26 juillet 2017

Toboggan du château des ducs de Bretagne : à défaut de glisse, des chiffres et des lettres

Finalement, les cieux sont avec le Voyage à Nantes : vu le temps maussade, la fermeture du toboggan du château des ducs de Bretagne ne nuit pas. On n’a pas plus envie de se mouiller les fesses que de se les brûler. Il reste cependant possible d’aller admirer la signalisation du toboggan, une sorte d’œuvre en soi.

J’ai déjà signalé la formule surréaliste de la pancarte plantée au bord des douves : « le toboggan écrit de nouvelles histoires dont les protagonistes sont le patrimoine, l’architecture et l’usager ». Reprise à l’identique sur les sites de la ville de Nantes, du château des ducs de Bretagne, d’AMZ Nantes et de divers blogs, elle contribue à la gloire littéraire du Voyage à Nantes.

En revanche, le Voyage à Nantes confirme, comme on l’a maintes fois exposé, qu’il est fâché avec les chiffres et n’hésite pas à bidonner quelque peu. On lit ceci : « Le public s’engage dans le vide, découvre un point de vue unique à 12 mètres du sol […]. Une glisse vers l’inconnu, 50 mètres plus loin ». Alors bien sûr, Jean Blaise n’est pas Pythagore, une légère confusion entre l’hypoténuse et la distance au sol n’est pas bien grave. En revanche, pour glisser sur 50 mètres, il faudrait que le toboggan se prolonge sous la passerelle du château. Sa pente ne dépasserait pas 14 % : pas de quoi échauffer un fond de pantalon. En réalité, la partie « glisse » du toboggan mesure moins d’une trentaine de mètres.

La description du toboggan qui figure sur le site web du Voyage à Nantes est identique à un détail près. Elle se termine ainsi : « Une glisse vers l’inconnu, 50 mètres plus bas ». Oui, « plus bas » et non « plus loin ». Ce plus bas recreusé au fond des douves ferait du « Paysage glissé » le plus grand toboggan du monde, loin devant ceux du Beach Park de Fortaleza au Brésil (41 mètres) ou de PortAventura en Catalogne (31 m). 

La signalisation du toboggan ne se borne pas à la pancarte. Sous la voûte d’entrée figure une vaste vue panoramique du château. Il faut sans doute compter plusieurs centaines d’euros pour la réalisation de ce grand panneau plastifié. Or il n’est clairement destiné à durer que les deux mois du Voyage à Nantes puisque l’entrée du toboggan y est indiquée*. À moins qu’on ne veuille en faire une « œuvre pérenne » à jamais agrippée au rempart ? Ce qui économiserait au moins les frais de démontage.

Mais le chef d’œuvre de la signalisation est sans doute l’escalier qui va des douves au pont-levis. « Sortie uniquement », y lit-on en sortant du château. « Bon », se dit le touriste obéissant, « c’est donc par là qu’il faut sortir. » Et il aboutit dans un cul-de-sac au pied du toboggan. Bien entendu, préciser « Sortie uniquement pour les usagers du toboggan » aurait été un peu long. Mais un simple panneau de sens interdit aurait fait l’affaire. En plus, il aurait été compréhensible des touristes étrangers : si l’on veut qu’ils viennent, il faudrait peut-être songer à eux. Mais pourquoi faire simple quand le VAN peut faire compliqué ?
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* Pour être juste, un bon grattage devrait pouvoir faire disparaître cette mention surajoutée.

20 juillet 2017

Du Carré au square : Fleuriot mieux que Feydeau ?

Faut-il sauver le square Fleuriot ? Ce n’est pas du tout la même question que : Faut-il laisser le square Fleuriot en l’état ? Cet état est lamentable. Depuis des années, il a de quoi consterner les milliers de Nantais qui font la queue devant L’Entrecôte. Il faut faire quelque chose pour le square Fleuriot.

Square Fleuriot, 22 février 2014 : déjà les derniers outrages
La municipalité nantaise a annoncé la construction d’un immeuble commercial. C’est quand même étonnant : elle se vante d’aménager des jardins et veut en supprimer. Évidemment, planter des arbres d’un côté, vendre des terrains de l’autre, ça fait toujours circuler l’argent. Avec quel profit pour Nantes et les Nantais ? 

Si encore Nantes manquait de surfaces commerciales… Mais des locaux vides, il y en a déjà plein dans les environs, au Carré Feydeau ou dans l’extension du passage Pommeraye. Il y a déjà un preneur pour l’immeuble projeté ? Le Carré Feydeau était demandé aussi avant sa construction… En définitive, pour qu’une grande surface alimentaire y ouvre, il a fallu aller devant les tribunaux…

Et puis, franchement, l’esquisse du bâtiment parue dans la presse est très moche. On dirait un collège des années 1970 dans un quartier sensible. Ou peut-être une caserne de gendarmerie dans un département négligé ? Il y a sûrement moyen de faire mieux.

Quoi ? Je ne sais pas. Mais ce mieux n’est probablement pas fait de béton. je crois que je vais signer la pétition « Contre le projet de bâtiment commercial square Fleuriot à Nantes » lancée par Dorothée Laverton sur Change.org.

14 juillet 2017

5 euros la glissade « gratuite » avec le toboggan du château des ducs (ou 7,5 ?)

Combien a coûté le toboggan du château des ducs de Bretagne ? Le Voyage à Nantes ne le dit pas. Ce n’est pas que le VAN ne dise rien, il parle même beaucoup, mais dès qu’il s’agit de coût, c’est motus et bouche cousue. On ne saura donc pas combien chaque glissade coûtera aux contribuables nantais. On peut cependant s’en faire une idée.

Le toboggan n’est pas un simple bricolage. C’est un beau travail de spécialistes. « Métalliers, soudeurs, dessinateurs, douze personnes à temps plein se consacrent au toboggan depuis des mois », relatait Ouest France le 15 juin. La médiane des salaires nets dans la métallurgie est de 2 253 euros nets par mois, soit un coût chargé proche de 3 700 euros. Que ces douze personnes aient travaillé trois mois chacune et les charges de personnel peuvent dépasser 130 000 euros.

Il faut compter aussi avec l’intervention du concepteur, Tangui Robert, et de l’architecte Matthieu Germond, le personnel chargé du montage de l'installation, les visites des organismes de contrôle, un service de gardiennage pendant le mois et demi du chantier… Et puis bien sûr des matériaux de qualité et des équipements spécialisés. La location d’une grue téléscopique avec son opérateur peut coûter jusqu’à 1 000 euros par jour.

Vient ensuite l’exploitation du toboggan, qui occupe au moins deux « médiateurs », soit quatre personnes à plein temps puisqu’il est ouvert tous les jours pendant dix heures. Près de huit mois-homme, donc, pour la durée du VAN : encore pas loin de 20 000 euros, sans compter le gardiennage et la sécurité. Holà ! on allait oublier aussi la quote-part du temps des salariés du VAN qui ont gambergé sur l’installation (« le toboggan écrit de nouvelles histoires dont les protagonistes sont le patrimoine, l’architecture et l’usage » : même si ça ne veut rien dire, il dû en falloir, du jus de crâne, pour pondre ça) et, cerise sur le gâteau, quelques minutes du temps de Jean Blaise – peut-être pas le poste le plus coûteux mais assurément le plus précieux.

Enfin, il y aura le coût du démontage : quelques mois-homme supplémentaires, rebelote pour quelques jours de grue téléscopique, des camions, du gardiennage…

Bref, compte tenu de tout ce qui précède, le toboggan est une affaire d’au moins 300 000 euros. Pour combien d’utilisations ?

Hier, jour d’entrée en service du toboggan, le rythme de fonctionnement ne dépassait pas deux personnes par minute. Pour raison de sécurité, probablement : afin d’éviter que les utilisateurs ne s’empilent en vrac au bas de la pente, il faut leur laisser le temps d’évacuer les lieux. Or deux personnes par minute, cela signifie 1 200 personnes par jour, même pas 60 000 au total pendant la durée du Voyage à Nantes. Chaque utilisation « gratuite » coûterait donc plus de 5 euros aux contribuables nantais. Rien n’est trop beau pour quelques secondes de culture au fond des douves.
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Mise à jour du 16 juillet : Chrono en main ce dimanche, le rythme des descentes n'atteint même pas deux par minute. Chaque fois qu'un amateur hésite puis renonce une fois parvenu en haut du toboggan, au moins une minute s'écoule en pure perte. À ce rythme-là il faut plutôt compter 45 secondes par descente. C'est-à-dire 40 000 glissades sur la durée du VAN, pour un coût moyen de 7,50 euros l'une.

12 juillet 2017

Les dragonnades de Calais

Pour rétablir son image, la ville de Calais veut ses Machines de l’île à elle. Elle compte sur un dragon pour faire oublier sa « jungle ». Natacha Bouchard, maire de la ville, et François Delarozière, qu’on ne présente plus à Nantes, se sont mis d’accord sur un projet de 20,5 millions d’euros hors taxes (HT). « Se sont mis d’accord », dis-je, car au nom de la création artistique, ce genre de réalisation échappe aux règles des marchés publics, ce qui simplifie radicalement la question du prix. Pourquoi 20,5 millions plutôt que 10,5 ou 30,5 ? Parce que.

De l’avis général, le projet est assez comparable à celui des Machines de l’île. Alors comparons.

  • L’investissement global de Nantes dans les Machines de l’île est du même ordre que celui prévu par Calais. Mais les budgets annoncés à l’origine étaient largement inférieurs (4,8 millions d’euros HT pour la Galerie et le Grand éléphant, 6,6 millions d’euros HT pour le Carrousel des mondes marins). Calaisiens, méfiez-vous, un dérapage est si vite arrivé.
  • Sur 20,5 millions d’euros d’investissement, Calais espère 5 millions d’aides du département et de la région, soit un quart de l’investissement. Comme à Nantes. Tiens à propos, pourquoi espère-t-on à présent qu’un tiers du financement de l’Arbre aux hérons sera fourni par d’autres budgets publics ? Excès de prudence à Calais ou douce illusion à Nantes ?
  • Calais attend 1,1 million de visiteurs par an. « Chaque visiteur dépense environ trente euros quand il vient, ce qui représente trente millions d’euros injectés dans l’économie locale, sans compter les transports », a assuré François Delarozière à Nord Littoral. C’est sûr et certain, d’où l’indicatif présent. Mais parmi les visiteurs qui passent voir le Grand éléphant à Nantes, combien dépensent 30 euros ? Or il s’agit d’une moyenne : pour un visiteur qui vient regarder à l’œil, il en faut un autre qui dépensera non pas 30 mais 60 euros. Les 30 millions de Calais (HT ou TTC, au fait ?) sont aussi improuvables qu’improbables.
  • Environ 40 % des visiteurs des Machines de l’île viennent de Loire-Atlantique. Les locaux pourraient représenter aussi une bonne partie des visiteurs de Calais. C’est-à-dire qu’une bonne partie des recettes espérées sortiraient… de la poche des Calaisiens eux-mêmes. Ces millions-là ne seraient pas « injectés dans l’économie locale », ils ne feraient que changer de main.
  • Pas moins de 500 000 billets par an seraient vendus pour une promenade sur le dragon ou l’une des autres mécaniques prévues. Cela pour 200 jours d’ouverture par an, soit 2 500 billets/jour en moyenne. Les Machines de l’île ont annoncé 664 500 billets vendus en 2016 pour environ 300 jours, soit 2 250 billets/jours. 
  • Le coût d’exploitation annoncé par Calais est de 610 000 euros par an. Vous voulez rire ? François Delarozière lui-même annonce la création de 70 emplois directs, soit au bas mot plus de 2 millions d’euros par an rien que pour les frais de personnel !
  • L’exploitation du dragon de Calais devrait être « proche de l’équilibre », affirme François Delarozière. Ce qui rappelle fâcheusement la déclaration d’un responsable du tourisme nantais il y a dix ans : l’exploitation des Machines de l’île devait « tendre vers l’équilibre » à partir de 2009. En fait, elle est toujours restée largement dans le rouge. Nantes a encore versé 1,59 millions d’euros HT de subvention aux Machines l’an dernier. Depuis dix ans, chaque fois qu’un visiteur achète un billet, les contribuables nantais y rajoutent environ 2 euros.
  • Et si jamais Calais suivait la même voie, le déficit pèserait sur des contribuables quatre fois moins nombreux...
  • Dernier détail : malgré ses lourds investissements au profit du Grand éléphant, Nantes n'est pas propriétaire de son image en droit, affaire de contrat. Mais peut-être Natacha Bouchard est-elle meilleure négociatrice que Jean-Marc Ayrault ?
Comparaison n’est pas raison. Mais comparable ne signifie pas non plus raisonnable : tout autant que ceux des Machines de l’île, les chiffres agités à Calais sont fantaisistes.

09 juillet 2017

Bouffay salé

On attendait avec impatience la première averse pour savoir ce qu’allait devenir le tas de sel de la place du Bouffay. En fait d’averse, on a été servi !

L’œuvre exposée sur la place cet été s’appelle « La part manquante » ; il en manque un peu plus désormais.

« Des nappes scintillant de sel recouvrent le sol et rappellent l’absence forcée de l’eau, la proximité de l’océan ou… une montée des eaux qui aurait envahi Nantes », explique le livret du Voyage à Nantes 2017, à côté de la plaque comme souvent : il avait juste oublié que l’eau  peut aussi descendre du ciel, et que cette présence forcée nous arrive même assez souvent.

Allons, voyons quand même le verre d’eau salée à moitié plein : une partie du mulon a quand même résisté au déluge. Et l’aspect délibérément ruiné supposé faire le charme de cette œuvre de Boris Chouvelon est ce soir encore plus convaincant.