de monde, mais ça ne fait que 2 % de 750.000.
Sur l'île de Nantes : foule ou pas foule ?

Aucune des autres photos disponibles ne montre de foule plus importante à un autre moment. Sur une troisième photo panoramique, la rencontre de Long Ma et Kumo à George Street, en fin de journée, attire au maximum 5.000 personnes sur 4.000 m², dont la moitié dévolus aux deux machines.

Si la dizaine d’autres rendez-vous proposés avaient attiré autant de monde que celui de la National Gallery, le total des spectateurs serait inférieur à 200.000 – certains d’entre pouvant avoir été comptés plusieurs fois. Où sont les 750.000, alors ? Aurait-on cumulé les spectateurs visibles sur les centaines de photos et de vidéos mises en ligne ?

01 août 2017

L’industrie nantaise du bidonnage s’exporte bien : (1) Le Havre

Gonfler ses chiffres de participation est un exercice classique chez les organisateurs de manifestations politiques, syndicales, ludiques, etc. Entre leurs chiffres et ceux de la police l’écart est parfois de 1 à 10. Bien que la police ait des techniques de comptage objectives, la presse reprend souvent les statistiques des organisateurs pour ne faire de peine à personne. À ce jeu-là, les acteurs culturels nantais montrent un savoir-faire certain.

Royal de Luxe à Nantes en 2014. Foule ou pas foule ?
Sous la houlette de Jean Blaise, Le Voyage à Nantes, on l’a dit ici, mais également là, a présenté dans le passé des bilans de fréquentation trop beaux pour être honnêtes. Jean Blaise a organisé cette année les festivités du 500ème anniversaire du port du Havre. Il y a transféré le savoir-faire acquis à Nantes. D’abord en faisant appel à de vieilles connaissances, les géants de Royal de Luxe, qui ont défilé dans la ville du 7 au 9 juillet. Ensuite en annonçant des scores abracadabrantesques.

Un peu trop, même : pour Royal de Luxe, on avait annoncé à l’avance 800.000 spectateurs. Avec la meilleure volonté du monde, la presse n'a pas osé confirmer. Si France 3 régions a vu 650.000 personnes, France Bleu s’en est tenu à  « plus de 500.000 personnes ». La réalité était certainement bien inférieure. Les innombrables photos et vidéos de l’événement disponibles en ligne montrent des foules importantes à certains endroits et certains moments mais beaucoup plus clairsemées à d’autres. Parfois, la technique intervient, une prise de vue au téléobjectif renforçant l’impression d'affluence. Cela dit, même si les espérances initiales étaient 37,5 % plus élevées, ce demi-million admis du bout des lèvres reste colossal : mission accomplie.

Et l’on peut compter sur Jean Blaise pour que le bilan d’ensemble des festivités soit glorieux. De toute façon, en l’absence de billetterie, personne ne pourra vérifier. Et je ne suis pas le seul sceptique. Comme l’écrit Gilles Renault, envoyé spécial de Libération, « Nul doute, de la sorte, qu’à l’heure des comptes, Le Havre fournira des chiffres ronflants, mais aussi et surtout approximatifs, sinon fantaisistes, puisque invérifiables et juste destinés à alimenter le satisfecit propagandiste. »