24 juin 2017

Médusant, le musée d’arts : (9) 88,5 millions d’euros plus tard, l’essentiel est toujours là

On aurait cru qu’à 19h00 la rue Clemenceau aurait été noire de monde. Eh ! bien, pas du tout : un gros millier de personnes seulement attendaient l’ouverture officielle du musée d’arts de Nantes ce vendredi. Même si un contingent de chapeaux à plumes avait parcouru les lieux en avance sur le bas-peuple, et si quelques centaines de retardataires ont préféré éviter la presse des premières minutes, ce n’était pas la ruée des foules.

Vêtue d’une robe en mousseline bleue outremer d’un minimalisme à faire bouillir de jalousie les chauffeurs de la TAN, Johanna Rolland a prononcé un discours de circonstance. La Ville a veillé à ce que les travaux de rénovation profitent aux entreprises locales, a-t-elle assuré sans trop insister sur le fait que la conception avait été confiée à un cabinet anglais et l’ensemble du chantier à une filiale du groupe Bouygues. Et l’on a pu entrer.

Et alors ? Et alors ? Eh ! bien, soulagement : le patio est toujours là, inondé de lumière, et puis le double escalier monumental, et les grandes galeries du premier étage. On ne dira pas que c’était mieux avant : c’était pareil. Certes, les accrochages ont été remaniés, c’est la règle du jeu et un peu de changement ne fait pas de mal, on se dit juste que c’est beaucoup d’argent et beaucoup d’air brassés pour pas grand chose. L’essentiel étant quand même que l’essentiel demeure, jusqu’à l’autruche empaillée de Maurizio Cattelan, la tête dans le parquet, c’est décalé, ça fait rire les enfants et ça ne les traumatise pas comme le gorille de Fremiet, très bien.

Côté Cube, en revanche, ça ne rigole pas. Par ce temps de bêtises plates qui court, au milieu des stupidités normales qui nous encombrent, il est réjouissant, ne fût-ce que par diversion, de rencontrer au moins une bêtise échevelée, une stupidité gigantesque. Mais comme il faut traiter la question avec tout le sérieux qui convient, on se donnera le temps de la réflexion pour y revenir plus tard.

18 juin 2017

Médusant, le musée d’arts : (8) et modeste, avec ça

Comment Johanna Rolland aurait-elle pu se douter, il y a six mois, quand elle a annoncé l'inauguration du musée d'arts de Nantes le 23 juin, que la Fête de la musique aurait lieu le 21, le dixième anniversaire des Machines de l’île le 30 et la Nuit du VAN, coup d'envoi du Voyage à Nantes 2017, le 1er juillet ? Cela pour le local. Côté international, Johanna Rolland ne pouvait pas non plus imaginer que The Bridge et le Hellfest, au succès de plus en plus colossal, allaient imprégner l’image de Nantes en cette fin juin.

Cette cascade d'événements en une quinzaine de jours est-elle gênante ? Non : aucun d'eux n'arrive à la cheville du musée, qui va bien sûr envahir tout le paysage médiatique. Déjà, Jean-Marc Ayrault le présentait jadis comme « le grand projet » de son quatrième mandat municipal. Le grand projet est devenu grandissime : il lui a fallu en définitive deux fois plus d’argent et trois fois plus de temps que prévu. Des dérapages conformes aux ambitions touristico-culturelles de la ville : énormes. Forcément, la presse internationale n'aura d'yeux que pour lui.

Nantes Métropole est bien consciente de l’enjeu. « La prochaine grande étape sera l'ouverture du musée des Beaux-arts », déclarait Jean Blaise aux Echos en novembre dernier. « Ce sera la star de l'édition 2017. » Comme Jean Blaise est très capable d’être à la fois à Nantes au Havre (qu'il qualifiait lui-même de « star de l'année 2017 »), il a concocté des festivités grandioses pour la circonstance. En particulier un jeu de piste et un concours de selfies. Voilà du neuf, du prestigieux et du culturel !

Mais l’essentiel, pour un musée d’arts, c’est encore l’art. Pour marquer sa réouverture, celui de Nantes a prévu une exposition à la hauteur de ses 88,5 millions d’investissement, qui assurera d’emblée son prestige auprès de l'establishment artistique mondial : une installation de la plasticienne franco-autrichienne Suzanna Fritscher. La notice de celle-ci sur Wikipédia répertorie près d’une dizaine d’expositions personnelles, dont trois hors de France (une en Allemagne, deux en Autriche), et une en Bretagne, déjà, à la chapelle Sainte-Tréphine de Pontivy.

La surprise n'est pas totale à Nantes, car la plasticienne n'y manquait pas d’amis fidèles. Elle a exposé deux ou trois fois au Hangar à bananes ; surtout, elle a participé dès les débuts au projet de Stanton Williams pour le musée des beaux-arts. Ailleurs, le secret avait été mieux gardé et l’annonce de cette exposition aura roulé comme un coup de tonnerre jusques aux confins de l’univers artistique.

Cependant, le musée d’arts protège aussi ses arrières. À l’intention des visiteurs plus proches du ras des pâquerettes, il a prévu un « Hommage à Monet et Rodin » : avec de telles vedettes, on ne peut pas se tromper. Cette exposition-là est centrée sur trois œuvres « exceptionnellement prêtées » par le Musée Rodin : un petit bronze et deux plâtres. De quoi faire la nique à l’exposition du centenaire (Auguste Rodin est mort le 17 novembre 2017) visible jusqu’à la fin juillet au Grand Palais de Paris ; les œuvres du sculpteur s’y comptent par centaines, d’accord, mais on n’y trouve pas la Grande main crispée avec figure implorante. Pour voir celle-ci, il faudra venir à Nantes !

15 juin 2017

Médusant, le musée d’arts : (7) notre Guggenheim à nous Nantais

Tapez « le voyage à nantes » dans un moteur de recherche, et vous en aurez confirmation : Nantes est une ville renversée par l’art. Les touristes affluent du monde entier pour se gaver d’émotions artistiques. Et tout ça sans un musée d’art digne de ce nom, puisque le musée des beaux-arts est fermé depuis 2011. Trop fort, Le Voyage à Nantes !

En faisant avaliser la création des Machines de l’île par le conseil communautaire en 2007, Jean-Marc Ayrault avait fait référence explicitement au musée Guggenheim de Bilbao. Avec la (ré)ouverture du musée d’arts le 23 juin, Nantes va d’un coup doubler sa mise artistique. Ce n’est plus un équivalent-Guggenheim que nous aurons mais deux.

Ou presque. Le Guggenheim a coûté 89 millions de dollars. La rénovation du musée d’arts de Nantes, 88,5 millions d’euros. Compte tenu de l’inflation et de l’évolution des cours des monnaies, 89 millions de dollars de 1997 représentent à peu près 102 millions d’euros aujourd’hui ‑ mais le Guggenheim, lui, a été construit ex nihilo. Compte tenu de l’existant, l’investissement total est donc plus élevé à Nantes.

En revanche, même augmentées de 30 %, les surfaces d’exposition du musée de Nantes resteront inférieures d’environ un cinquième aux 11.000 m² du Guggenheim. Sur le papier, l’affaire n’est donc pas bonne.

Reste à voir quel sera l’effet de cet investissement sur l’économie touristique nantaise. La comparaison entre Nantes et Bilbao n’est pas absurde. La ville de Bilbao compte environ 350.000 habitants ; Nantes environ 300.000. L’aire urbaine de Bilbao, environ 1 million d’habitants ; celle de Nantes, un peu plus de 900.000. Bilboko Aireportua a vu passer l’an dernier près de 4,6 millions de passagers, Nantes Atlantique près de 4,8 millions.

Le musée Guggenheim a accueilli 1 169 404 visiteurs l’an dernier. À Nantes, on en espère… 200.000 par an ! Pourtant, on casse les prix : le billet d’entrée coûte 13 euros à Bilbao ; il en coûtera 8 à Nantes. Il suffira d'un peu plus de 55 ans pour couvrir le coût du musée, à condition que chacun des 200.000 visiteurs annuels paie plein tarif. La ville renversée par l’art se relèvera-t-elle ?

13 juin 2017

Médusant, le musée d’arts : (6) la vie secrète des panneaux municipaux

Non, malgré ses mâts beiges, ses rampes bronze, ses potelets inox, ses grilles grises et ses corsets d’arbres noirs, le musée d’arts n’a pas réussi à éradiquer le vert nantais. Un point de résistance demeure au coin de la rue Clemenceau. Une petite pancarte y indique à l’intention des piétons : « 1 min musée d’arts de Nantes ». Bon, la pancarte elle-même ajoute à l’anarchie des couleurs : elle est marron. Mais elle est fixée, sans souci d’unité, sur un poteau… vert nantais !

D’autres pancartes sont semées dans les environs. Elles ont remplacé celles qui signalaient un « musée des beaux-arts », installées voici deux ou trois ans – des pancartes totalement inutiles puisque le musée était alors en travaux et qu’il a fallu les mettre au rebut pour baliser désormais  le « musée d’arts ». La pancarte du cours Saint-Pierre avait été la vedette de ce blog en juin 2015. Elle pointait alors vers le sud, en direction de la tour LU, et tant pis pour le touriste marcheur ! Il avait fallu six mois pour que, moyennant un coup de tournevis, une petite rotation à 90° la replace dans le bon sens.

Un autre coup de tournevis et la pancarte « musée d’arts » a remplacé la pancarte « musée des beaux-arts », toujours dans le bon sens. Mais ceux qui manient le tournevis ne sont pas ceux qui manient la brosse : le poteau qui soutient la pancarte était déjà très sale en juin 2015. Il l’est un peu plus aujourd’hui (ci-dessous, de gauche à droite, le poteau en juin 2015, janvier 2016 et juin 2017). Mais il reste dix jours pour le nettoyer avant l’inauguration du musée…

            



















Pour en finir avec ces petits trucs, une bizarrerie qui aurait sans doute enchanté Julien Gracq du temps où il était interne au lycée Clemenceau, tant elle révèle combien la « forme d’une ville » est élastique, quelquefois. Le poteau planté à l’angle de la rue Clemenceau porte deux pancartes. L’une indique, comme on l’a dit :

« 1 min musée d’arts de Nantes »

la seconde assure :

« 4 min Jardin des Plantes »

Passons sur la majuscule à laquelle les plantes ont droit mais pas les arts. Intéressons-nous plutôt aux distances. Du coin de la rue à l’entrée du musée, il y a environ 130 mètres. Et de l’entrée du musée à celle du jardin, environ 190 mètres. Le piéton obéissant marchera donc à 7,8 km/h jusqu’au musée, puis à 3,8 km/h jusqu’au jardin.

Plus étrange encore : en examinant les photos ci-dessus (il suffit de cliquer dessus pour les agrandir), on constate que si le musée des beaux-arts se trouvait encore à 3 minutes de marche du cours Saint-Pierre en janvier 2016, le musée d'arts, lui, n'est plus qu'à 2 minutes aujourd'hui. Est-ce le piéton qui presse le pas ou Nantes qui a rétréci ? Mystère...

08 juin 2017

Médusant, le musée d’arts : (5) milles abords !*

Le musée d’arts de Nantes en jette. Du moins sa partie principale, qui attire tous les regards. Ce qui va être inauguré le 23 juin 2017, c’est avant tout le bâtiment construit par Clément-Marie Josso en 1900. Le reste, dirait-on, n’est qu’accessoires.

Mais certains de ces accessoires dérangent. À commencer par les quatre énormes poteaux plantés sur le trottoir. Allez donc essayer de faire un selfie sur fond de musée : vous n’y échapperez pas. Leur hauteur est peut-être conforme aux ambitions du musée, qui y hissera ses bannières. En revanche, elle n’est pas proportionnée au site : la rue Clemenceau n’est pas la place Rouge. À vouloir la déguiser en « parvis », on ne fait que souligner sa relative étroitesse.

Secondés par de multiples potelets (décidément une addiction nantaise), ces mâts imposent leur verticalité, contrastant avec les lignes horizontales des marches et des corniches du musée. Mais ce parti-pris linéaire est aussitôt contesté par le pavage en zigzag du parvis, dont la légitimité esthétique ne saute pas aux yeux ; là encore, on a confondu la rue Clemenceau avec une vaste esplanade. Ni horizontalité, ni verticalité, ni zigzags cependant dans le mobilier urbain face au musée : les corsets d’arbre alignés comme à la parade face au musée cultivent la courbe. Et sont emmanchés sans souci de cohérence dans des grilles d’arbre mariant le rond et le carré, choisies apparemment dans la gamme « Les Désaxées » de Sineu Graff

Question couleurs, l’harmonie ne règne pas davantage. Rien d'étonnant, d’ailleurs : depuis l’ère Ayrault, les choix de mobiliers urbains sont partis dans tous les sens, sans souci d’unité ni même d’esthétique générale. Le « vert nantais » était jadis de rigueur dans le secteur protégé. Aujourd’hui, les couleurs semblent régies par le petit-bonheur-la-chance. Autour du musée, le beige des poteaux n’est déjà pas vraiment en harmonie avec le bronze des rampes d’escalier. Et il a fallu qu’en plus on les flanque de potelets inox et de corsets d’arbres noirs !

À l’extrémité du musée côté rue Élie-Delaunay, cependant, on a conservé une partie de l’ancienne grille. Jadis peinte en vert nantais, elle a été repeinte en gris. Un gris plus foncé que celui de l’abribus voisin. Et pas en en cohérence, bien sûr, avec les potelets inox qui balisent le passage pour piétons côté ouest. Ni avec ceux qui le balisent côté est : ceux-là sont d'un beau vert nantais. Comme le sont, plus ou moins, les grilles du jardin des plantes, au bout de la rue. Et pendant ce temps-là, celles du lycée Clemenceau, juste en face, ont pris une teinte scarabée…
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* Je sais bien que « mille » ne prend pas de « s », mais la marque du pluriel souligne la diversité, je trouve. Puisque Nantes l’emploie fautivement dans « musée d’arts », pourquoi n’aurais-je pas le droit d’en faire autant ? Et les tintinophiles apprécieront.

02 juin 2017

Le musée d’arts de Nantes n’est pas un musée d’lettres

Quand le musée des beaux-arts de Nantes devient musée d’arts de Nantes, le beau n’est pas seul menacé : la langue française est aussi malmenée.

« Musée d’arts »… D’où sort cette apostrophe incongrue ? En français, une apostrophe marque une élision (elle peut avoir d’autres usages dans d’autres langues, comme en breton). L’élision consiste à effacer la voyelle finale d’un mot qui précède un autre mot commençant par une voyelle ou un « h » muet.

Quelle élision avons-nous ici ? « Arts » commence bien par une voyelle. Mais le mot qui précède, « des », ne se termine pas par une voyelle. On aurait pu se contenter de supprimer l’adjectif « beaux » pour transformer le musée des beaux-arts en « musée des arts ». On aurait pu le transformer en « musée d’art », où « d’ » aurait été la contraction de « de le ». Mais « musée d’arts », c’est foireux.

À qui la faute ? « Dimanche, le musée des Beaux-arts a fermé ses portes pour deux ans de travaux d’agrandissement », écrivait Jean-Marc Ayrault sur son blog le 26 septembre 2011. « Une fermeture avec la promesse d’un grand musée d’art à Nantes ouvert à tous les publics en 2013 ! » On note le singulier. De bons esprits l’auraient-ils trouvé réducteur, le corrigeant subrepticement d’un « s » muet ?

Ce n’est pas si simple, pourtant. Plusieurs mois auparavant, le « musée d’Arts » au pluriel avait fait une première apparition dans le procès-verbal du conseil municipal du 1er avril 2011*. Une faute de frappe ? On imagine pourtant que le P.V. avait été soigneusement relu par le député-maire d’alors : Jean-Marc Ayrault lui-même. En septembre 2012, inversement le guide municipal Tout savoir pour se déplacer dans le centre-ville indiquait : « Le musée des Beaux-Arts devient le musée d’Art ». Le « s » était reparti.

Allait-on retenir le pluriel, comme au Musée des arts et métiers ou au Musée des arts décoratifs ? Ou bien le singulier, comme au Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg ou au Musée d'art moderne André Malraux du Havre ? On peut supposer que Jean-Marc Ayrault, guidé par l’indécision, a tiré au milieu, choisissant pile-poil la formule fautive…
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* C'était aussi, semble-t-il, la première mention d'un largage de l'adjectif "beaux". L'intervention relatée par le P.V. était celle de Pascal Bolo. Si l'on enlève le "Bo", que reste-t-il vraiment ?