Bien entendu, 373.525 euros recueillis par le projet pour
100.000 demandés, c’est un succès. Mais pas si grand que ça.
D’abord, le montant visé n’était pas très ambitieux. Même
Laurence Garnier en convient : « 100.000 euros, je trouvais ça
extrêmement modeste ». Ça n’était que 0,29 % du budget prévu pour la
construction de L’Arbre aux Hérons. Et 373.525 euros obtenus, ça n’est encore
que 1,07 % du montant nécessaire. Pas de quoi pavoiser.
Le financement sollicité avait-il été délibérément minoré ?
La
règle en vigueur sur Kickstarter est celle-ci :
« Votre objectif représente le
financement minimum dont vous avez besoin pour aller au bout de votre projet et
produire, puis expédier, vos récompenses. » L’Arbre aux Hérons était
d’emblée hors des clous puisqu’il n’était pas question de solliciter les 35
millions d’euros du projet total, ni même le tiers à la charge du secteur privé
(« Il nous faut trouver 12 millions d’euros de financement privés pour
ce projet »,
soulignait
Pierre Orefice lui-même)
. Dès lors, le montant demandé était forcément arbitraire.
Arbitraire
et pas franc du collier puisque, en septembre 2017, Pierre Orefice annonçait un
objectif officiel de 200.000 euros au lieu de 100.000. La division par deux de
l’objectif affiché ne pouvait être destinée qu’à embellir le résultat final. En effet les organisateurs ne cachaient pas qu’ils comptaient obtenir en réalité
bien plus que le montant demandé. Combien ? « Le cocréateur de
l’Arbre aux hérons se dit qu’il n’est pas impossible que la cagnotte dépasse
les 500 000 euros, voire le million d’ici la fin du mois d'avril, quand la
campagne prendra fin »,
écrivait
Pierre Schneidermann dans Konbini après avoir interrogé Pierre Orefice (cf.
http://www.konbini.com/fr/tendances-2/nouveau-projet-machines-de-nantes-carton-kickstarter/).
Le résultat obtenu est très inférieur à ces espérances.
Un gros Kickstarter quand même
Une comparaison avec d’autres campagnes relativise le bilan.
Chez Kickstarter, la moyenne des sommes récoltées est de l’ordre de 20.000
euros par projet réussi. L’Arbre aux Hérons / The Herons’ Tree est donc un
projet important. Mais 288 projets ont obtenu plus de 1 million de dollars,
soit un peu plus de 830.000 euros ‑ plus de deux fois le montant obtenu par le
projet nantais.
Les projets les mieux financés ne sont pas uniquement
américains. Parmi eux figurent plusieurs projets français comme le jeu
The
Seventh Continent - What Goes Up, Must Come Down, plus de 7 millions de
dollars obtenus auprès de 43.733 contributeurs, un appareil photo à 360 degrés,
pas loin de 1,5 million de dollars et de 4.000 contributeurs ou une douche
high-tech,
763.412 euros pour 6.167 contributeurs. L’Arbre aux Hérons n’est que le
treizième projet français le mieux financé sur Kickstarter.
Cependant, la comparaison doit être nuancée en sa faveur. La
grande majorité des projets prévoient parmi les récompenses des produits qui en
sont issus – des exemplaires du jeu The Seventh Continent, par exemple. Ce sont
des ventes anticipées. À ce jour, L’Arbre aux Hérons n’a rien à vendre :
sa construction n’est même pas acquise. Et s’il est construit en définitive, on
ignore qui l’exploiterait. Probablement pas M. Hug de Larauze, qui ne peut prendre d’engagements pour
autrui bien que Kickstarter le désigne comme responsable du projet. (N.B. Les plus gros contributeurs ont néanmoins droit à dix ans d’accès
gratuit à L’Arbre aux Hérons ; juridiquement, le transfert de cet
engagement de M. Hug de Larauze au futur exploitant de L’Arbre aux Hérons
pourrait être un peu acrobatique, sans parler du traitement fiscal de ces
« pass » dont la valeur pourrait être estimée à 380 euros l’un par
analogie avec ceux des Machines de l’île.)
Bien moins de contributeurs qu’espéré
Selon les promoteurs de L’Arbre aux Hérons, le plus
important dans la campagne sur Kickstarter n’était pas l’argent, c’était de
faire participer beaucoup de gens au projet. Ils avaient même chiffré leur
objectif : 7.500 contributeurs – et il est probable que, comme pour le
montant, ils en espéraient secrètement beaucoup plus (au bout de quelques jours de campagne, Pierre Oréfice annonçait à
Presse Océan un nouvel objectif de 10.000 donateurs). Avec 5.511 contributeurs
en définitive, ils en sont loin.
Peut-on se faire une idée du nombre de contributeurs
vraiment espéré par une campagne ? Oui, quand le nombre de récompenses est
limité à l’avance, ce qui n’est pas rare chez Kickstarter. Parmi les
récompenses prévues pour L’Arbre aux Hérons / The Herons’ Tree figurait un
croquis dédicacé et numéroté de 1 à 250 pour les plus gros contributeurs (1.000
euros) et de 251 à 750 pour les contributeurs à 500 euros. Sur ces 750 tirages,
135 seulement ont trouvé preneur (18 %).
Les 5.511 contributeurs ne représentent même pas 1 % de
la population de Nantes Métropole. Où les contributeurs ne résident pas tous,
bien entendu. Persuadés que le monde n’a d’yeux que pour leur projet, ses
créateurs comptaient beaucoup sur les Américains. « On peut même avoir davantage de soutien aux
Etats-Unis (...) qu’en France »,
gambergeait Pierre Orefice, interrogé par Frédéric Brenon dans 20 Minutes. En définitive, 292 contributeurs
résident aux États-Unis (un certain nombre d’entre eux étant sans doute
d’origine nantaise), soit 5,3 % du total. On peut voir le verre à moitié
plein ou à moitié vide ; en tout état de cause, ce n’est pas un
raz-de-marée.
Une comparaison ? Ludovic Roudy et Bruno Sautter,
créateurs parisiens de
The Seventh Continent déjà cité plus haut, ont
convaincu plus de 16.000 contributeurs américains, soit près de 37 % du
total. Il est vrai que leur campagne, en principe moins ambitieuse que celle de
The Herons’ Tree (l’objectif était fixé à 40.000 dollars) a été menée avec bien
plus de professionalisme, sans parler de la qualité intrinsèque du projet.
Il était aussi espéré un franc soutien des correspondants
européens du festival américain Burning Man, qui se sont réunis à Nantes du 5
au 8 avril. Ces jours-là et les suivants comptent parmi ceux où la campagne a
recueilli le moins de contributions (entre 39 et 71 par jour).
Les 5.511 contributeurs ne représentent que 9,3 % des 59.292
abonnés, à cette heure, au compte Facebook des Machines de l’île. Chaque jour
ou presque, un rappel sur la campagne Kickstarter en cours a pourtant été
publié sur ce compte. Sans parler des
posts fréquents sur la page de la
ville de Nantes (plus de 88.000 abonnés) et d’autres. L’enthousiasme mollit
quand il s’agit de mettre la main à la poche.