29 juillet 2014

À Liverpool, Royal de Luxe se pare des habits neufs de l’empereur : promotion ou répétition ?

À Liverpool comme à Nantes, le spectacle de Royal de Luxe a attiré les foules. Les autorités locales ont multiplié les cocoricos. Mais la presse britannique ne s’est pas privée d’y ajouter un grain de sel.

Jean-Claude Courcoult avait annoncé que le spectacle était « écrit spécialement pour Liverpool ». Mais que signifie « spectacle », d'abord ? Le jeu scénique des marionnettes géantes est limité ; on les trimballe en avant, on les trimballe en arrière, on les assoit, on les allonge. Le morceau de bravoure de Liverpool a été un pas de danse entre la grand-mère et la petite géante ; on avait déjà vu ça huit semaines plus tôt dans le spectacle « écrit spécialement pour Nantes ». Au-delà, on risquerait de s’emmêler les ficelles. Le danger n’est pas nul : à Liverpool, le mécanisme de la grand-mère a été victime d’une rupture de câble.

Le spectacle était censé commémorer avec un mois d’avance l’engagement des Liverpool pals dans la Première guerre mondiale, en août 1914. « La longue parade des trois marionnettes géantes avait à peu près autant à voir avec 1914-1918 qu’une partie de marelle avec un voyage sur la lune »,
a noté Dominic Cavendish dans le Telegraph, soupçonnant Royal de Luxe de s’être contenté de « recycler de vieux matériaux » pour l’occasion.

Le véritable événement, note Dominic Cavendish, ce n’est pas le spectacle : c’est la foule qui afflue et reste sagement massée des heures durant sous le soleil pour voir passer trois mécaniques qu’elle applaudira chaudement. « L’important a été que pendant quelques heures, le temps a ralenti, s’est inversé même, suscitant un sentiment édénique d’innocence collective. Et si une telle bénédiction a été possible, finalement, n’est-ce pas parce que cette génération infortunée de jeunes gens vaillants a combattu et souffert jusqu’au sacrifice il y a cent ans ? »

Si les géants n’avaient rien à voir avec la guerre, il faut quand même signaler que des extraits de lettres d’engagés liverpudliens de 1914 ont été lus pendant le défilé, et qu’on a projeté sur la foule des cartes postales représentant la célèbre affiche de lord Kitchener (Your country needs you!).
Alfred Hickling écrit d’ailleurs dans le Guardian que « l’aspect le plus émouvant du spectacle (…) a été, précédant l’arrivée des géants, une colonne de jeunes hommes en costume edouardien, tout sourire sous un bienveillant soleil, suivie d’un cortège portant des parapluies noirs qui représentait les familles endeuillées ».

Tom Mullen et Tom Airey, de BBC News, ne sont pas non plus très convaincus. « Maintenant que les géants se sont embarqués pour descendre la Mersey, ce spectacle – officiellement intitulé Souvenirs d’août 1914 – a-t-il réussi à faire connaître la guerre au public et à rendre hommage à ses héros ? » demandent-ils. Certains estiment qu’il faut un événement spectaculaire pour parvenir à éduquer un peu une partie du public, admettent-ils. Mais, citant un spectateur, ils mettent un bémol : « commémoration spectaculaire de la Première guerre mondiale ou bien version moderne des habits neufs de l’empereur ? »


Et à propos d’habits, justement, on notera que Royal de Luxe cherchait naguère à faire le « spectacle » en costumant ses personnages. La troupe n’a même pas fait cet effort en Angleterre. La grand-mère a été montrée dans le même accoutrement qu’à Nantes. Sur sa blouse figurent des trèfles. Des trèfles ? Cela tombe bien : en Irlande, début septembre, Jean-Luc Courcoult va pouvoir affirmer que le spectacle est « écrit spécialement pour Limerick ».


25 juillet 2014

Une commémoration militaire pour Royal de Luxe en Australie

L'année prochaine, Royal de Luxe devrait sortir son scaphandrier géant du placard pour participer au Festival d’arts international de Perth. La troupe créera pour la circonstance un spectacle célébrant le centenaire de l’Anzac, l’intervention militaire australienne et néo-zélandaise contre les Turcs dans les Dardanelles en 1915.

La petite géante
vue de Liverpool
Coup de chance, la légende dorée de l’Anzac inclut une petite fille, Faye Howe, fille du gardien de phare de Breaksea Island, qui saluait les soldats quittant l’Australie à bord des transports de troupe. Un rôle sur mesure pour la petite géante.

Le coût du spectacle est évalué à 5 millions de dollars australiens, soit au cours actuel près de 3,5 millions d’euros*. C’est moins que le spectacle Royal de Luxe de cette année n’a coûté aux Nantais. Pourtant, tout est plus grand en Australie, et l'on va faire traverser la moitié de la planète à deux géants et à une centaine d'opérateurs et personnels divers.

Le contribuable ne devrait d'ailleurs débourser que 2 millions de dollars, dont une bonne partie apportée par LotteryWest, l’équivalent de la Française des Jeux dans l’État d’Australie-Occidentale.  Le reste du financement sera assuré par des dons et parrainages, en particulier celui de Crown Resorts, leader australien des casinos, qui apportera 1 million de dollars.

Ce blog ne serait pas fidèle à sa vocation s’il n’avait quelque motif de mécontentement : nulle part il n’est question de Nantes dans la communication autour de l’événement. Royal de Luxe est présenté seulement comme une troupe française. Ainsi que l’a observé la Chambre régionale des comptes l’an dernier, si Nantes compte sur Royal de Luxe pour assurer sa promotion internationale, elle a mal placé son argent.
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* Et non 7 millions comme indiqué dans une première version de ce billet. Merci à Vert Cocu pour avoir signalé l'erreur.

24 juillet 2014

Nantes mesure les distances différemment pour le marcheur et pour le pisseur

L’imagination des dresseurs de potelets n’a d’autres bornes que l’espace disponible sur les trottoirs. Les « mobiliers urbains » (expression idiote puisqu’ils sont pour la plupart fixés au sol, donc immeubles) sont majoritairement posés à l’intention des automobilistes, soit pour les guider, soit pour les repousser. Quelques-uns pourtant sont destinés aux piétons.

Les plus récents représentants de cette espèce ne font que confirmer la règle en vigueur sous Jean-Marc Ayrault : aucune nouvelle génération de mobilier urbain ne doit être esthétiquement apparentée aux précédentes. Poteaux gris et panneaux marrons confirment que le « vert nantais » n’est plus de rigueur, même à 100 mètres de la mairie.

Ou plutôt, à « 1 min » de la mairie, puisque les nouveaux poteaux indiquent des temps de marche et non plus des distances. Du bas de la rue de l’Hôtel de ville, 7 minutes pour atteindre Talensac, 17 pour l’île de Nantes ? Pourquoi pas, mais qu’en pense votre grand-mère ?

À l’occasion, pourtant, les services municipaux savent encore mesurer des distances, comme dans l’exemple ci-dessous. On comprend mal pourquoi. Quand ça urge vraiment, le piéton ne préférerait-il pas lire « 0,2 min » au lieu de « 25 mètres » ?

23 juillet 2014

Le Voyage à Nantes 2014 (5) : pour vérifier la théorie de la vitre brisée

« Sociologues et policiers conviennent généralement que si une vitre d’un immeuble est cassée et demeure non réparée, toutes les autres vitres ne tarderont pas à être brisées » écrivaient James Q. Wilson et George L. Kelling dans un article célèbre publié par The Atlantic en 1982 et maintes fois cité depuis lors.

La théorie de la vitre brisée est aujourd’hui largement admise : une incivilité tolérée en appelle d’autres. Mais que se passe-t-il si l’incivilité est même célébrée ?

La théorie de la vitre brisée est aussi appelée théorie de la voiture rayée en référence à des expériences menées il y a plus de quarante ans aux États-Unis : si l'on abandonne une automobile endommagée sur un parking, elle subit rapidement des dégradations supplémentaires. Alors que la même voiture laissée intacte sur le même parking n’attire pas les vandales. Conclusion : les épaves doivent être enlevées au plus vite.

Le Voyage à Nantes a sans doute voulu apporter son tribut aux sciences sociales par une expérience grandeur nature. D’après la théorie de la vitre brisée, les voitures retournées que le VAN a fait installer rue Saint-Clément étaient une invitation  aux malfaisants. Ça n’a pas loupé : on y a tracé des graffitis, et ça n’était probablement qu’un début.

Allait-on poster des vigiles jour et nuit devant ces deux épaves proclamées artistiques ? Intéressante façon de dépenser les deniers publics… Le VAN a été plus raisonnable, si l'on ose dire : une fois la théorie vérifiée, il a retiré les deux véhicules. Il aurait aussi bien fait de commencer par ne pas les mettre là.

Avant
 
Après : que de créativité artistique gaspillée !
 

22 juillet 2014

Ayrault parti, Renault revient

On se demandait si Johanna Rolland poursuivrait la politique anti-automobile de Jean-Marc Ayrault. La réponse n’a pas traîné : le film de lancement de la nouvelle Twingo a été tourné à Nantes, comme le révèle Presse Océan aujourd’hui.

Certes, il faut l’œil exercé d’un Nantais pour s’en rendre compte : la vedette du film, c’est l'auto, Nantes n’est qu’un décor entraperçu. Et puis, c’est une Twingo, hein, pas une Porsche Panamera ni une Rolls-Royce Phantom. Mais pour une fois que le toit-parking de la nouvelle école d’architecture sert à quelque chose, il faut se réjouir.

Pas un embouteillage à l’horizon, pas un chantier : Nantes est vraiment une ville où la bagnole est reine. Quant aux prises de vues sur le site des Chantiers, elles préfigurent probablement la transformation des Nefs en parking couvert le jour où les contribuables nantais en auront assez de combler le déficit des Machines de l'île.

Les Nefs transformées en parking : c’est déjà une réalité fréquente

10 juillet 2014

Le Voyage à Nantes 2014 (4) : le Bouffay sans boucherie

On avait raison de poser ici la question : Le VAN est-il bien assuré ? Il a fallu un peu de temps mais, finalement, Le Voyage à Nantes a renoncé aux brochettes de noctambules. Les épieux de Vincent Mauger sont désormais séparés de leurs admirateurs imprudents par des barrières métalliques. C'est assez moche, mais c'est plus raisonnable. Le vigile posté sur la place du Bouffay ne pouvait avoir l’œil partout… Et puis, les soirs trop arrosés, l’objet était toujours à la merci d’un mouvement de foule inconsidéré. Désormais, pour aller s’empaler, il faudra vraiment le vouloir.

07 juillet 2014

Pour planter un grand Arbre aux Machines de l’île, il faudrait creuser un gros trou dans les finances publiques

François Delarozière et Pierre Orefice ont de la suite dans les idées : interrogés par Emmanuel Vautier, Stéphane Pajot et Simon Auffret dans Presse Océan, ils reprennent exactement la même chanson qu’au printemps 2013 et à l’hiver dernier : il faut construire un Arbre aux hérons pour pérenniser les Machines.

Hélas, ils ont l’art de scier la branche sur laquelle ils voudraient s’asseoir.

« Avec l’Arbre aux hérons, nous franchirons le cap du million de visiteurs », promettent MM. Orefice et Delarozière*. Qu’est-ce qui leur permet de l’affirmer ? Mystère. Le million ! Le million ! annonçait déjà Pierre Orefice à 20 Minutes en 2013, en ajoutant : « Les Machines enregistrent déjà 600 000 visites par an ». Ce chiffre au présent de l'indicatif était bidon : Les Machines n’ont vendu que 520.000 billets l’an dernier. Si Pierre Orefice, en 2013, surévaluait de plus de 15 % la fréquentation de son établissement en 2013, de combien surévalue-t-il en 2014 sa fréquentation en 2020 ?

Et comment justifier qu’il relève de 20 % d’un coup sa prévision de fréquentation de l’Arbre ? Car pour parvenir au million en 2020, il comptait l’an dernier sur 400.000 visiteurs supplémentaires ; aujourd’hui, il table sur 480.000… Faut-il avoir l’esprit très mal tourné pour supposer que le million de 2013 était un chiffre au doigt mouillé, et qu’il a suffi de mouiller un peu plus en 2014 ?

Faisons semblant d’y croire un instant. Les Machines de l’île dans leur configuration actuelle (Grand éléphant, Galerie et Carrousel des mondes marins) ont attiré 520.000 visiteurs en 2013 et l’Arbre aux hérons en attirerait 480.000. Or, signalent eux-même MM. Orefice et Delarozière, les Machines existantes représentent un investissement de 20 millions d’euros. L’Arbre, lui, réclamerait 35 millions d’euros : il faudrait 75 % d’investissement en plus pour attirer 8  % de clients en moins ! Voilà un investissement qui se présente mal.

Mais d’où viendrait l’argent ? MM. Delarozière et Orefice assurent que les 35 millions d’euros de l’Arbre seraient « autofinancés par les Machines de l’île à hauteur de 8 millions d’euros ». Louable intention, sauf que pour dégager un autofinancement, il faudrait que les Machines soient bénéficiaires. Or, depuis leurs débuts, elles ont toujours été lourdement déficitaires. L’an dernier encore, Nantes Métropole a dû allonger 1,2 million d’euros d’argent public pour boucher le trou. Chaque fois qu’un visiteur a acheté un billet, les contribuables nantais ont versé 2,30 euros.

Et s’il fallait en faire autant avec les 480.000 visiteurs supplémentaires attendus grâce à l’Arbre, la facture pour les contribuables passerait à 2,3 millions d’euros par an…
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* On notera que MM. Delarozière et Orefice persistent à confondre « visiteurs » et « billets vendus ». En fait, comme il faut acheter un billet pour chaque attraction, et que certains visitent deux ou trois attractions, 520.000 billets vendus représentent tout au plus 350.000 visiteurs réels.


04 juillet 2014

Un écran de trop

Pour ceux qui ne voudraient pas regarder le match de football dans un café (y en a-t-il un seul en France qui ne règle pas son téléviseur sur TF1 ce soir ?) ou chez eux, la ville de Nantes a érigé un écran géant sur la place de la Petite-Hollande. Mais pourquoi donc ? Le Voyage à Nantes est très fier de celui qu’il a fait installer sur le toit de l’école d’architecture. C’était l’occasion rêvée de le mettre en valeur ! Et de faire des économies par la même occasion.

Évidemment, il faut grimper là-haut. Mais quoi ? On va regarder des footballeurs courir derrière un ballon pendant une heure et demie sous le soleil brésilien, et l’on rechignerait devant une petite mise en jambe ?

03 juillet 2014

Royal de Luxe et les gros sous du grand Père Noël

Royal de Luxe en procès avec Coca-Cola : ce n’est que la suite des intentions affichées par la troupe en décembre 2012 quand le limonadier avait montré, dans une vidéo publicitaire, un Père Noël géant. Quoique…

À l’époque, Royal de Luxe dénonçait un « plagiat » et s’insurgeait contre l’utilisation de géants à des fins commerciales. La troupe avait paraît-il lancé une action « auprès des tribunaux civils parisiens ». Normal puisqu'il s’agissait de sanctionner une violation du droit de la propriété intellectuelle.

Or qu’apprend-on aujourd’hui ? Royal de Luxe a en fait assigné Coca-Cola non pas devant les tribunaux civils mais devant le tribunal de commerce de Nanterre, pour « parasitisme ». Ce qui est tout différent.

Cela signifie d’abord que, contrairement à ce qu’elle disait en 2013, la troupe n’avait pas porté plainte pour plagiat – sans quoi elle ne pourrait aujourd’hui agir sur un fondement différent en raison des mêmes faits. Et ensuite que Royal de Luxe a renoncé à défendre son intérêt moral de créateur (difficilement défendable : l'idée de marionnettes géantes n'est pas brevetée) pour se situer sur le terrain de ses intérêts économiques.

« Il ne s’agit pas d’un procès politique », déclare aujourd’hui dans Presse Océan l’avocat de Royal de Luxe. Certes non : il s’agit juste d’une affaire de gros sous.