25 juillet 2024

(13) Comment dissuader les Nantais de venir voir le cheval-dragon

 Le passage de Long Ma à Nantes a valu à l’association La Machine une subvention métropolitaine de 79 000 euros, mais que rémunère vraiment cette somme ? C’est là le treizième mystère du cheval-dragon.

Le propriétaire de la mécanique, un milliardaire chinois, la prête aimablement. Elle a été pilotée sur le terrain par ses manipulateurs chinois. Les transports ont été organisés par Bolloré Logistics. Le terrain a été fourni par le Voyage à Nantes. L’encadrement du public a été assuré par soixante bénévoles. La communication, pour l’essentiel, a été gracieusement diffusée par les médias locaux. Le scénario était ultra-sommaire : de temps en temps, le cheval-dragon effectuait un aller-retour à travers l’esplanade des Chantiers.

Le travail effectif de La Machine paraît des plus réduits. Certes, elle s’est chargée de réparer d’urgence une panne mécanique. Mais celle-ci avait pour cause un défaut de conception dû à… elle-même. « Les pattes sont un élément sensible de la machinerie », a-t-elle reconnu sur Facebook. « Il arrive parfois que malgré la présence des capteurs de position, le contact avec le sol se fasse un peu brutalement. »


Beaucoup de visiteurs se sont plaints de ne pas savoir à quel moment la machine s’animerait et n’ont vu qu’un dragon immobile. Or c’était délibéré ! « Nous ne communiquons pas volontairement les horaires précis pour éviter de trop grands rassemblements à un temps T », expliquait la responsable de communication de La Machine. Autrement dit, le but n’était pas d’attirer un maximum de visiteurs mais au contraire de dissuader une partie d’entre eux.

On se demande pourquoi. Chaque sortie de Long Ma a été vue par 3 600 personnes en moyenne, indique Nantes Métropole ; les 130 000 m² du parc des Chantiers peuvent aisément en contenir dix fois plus. Au total, en une dizaine de jours, Long Ma aurait attiré entre 120 000 et 150 000 spectateurs. En août 2015, pour une jauge quasi identique (trois sorties par jour en moyenne pendant dix jours), La Machine avait revendiqué près de 300 000 spectateurs, soit près de 10 000 spectateurs par sortie.

La fréquentation de 2024 représente donc au maximum entre 40 % et 50 % de celle de 2015. Elle est très éloignée aussi des scores revendiqués par La Machine à l’étranger : 1 million de spectateurs en trois jours à Pékin en 2014 et 750 000 en quatre jours à Ottawa en 2017. On a relativement bien réussi à dissuader les Nantais. À part verser 79 000 euros à La Machine, à quoi rimait donc cette opération ?

(Illustration : photo de 2015)

 Les mystères précédents :

(1) où sont les foules chinoises ?
(2) d’où viennent les économies ?
(3) qui est ce mécène si discret ?
(etc.) la surprise du cinquantenaire
(5) Long-Ma, cheval de retour ?
(6) Long-Ma réincarné en Minotaure ?
(7) Pourquoi Ouest-France n’en dit pas plus Long-ma ?
(8) Chinoiseries nantaises
(9) Migrant de Calais
(10) Des cadeaux comme s’il en pleuvait
(11) Le cheval-dragon va-t-il carboniser les comptes du Voyage à Nantes ?
(12) La mystérieuse facture nantaise du cheval-dragon

24 juillet 2024

(12) La mystérieuse facture nantaise du cheval-dragon Long Ma

Comme l’indique Ouest-France, la monstration à Nantes du cheval-dragon mécanique Long Ma « a été possible grâce au financement de Nantes métropole (79 000 €) ». Ouais, se dit-on, 79 000 euros, ça n’est pas donné pour quelques heures d’animation, mais s’il y a eu entre 120 000 et 150 000 spectateurs (selon la police ou selon les organisateurs ?), ça ne fait guère plus d’un demi-euro par personne. Hélas, ça n’est qu’une petite partie du vrai coût de l’opération.

Comme on l’a rappelé précédemment, quand Long Ma a été montré à Calais, La Machine a vendu le spectacle 400 000 euros. Si d’un coup le tarif est divisé par cinq, la maire de Calais peut avoir l’impression de s’être fait estamper, même si son spectacle était plus élaboré. Surtout, plus aucune ville n’acceptera de payer le prix fort. Pas bon pour les affaires futures de La Machine…

Bien entendu, il y a un truc. « La collectivité a participé au financement du show à hauteur de 79 000 €, "en coopération étroite avec le Voyage à Nantes et La Machine" », insiste Ouest-France. Voilà : Nantes Métropole a seulement « participé » en subventionnant La Machine – une « coopération étroite », on peut le dire.

Diplomatie nanto-chinoise

Pour justifier cette subvention, Nantes Métropole avance cette motivation : « le cheval dragon […] construit par la compagnie La Machine dans le cadre du 50ème anniversaire de l’établissement des relations franco-chinoises, et depuis en Chine, revient en France pour le 60ème anniversaire de ces relations ». Si c’est pour la diplomatie, alors... Pourtant, si l’on consulte le programme des manifestations organisées pour cet anniversaire, il n’est nulle part question de cheval-dragon ni de visite à Nantes. Nantes Métropole a organisé toute seule sa politique diplomatique nanto-chinoise.

Un peu précipitamment, semble-t-il. Le soixantième anniversaire date en réalité du 27 janvier dernier, mais c’est seulement le 24 juin que Johanna Rolland a annoncé la visite de la machine et le 5 juillet que le bureau métropolitain a accordé une subvention à La Machine. Pourquoi si tard alors que dès le 6 mai, un communiqué de Bolloré Logistics annonçait le transport du cheval-dragon vers Nantes.


Et pourquoi une subvention ? D’ordinaire, les prestations de La Machine ne sont pas subventionnées mais achetées par les collectivités. Ce changement de procédure a de quoi laisser perplexe. Il n’enthousiasme pas forcément La Machine : en vertu de l’article 10 de la loi du 12 avril 2000, tout citoyen peut désormais avoir accès à ses comptes via Nantes Métropole.

La « coopération étroite » de Nantes Métropole avec Le Voyage de Nantes est-elle de même nature, c’est-à-dire subventionnelle ? La société encore dirigée par Jean Blaise traîne un lourd déficit depuis l’an dernier. On la voit mal prendre en charge une dépense à six chiffres.

Une tonne en trop

Car au prix de la prestation il faut bien sûr ajouter le coût du transport. C’est probablement le poste le plus élevé de la facture totale. En effet, il y a beaucoup plus de travail matériel et administratif dans ce transport international complexe que dans les quelques déambulations de la machine sur le site des Chantiers navals.

Ce printemps, le fret aérien entre la Chine et l’Europe coûtait en moyenne 3,94 dollars par kilo. Soit, pour une machine de 45 tonnes, 177 300 dollars (environ 165 000 euros) pour le seul voyage aller. La vérité est sans doute plus élevée puisque la machine, fragile, exige plus de soin qu’un chargement de colis lambda. En revanche, bonne nouvelle, comme il y a moins de marchandises à transporter de l’Europe à la Chine qu’en sens inverse, les prix du fret sont plus bas : le voyage retour coûtera moins cher.

Au fret aérien, il faut bien sûr ajouter le coût des transports terrestres de Hangzhou, lieu de garage habituel de la machine, à Shenzhen, aéroport de départ, puis de Vatry, aéroport d’arrivée, à Nantes (580 km), et retour. Long Ma a toujours été donné pour 45 tonnes, voire 48 tonnes, ou même 50 tonnes. Pas de chance : au-dessus de 44 tonnes, on tombe réglementairement dans la catégorie « convoi exceptionnel ». Les contraintes imposées rendent le transport beaucoup plus coûteux.

Sans doute a-t-on trouvé moyen de transporter la machine en plusieurs morceaux pour rester au-dessous du plafond de 44 tonnes et bénéficier d’un tarif tonne/km plus modéré, mais en tout état de cause, le coût total du voyage aller/retour de la machine et de ses cinq manipulateurs chinois entre Hangzhou et Nantes se chiffre en centaines de milliers d’euros.

Payés par qui ? Par Nantes Métropole « en coopération » avec Bolloré Logistics ? Ou par Le Voyage à Nantes « en coopération » avec les subventions de Nantes Métropole ? En tout cas, ces quelques heures de spectacle « en accès libre et gratuit », comme dit Nantes Métropole, auront sans doute coûté très cher aux contribuables métropolitains.

(Photo : août 2015)

20 juillet 2024

Le camping des Machines de l’île menacé par un monument historique

« À Nantes, un bateau miniature "pas comme les autres" est classé Monument historique » se réjouissait France Bleu Loire Océan le mois dernier. Ce bateau miniature, c’est la « Caraque », maquette stylisée en acier d’une nef médiévale, exposée devant le bâtiment des Ateliers et chantiers de Nantes.

Il y a de quoi se réjouir, en effet, quoique un ton au-dessous : il n’est pas question pour le moment d’un classement aux monuments historiques mais d’une inscription à la liste supplémentaire des monuments historiques. Une distinction  décernée au niveau du préfet de région et non du ministre de la Culture. Élise Nicolle, sur le site Patrimonia, décrit en détail l’histoire de cette maquette construite en 1983 par des ouvriers de Dubigeon, jusqu’à son inscription aux monuments historiques par un arrêté préfectoral du 28 mars 2024 (qui semble pourtant absent du Recueil des actes administratifs, contrairement, par exemple, à la récente inscription du château de Chassay à Sainte-Luce).

Il n’est pas dit que ce classement enthousiasme tout le monde. Les alentours des monuments historiques sont protégés dans un rayon de 500 mètres. Dans ce périmètre, les campings sont interdits, surtout en cas de « covisibilité » ‑ quand il est possible de voir à la fois le camping et le monument historique. Or, comme chaque année, l’exploitant du petit manège d’Andréa (qui n’appartient pas aux Machines de l’île) a installé un campement le long des nefs de l’île, à 100 mètres à vol d’oiseau de la Caraque.

A vrai dire, le problème se posait déjà depuis l’inscription de la grue jaune aux monuments historiques en 2018 puisque elle se dresse à 400 mètres seulement du campement. Et voilà que la grue, depuis la mi-juin, n’est plus seulement « inscrite » mais « classée », ce qui suppose une protection renforcée des alentours. Il va devenir difficile de camper en toute discrétion.

Le camping en 2013...
...et en 2024


14 juillet 2024

Le Voyage à Nantes s’éprend d’une statue de sable cathartique et votive

Tout près de l’entrée du tunnel Saint-Félix, Le Voyage à Nantes a installé une œuvre sur les pavés du quai Ceineray. Pour en savoir plus, on consulte son guide du Voyage à Nantes 2024. Mauvaise pioche : elle n’y figure pas ! En haut du square du Maquis de Saffré, en revanche, un cartel du Voyage à Nantes invite à observer Soigner Loire, en contrebas, de l’autre côté de l’Erdre. 

Il s’avère que Soigner Loire est destinée à la seule Nuit du VAN – une longue nuit, puisque elle sera exposée du 6 juillet au 23 juillet 2024 selon le cartel, ou au 24 juillet selon Le Voyage à Nantes en ligne. Le 23, le 24 ? Peu importe l’imprécision des organisateurs : de toute façon, Soigner Loire aura pratiquement disparu d’ici là. Car cette œuvre est un tas de sable.


Le Voyage à Nantes la décrit ainsi dans son étrange langue vernaculaire :

« Œuvre éphémère, cathartique et votive, faite de sable de Loire extrait à Noirmoutier et détourné de son destin de béton, les grains qui la composent s'y chargent de l'intensité de la parole de l'artiste et de la puissance des formes nées de ses mains. » 

De l’œuvre elle-même ou de la syntaxe du VAN, on se demande laquelle est la plus indigente. L’artiste – il s’appelle Alioune Diouf – est-il ravi que « l’intensité de [s]a parole » soit réduite à des grains de sable échappés au béton ? (Lesquels, confidence pour confidence, sont absolument muets.)

Soigner Dakar

Vers la mi-juin, un chaland a déposé sur le quai quelques tonnes de sable – de Noirmoutier, on veut bien le croire. Puis l’artiste, en prenant son temps, a sculpté son œuvre dans ce tas. Oh ! n’imaginez pas les châteaux et autres créatures extraordinaires érigés par les champions des concours de plage. Soigner Loire représente apparemment une femme allongée les bras le long du corps, genre gisant de sarcophage sans fioriture. 

L’œuvre n’est même pas originale puisqu’elle reproduit un précédent tas de sable modelé par le sculpteur sénégalais dans le jardin de l’ambassade de France à Dakar en 2022. De Loire, évidemment, il n’était pas question : l’œuvre était alors intitulée Terre-mère.


Inarrêtable, Le Voyage à Nantes poursuit néanmoins son storytelling hasardeux : 

« Conçue initialement comme une œuvre réparatrice du rôle que le commerce triangulaire et colonial a fait tenir à Loire [sic], les questions soulevées par sa réalisation, le dialogue avec différents organismes soucieux du bien-être du fleuve ont forgé un regard plus averti des multiples atteintes qu'il subissait. » 

Les « différents organismes » n’ont peut-être pas averti le sculpteur que la pluviométrie de Nantes n’est pas celle de Dakar (en moyenne, 49 mm de pluie en juin contre 7 mm). Et il faut reconnaître qu’il a joué de malchance cette année. Peu importe, car le destin artistique des grains de sable chargés de l’intensité de la parole, etc., ne s’achève pas sur le quai Ceineray. Le Voyage à Nantes l’explique :

« Au cours du mois de juillet, lorsque le sable aura retrouvé sa forme entropique de tas, il sera réacheminé par voie fluviale jusqu'à Ancenis et Montrelais, où il sera rendu au fleuve. » 

Et même rendu « cérémonieusement » ! La Loire est à 1 km du quai Ceineray par le canal Saint-Félix. Mais pour lui « rendre » le sable prélevé à Noirmoutier, on va la remonter sur 50 km, avec halte à mi-chemin. Une petite croisière fluviale ponctuée par une immersion cérémonieuse : voilà un tas de sable bien soigné. C’est peut-être ça, la bifurcation écologique. Coincé entre l’art et l’écologie, on n’aura pas le culot de demander combien ça coûte.


11 juillet 2024

(11) Le cheval-dragon va-t-il carboniser les comptes du Voyage à Nantes ?

La machine cracheuse de feu construite par François Delarozière arpente à nouveau les terrains des Chantiers navals. « Après de nombreux voyages, en France et dans le monde, LONG MA est donc de retour à Nantes », écrit Nantes Métropole. Comme souvent, la métropole se la raconte. La machine se déplace peu en réalité. Basée en Chine, elle a été montrée en spectacle à Pékin (2014) et dans deux ou trois autres villes chinoises (X’ian, Macao), à Nantes (2015), à Calais (2016), à Ottawa (2017), à Toulouse (2022). Elle a aussi été réparée à Nantes en 2022. 

La raison en est simple : ça coûte. Médiacités a expliqué en 2017 l’économie du cheval-dragon : son propriétaire, le promoteur immobilier chinois Adam Yu, « confie gracieusement sa gigantesque marionnette articulée à la Compagnie La Machine. Charge à elle de l’exploiter. Ce qu’elle fait, à son profit, puisque si les villes tentées par l’expérience n’ont rien à débourser pour accueillir la bête elle-même, elles doivent en revanche rémunérer la Machine pour la logistique et la mise en scène des spectacles. »

Une recette bonne à prendre pour La Machine

À combien s’élève la facture de la Machine ? « Le coût d'une session de ces grands spectacles est très variable », expliquait sa chargée de com’, Fredette Lampre, à France 3 en 2022. « Pour Pékin, en 2014, où il fallait du grand spectacle, le budget était de 900 000 euros. Pour Calais, le spectacle a été acheté 400 000 euros, mais il y avait moins d'effets ». (Tout compris, Calais a quand même déboursé 1,2 million d’euros).

La Machine ne fait sûrement pas de cadeau à Nantes car elle a besoin d’argent. Si ce n’est elle, c’est sa jumelle, La Machine Toulouse, qui exploite la Halle des Machines de Montaudran et se trouve en situation délicate (du moins était-elle prise à la gorge fin 2020 ; depuis lors, elle se soustrait à l’obligation légale de publication de ses comptes, ce qui n’est pas bon signe).

Cependant, le prix des prestations n’est pas tout. Transporter à travers le monde cet engin fragile de 45 tonnes est une gageure. Bolloré Logistics se félicitait voici quelques semaines de l’efficacité de ses équipes qui « ont réalisé avec succès le transport complet de cette pièce de haute valeur et exceptionnellement grande, avec départ en camion de Hangzhou (Chine) vers l’aéroport de Shenzhen (Chine), et arrivée à l’aéroport de Vatry (France). » Bolloré Logistics doit aussi assurer le voyage retour.

Quand les bornes financières sont franchies…

Le coût de l’opération n’est pas indiqué. On sait cependant que le premier voyage de Long Ma de Nantes à Pékin à bord d’un énorme Antonov-124, en 2014, avait été évalué à 600 000 euros. Il avait fallu trois mois de travail à Air Partner et Ruslan International pour mettre au point l’opération. En 2018, un projet inabouti de transport du cheval-dragon et de l’araignée mécanique géante Kumo à Ottawa était chiffré aux alentours de 500 000 dollars.

Le billet d’avion n’est pas forcément beaucoup plus cher cette fois-ci car les prix du fret aérien ont baissé en 2023. Mais, tout compris, les quelques déambulations de Long Ma au bord de la Loire coûteront sûrement des centaines de milliers d’euros aux contribuables métropolitains. Le Voyage à Nantes était déjà en déficit de près d’un million d’euros en 2023, principalement à cause des Machines de l’île. Alors que l’été 2024 se présente mal, entre absence de nouvelles attractions et difficultés de circulation, était-ce vraiment le moment d’en rajouter ?

Une question qui s’ajoute aux nombreuses interrogations soulevées par le cheval-dragon depuis dix ans, dont peu ont trouvé réponse à ce jour :

(1) où sont les foules chinoises ?

(2) d’où viennent les économies ?

(3) qui est ce mécène si discret ?

(etc.) la surprise du cinquantenaire

(5) Long-Ma, cheval de retour ?

(6) Long-Ma réincarné en Minotaure ?

(7) Pourquoi Ouest-France n’en dit pas plus Long-ma ?

(8) Chinoiseries nantaises

(9) Migrant de Calais

(10) des cadeaux comme s’il en pleuvait

08 juillet 2024

Constitution et élections : Ayrault a tout faux

Mais quelle mouche a donc piqué Jean-Marc Ayrault pour qu’il publie dans Le Monde, deux jours avant le deuxième tour des élections législatives, une tribune consacrée à la réforme de la Constitution par le Rassemblement national (RN) ?

L’ancien maire de Nantes n’a jamais été considéré comme un constitutionnaliste éminent, ni même comme un législateur éminent, d’ailleurs. Certes, il s’est fait aider dans sa rédaction par son collaborateur Pierre-Yves Bocquet. Mais celui-ci, qui a jadis écrit des discours pour le président Hollande, n’est pas davantage constitutionnaliste (en fait, c’est plutôt un spécialiste de la musique américaine contemporaine). Alors, pourquoi s’aventurer en terrain mal connu ? Mystère.

Cette tribune se situe dans l’optique d’une victoire électorale du RN. Envisager froidement la victoire de l’adversaire n’est jamais une bonne idée : c’est répandre un climat défaitiste. Sans même l’excuse d’une vision prophétique puisque finalement le RN ne l’a pas emporté !

Dans le récit de politique-fiction ayraultique, le RN remporte l’élection et Emmanuel Macron, après une brève cohabitation, démissionne le 15 septembre 2024 (les auteurs de la tribune conviennent quand même qu’il s’agit d’une hypothèse « purement théorique » !). Une élection présidentielle est organisée les 20 octobre et 3 novembre 2024 et Marine Le Pen est élue au deuxième tour. Elle prend ses fonctions le 8 novembre.

La nouvelle présidente de la République engage alors une modification de la Constitution de la Ve République afin de transformer la France en une démocratie « illibérale ». Elle dispose pour cela d’une clé magique : « Cette clé est le recours à l’article 11 de la Constitution, qui permet au président de soumettre au référendum un texte de loi sans le soumettre au Parlement. » Politique fiction toujours : ce référendum a lieu le 22 décembre 2024.

Ce qu’en dit Fabius

La Constitution de la Ve République a été modifiée vingt-cinq fois, mais pas souvent par le biais de l’article 11. Pour Jean-Marc Ayrault, il semble plus ou moins caduc de facto : « après 1969, l’article 11 n’a plus été utilisé pour modifier la Constitution ». Cette affirmation est fausse, bien entendu : en 2005, l’article 11 a bel et bien été utilisé lors du référendum sur le traité établissant une Constitution pour l’Europe. Simplement, le coup a manqué : si la Constitution n’a pas été modifiée, c’est parce que les Français ont dit « non » !

Aujourd’hui, insiste néanmoins Jean-Marc Ayrault, « la plupart des juristes, comme le président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, considèrent que la Constitution ne peut être révisée par cette voie ». Ah ! tiens, Laurent Fabius, justement, a été interrogé sur le sujet par Le Monde voici deux mois. Il a répondu : « l’article 11 prévoit les cas précis dans lesquels on peut utiliser le référendum direct. » Autrement dit, on peut l’utiliser au moins dans certains cas (et en fait, ces « cas précis » ratissent large : ils peuvent porter « sur l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics » !). Avant d’invoquer le président du Conseil constitutionnel, Jean-Marc Ayrault aurait bien fait de lui demander son avis.

François Mitterrand n’a jamais utilisé l’article 11. Cependant, le 12 juillet 1984, il envisageait une révision de cet article qui lui aurait permis de consulter directement les Français sur les grandes questions touchant aux libertés publiques. Le 12 avril 1992, il menaçait, en cas de « mauvais vouloir » du Parlement à propos du traité de Maastricht, de recourir au référendum prévu à l’article 11 de la Constitution. Mais quoi, François Mitterrand, c’est loin…

La mémoire qui flanche

Jean-Marc Ayrault lui-même nourrissait autrefois envers l’article 11 des sentiments beaucoup plus positifs. En 2009, il a déposé à l’Assemblée nationale, au nom du groupe socialiste, une proposition de résolution « estimant urgente la mise en œuvre l’article 11 de la Constitution sur l’extension du référendum ». Il s’agissait de faciliter le référendum d’initiative populaire, « exercice démocratique national » en limitant le pouvoir du Parlement (et en constatant au passage que le Conseil constitutionnel n’a pas à s’en mêler – et toc ! pour Laurent Fabius). La résolution n’ira pas plus loin, mais les archives de l’Assemblée nationale sont impitoyables !

Ce qui rend encore plus épineuse la question posée ci-dessus : quelle mouche a piqué Jean-Marc Ayrault ? Il a fait quelques apparitions sur le terrain pendant la campagne des législatives. Et l’on annonce déjà la parution de ses mémoires pour l’an prochain. Voudrait-il sortir de sa quasi-retraite (la Fondation pour la mémoire de l’esclavage progresse à petits pas prudents…) afin de redevenir maire de Nantes à en 2026, à 76 ans, inspiré peut-être par l’exemple de Donald Trump et Joe Biden, respectivement 78 et 81 ans ?

Ou bien, puisqu'il a été dit, après son calamiteux passage au gouvernement sous Hollande, qu’il aimerait siéger au Conseil constitutionnel, et que justement le siège de Laurent Fabius sera disponible en mars prochain, lorgnerait-il vers le Palais-Royal ? Mais cette tribune bricolée serait une drôle de manière de présenter une candidature…

Illustration : extrait de la fresque du mur de Royal de Luxe en 2011 après vandalisation

01 juillet 2024

CAP 44 et le futur Musée Jules Verne : l’imaginaire budgétaire de Nantes Métropole

 Quand Nantes Métropole a racheté CAP 44, l’immeuble bleu qui fait face au Jardin extraordinaire, en 2018, on s’est demandé si c’était pour le démolir, afin d’assurer une vue sur Loire au futur Arbre aux Hérons, ou pour le conserver, afin d’en faire le témoin du procédé Hennebique de construction en béton armé. La première solution a été écartée en 2022, mais la nomination d’un maître d’œuvre pour les travaux à venir écarte de facto la seconde.


CAP 44, dit Johanna Rolland, va subir une « transformation respectueuse de l’histoire des lieux ». Ainsi, au lieu de respecter la technologie du procédé Hennebique, qui aurait consisté à rétablir le bâtiment dans son état initial, on va respecter « l’histoire des lieux » ? Mais laquelle, d’histoire ? L’immeuble a été une minoterie pendant quarante ans, un immeuble tertiaire pendant un peu plus longtemps et un chantier ou un squat le reste du temps. Et pour respecter cette histoire tripartionnée on va en faire… un musée ?

Transformer un immeuble industriel en tout autre chose, Nantes Métropole a déjà essayé avec l’École des beaux-arts de Nantes-Saint-Nazaire (ENSBANN), ex-halle Alstom. Le résultat est rien moins que convaincant : cher, peu fonctionnel, sans grand intérêt visuel, et critiqué par la chambre régionale des comptes par-dessus le marché ! 

On fera sûrement mieux cette fois et l’on tiendra sûrement le budget. Il est annoncé à 50 millions d’euros. C’était déjà le montant prévu en 2022 : belle stabilité des prix prévisionnels.


28 juin 2024

À trop gonfler la subvention des Machines de l’île, Nantes Métropole pourrait faire éclater le contrat de DSP

Ce vendredi, suite du conseil métropolitain commencé hier. À l’ordre du jour figure une délibération n° 42 consacrée aux Machines de l’île. Sujet : « Tarifs 2024 ‑ Avenant n° 16 ». Derrière ce titre qui ne mange pas de pain figure une augmentation considérable de la « contribution forfaitaire de fonctionnement » versée par Nantes Métropole aux Machines de l’île.

Les Machines sont gérées par la SPL Le Voyage à Nantes dans le cadre d’un contrat de délégation de service public (DSP) signé en 2011. Dans une DSP, le délégataire exploite l’affaire à ses risques et périls. Il peut juste bénéficier de subventions en contrepartie des contraintes de service public imposées par la collectivité dans le contrat de DSP.


Depuis 2011, pas moins de quinze avenants ont déjà modifié la convention initiale de DSP. Plusieurs portent sur les contributions versées par Nantes Métropole. En 2023, l’avenant n° 13 fixait la «  contribution globale annuelle » à 1 946 161 euros TTC « conformément à l'évolution prévue au contrat ». Ce qui représente quand même près de 3 euros par billet vendu pour l’une des trois attractions des Machines.

Sujétions pas substantielles

Cette fois, Nantes Métropole entend porter sa contribution pour 2024 à 3 130 353 euros TTC. Soit une augmentation soudaine de 1 184 192 euros (+ 60,85 %). Il n’est évidemment pas question d’une « évolution prévue au contrat » ! Mais il s’agit, affirme benoîtement Nantes Métropole, « de compenser les sujétions de service public imposées au délégataire sans pour autant atténuer le risque lié à l’exploitation du service ».

En quoi lesdites sujétions ont-elles augmenté de plus de 60 % d’une année sur l’autre ? En rien du tout. De toute évidence, Nantes Métropole se précipite au secours de l’un de ses satellites en difficulté financière, à cause des déficits chroniques des Machines de l'île. Mais la collectivité insiste : son avenant est « conclu sur le fondement de l'article R3135-7 du code de la commande publique qui autorise des modifications, quel qu’en soit le montant, lorsqu’elles ne sont pas substantielles ». À ce jeu de ceinture et bretelles, Nantes Métropole en fait trop.

Les gros sabots du légalisme

Le sujet n’est pas anodin : en cas de modifications « substantielles », pas question d’un simple avenant : il faut conclure un nouveau contrat (et pour cela, en principe, remettre en concurrence la DSP).

Nantes Métropole fait semblant de ne raisonner qu’en montants absolus : la loi dit : « quel qu’en soit le montant » ! Mais l’article R3135-7 du code de la commande publique considère expressément comme substantielle une condition qui « modifie l'équilibre économique de la concession en faveur du concessionnaire d'une manière qui n'était pas prévue dans le contrat de concession initial ». Que ce soit en lui imposant 60 % de « sujétions de service public » en plus ou en lui versant 60 % de subvention en plus, il est difficile de dire qu’on n’est pas dans ce cas.

Les formules rituelles de Nantes Métropole cherchent à donner l’illusion que la loi est respectée. Suffiront-elles à tromper la vigilance du préfet ?

18 juin 2024

Le 18 juin des Machines de l’île

Le 18 juin n’est pas seulement l’anniversaire du jour de 1940 où le général de Gaulle n’a pas dit « la France a perdu une bataille, la France n’a pas perdu la guerre » (même si beaucoup disent l’avoir entendu) et du jour de 1815 où le général Cambronne n’a pas dit « la Garde meurt mais ne se rend pas » (même si on peut le lire sur le socle de sa statue en plein centre de Nantes). C’est aussi l’anniversaire du jour de 2004 où Jean-Marc Ayrault a fait prendre au conseil de Nantes Métropole une décision qu’il aurait mieux fait de ne pas prendre.

Cette décision du 18 juin 2004 était la création des Machines de l’île. Tout citoyen nantais un tant soit peu conformiste se doit de penser du bien des Machines de l’île. Mais le citoyen un tant soit peu objectif voit bien que les promesses d’il y a vingt ans n'ont pas été tenues.

Le modèle expressément visé par Jean-Marc Ayrault était le musée Guggenheim de Bilbao. Personne ne prétendra que Les Machines ont apporté à Nantes un prestige comparable. Ni même une fréquentation comparable. La plupart des machines annoncées le 18 juin 2004 n’ont pas vu le jour, sans doute parce qu’elles étaient aussi irréalisables que la dernière d’entre elles, l’Arbre aux Hérons.

Un cabinet spécialisé avait pourtant prévenu : sur neuf projets présentés, celui des Machines était le moins bon. Mais selon un autre cabinet spécialisé on pouvait « raisonnablement tabler sur un équilibre d’exploitation » dès la première année. Cet équilibre, on le sait, n’a jamais été atteint. Sans parler des investissements, supportés en direct par Nantes Métropole.

Et pas dans les meilleures conditions : le conseil du 18 juin a aussi décidé de réserver ses commandes à Fançois Delarozière et Pierre Orefice, sans publicité ni mise en concurrence. Il aurait fallu beaucoup de vertu pour serrer les prix...

Voir article complet sur Nantes Plus :

https://nantesplus.org/nantes-metropole-preferera-sans-doute-ne-pas-feter-le-vingtieme-anniversaire-du-18-juin-2004/

Nantes Métropole préférera sans doute ne pas fêter le vingtième anniversaire du 18 juin 2004

17 juin 2024

Johanna Rolland et le verbiage à Nantes

Non sans une petite erreur au passage, Johanna Rolland cite André Breton dans le supplément local du Point du 13 juin. Oui, André Breton a parlé de Nantes, « peut-être avec Paris la seule ville de France où j’ai l’impression que peut m’arriver quelque chose qui en vaut la peine ». Encore cette tarte à la crème bientôt centenaire ! On note quand même le « peut-être », qui relativise l’enthousiasme de l’écrivain.

Mais  la maire de Nantes a-t-elle seulement lu la suite de la phrase, ce qui arrive à l’écrivain et qui « en vaut la peine » ? La voici : « …le temps de traverser Nantes en automobile et de voir cette femme, une ouvrière, je crois, qu’accompagnait un homme, et qui a levé les yeux : j’aurais dû m’arrêter. » Alors qu’elle cite André Breton « pour parler de la culture à Nantes », le chef à plumes surréaliste semble plutôt sur le registre de la dragounette !

Et quand elle multiplie les restrictions de circulation, Johanna Rolland censure quasiment les écrivains-automobilistes d’aujourd’hui !

Voir article complet sur Nantes Plus :

https://nantesplus.org/le-breton-quadore-johanna-rolland/

Le Breton qu’adore Johanna Rolland


(Diego Rivera, Leon Trotsky et André Breton, photo Flickr, licence CC BY-SA 2.0)