19 juillet 2016

Les Machines de l’île ont très chaud

N’est-il pas un peu étonnant que Les Machines de l’île n’aient pas davantage claironné leur score de fréquentation de l’an dernier ? Avec 613.496 billets vendus, elles ont franchi en 2015 la barre des 600.000 espérée depuis longtemps. (Au fait, pourquoi parlent-elles à présent de « billets vendus » et non de « visiteurs » comme par le passé ? Serait-ce parce que les tours doubles du Carrousel vendus certains jours sont comptés pour deux billets, mais qu’il serait difficile de les compter pour deux visiteurs ?)

Même en retard sur les promesses, ce score de 613.496 billets vendus est un bon score. Enfin, plus ou moins. Comme on l’a déjà indiqué, il faudrait vendre au moins 630.000 billets pour retrouver le rythme de fréquentation du deuxième semestre 2012, après l’ouverture du Carrousel. Et puis, la progression des ventes d’une année sur l’autre n’a été en fait que de 3,8 %. C’est à peu près le rythme annoncé par Le Voyage à Nantes pour la saison estivale 2015, même si comme d’habitude les chiffres du VAN sont d’une fiabilité douteuse. Partout dans la région, les sites touristiques ont annoncé des progressions bien supérieures (+ 12 % au Puy-du-Fou). Donc, non, en fait, la saison 2015 n’a pas été si glorieuse pour Les Machines de l’île.

On s'en rend mieux compte au vu du cocorico publié début mai 2016 : depuis le début de l'année, Les Machines de l’île avaient accueilli 36.784 visiteurs de plus que l’an dernier à la même période soit + 24,63 % (Presse Océan du 13 mai 2016). Le progrès est incontestable : l’arrivée d’une araignée dans la Galerie, bien mise en valeur par la presse, a fait revenir des visiteurs locaux. Et l’animation de la Galerie, qui s’était dégradée, a été redynamisée. Mais ce mieux est relatif : il révèle surtout que Les Machines ne se portaient pas très bien début 2015. Ce qui confirme l’analyse faite ici l’an dernier : l’absence de célébration autour du 3 millionième visiteur signifiait que cet obscur objet statistique est passé à la caisse plus tard qu’espéré. 

Si l’amélioration du début d’année (+ 24,63 %) se confirme tout au long de 2016, Les Machines devraient vendre 764.600 billets cette année. Là, pour le coup, ce serait un beau succès : je m’engage à manger mon chapeau s’il se concrétise. Et je devrais assez vite savoir si je dois préparer le sel et le poivre en fonction de la date de célébration du 4 millionième visiteur. A fin 2015, le nombre total de visiteurs des Machines, à en croire les chiffres officiellement publiés (sous toutes réserves, donc), s’élevait à 3.520.619. Si l’on y ajoute les 186.130 du début de l’année, le total général atteignait 3.706.749. Il manquait donc 293.251 billets, soit 38,4 % de 764.000, pour arriver à 4 millions.

Relégué en panne sous les Nefs depuis la semaine dernière
le Grand éléphant assiste ce soir à un dîner de gala.
La fréquentation des Machines au mois le mois est difficile à connaître, mais du temps où elle était publiée, les quatre premiers mois de l’année représentaient entre 20 et 23,5 % de la fréquentation annuelle. Or les 186.130 billets vendus avant l’annonce du 13 mai sont cohérents avec cette proportion : ils représentent 24,34 % de 764.600. Poursuivons donc l’extrapolation. Les sept premiers mois de l’année représentaient 50 à 55 % de l’année environ. Et les huit premiers mois 73 à 75 % environ. C’est-à-dire que le 4 millionnième visiteur devrait se présenter aux alentours du 15 août, un moment idéal pour faire du buzz à l’intention des Nantais déjà rentrés de vacances. Au-delà du 20 août, les 764.600 billets vendus seraient sans doute à oublier. Et au-delà du 15 septembre, la réédition du score de 2016 deviendrait elle-même improbable.

Pas un chat à la billetterie du Carrousel sur le petit coup de
17h00. Les longues queues de naguère ne sont qu'un souvenir.
Or la situation, ces temps-ci, n’incite pas franchement à l’optimisme. Le Grand éléphant, qui avait pourtant subi sa révision annuelle début juin, est en panne depuis plusieurs jours, soit un déficit de plus de 500 billets par jour. Et l’on ignore à cette heure quand il pourra redémarrer. Quant au Carrousel, c’est une constante : il fonctionne mieux par temps gris en saison et par beau temps hors saison. La canicule a fait dégringoler sa fréquentation, qui ne devait déjà pas être trop fringante, puisqu’il doit vendre deux tours pour le prix d’un tous les jours de 10h00 à 14h00.

Ce n’est pas de chance. Mais la chance compte aussi dans l’exploitation d’un équipement touristique. Et l’Arbre aux hérons, au fait, il sera à l’abri des pannes mécaniques et des caprices de la météo, lui ?

L'esplanade des Chantiers vers 17h00. Moins de monde qu'un jour d'hiver.

16 juillet 2016

Miséry : un Malakoff bis pour l’Arbre aux Hérons

« Miséry sera l'élément phare de la nouvelle centralité métropolitaine » et doit « apporter une visibilité mondiale pour Nantes », déclarait Johanna Rolland dans Presse Océan du 12 juillet. L’avantage d’être dircom à Nantes Métropole, c’est qu’on peut se recopier à intervalle raisonnable. Douze ans plus tôt, Jean-Marc Ayrault assurait que l’île de Nantes allait « doter Nantes d’un centre urbain à dimension internationale ».

Une nouvelle fois, Johanna Rolland tue le père : si Nantes a aujourd’hui besoin d'une « nouvelle centralité » à « visibilité mondiale », c’est que son prédécesseur n’a pas réussi hier à lui donner ce « centre urbain à dimension internationale ». Et elle compte apparemment faire mieux en refaisant la même erreur que lui, avec les mêmes protagonistes : remplacez l’éléphant par un arbre géant, et ce coup-ci ça va marcher.

Il est vrai que Miséry a tout pour plaire. Voilà un quartier en bord de Loire et proche du centre, occupé seulement par de petites entreprises et un habitat dégradé. Là encore, ce portrait rappelle quelque chose : c’est exactement le Malakoff d’autrefois. Le plan serait-il de faire du Miséry de demain le Malakoff d'aujourd'hui ? Miséry-Malakoff, les deux feraient ainsi la paire de part et d’autre du centre-ville, comme les deux pendants d’oreille de Nantes. 


Étrangement, « l’élément phare » (j’ai failli écrire « l’éléphant marre », sûrement influencé par le parallélisme Miséry/île de Nantes) de la « nouvelle centralité métropolitaine » était jusqu’ici une terra incognita, bien que la ville de Nantes l’eût acquis en 2004 (l’année même où Jean-Marc Ayrault annonçait la création de son « centre urbain à dimension internationale », tiens). Voici quelques jours encore, on n’en trouvait qu’une seule et unique mention sur le site web de Nantes Métropole. Elle datait d’avril 2010. Et encore, c’était juste en passant, à propos du square Marcel Schwob.

Ce site oublié depuis douze ans se trouve soudain paré de toutes les qualités. Mais Nantes Métropole, comme souvent, étale les compliments à la louche. Sous sa plume, Miséry devient « un amphithéâtre naturel unique ». Eh ! non, cet amphithéâtre n’a rien de naturel, ni d'unique d'ailleurs : il a été creusé par des générations de Nantais, Miséry a été une carrière pendant plus de trois siècles. Elle est « protégée des vents d’Ouest », ajoute le service de com’. Ce n’est pas faux. Mais il convient d'ajouter qu'elle est ouverte aux vents de Sud-ouest, pas moins fréquents et encore plus violents que les vents d’Ouest. Il va falloir retravailler le dossier.


14 juillet 2016

Jean-Marc Ayrault encerclé par les fantômes

La honte ! Interrogé tout à l’heure par France2, Jean-Marc Ayrault a doctement évoqué « le drame d’Alep qui est aujourd’hui encerclé et assiégé par les troupes de Saddam Hussein ». Saddam Hussein a été pendu à Bagdad il y a près de dix ans. Lapsus ? L’ancien maire de Nantes n’a pas semblé s’en rendre compte.

Les Affaires étrangères de la France laissent peut-être à désirer, mais on comprend mieux pourquoi Jean-Marc Ayrault a toujours paru avoir un temps de retard. Un peu à l'Ouest, il peine à comprendre l'Orient compliqué.

La publicité, elle, a réagi au quart de tour. Ci-dessous une capture d’écran du Huffington Post : la pub de The Revenant était on ne peut mieux indiquée !


13 juillet 2016

Qu’allaient-ils faire dans cette Maker Faire ? (6) Format Mini

Pierre Orefice se dit ravi : La Maker Faire de Nantes a enregistré 6 106 entrées en trois jours, du 8 au 10 juillet. Il annonce son intention de recommencer l’an prochain. Maker Media, Inc., créateur des Maker Faire®, s’en réjouira certainement mais pourrait imposer un recadrage.

Cette entreprise commerciale qui vend sa formule sous licence à des organisateurs d’événements du monde entier a fixé des règles destinées à protéger la valeur de sa marque. En particulier, elle distingue les Maker Faire à part entière (Featured Maker Faire), et les Mini Maker Faire, plus modestes. En 2016, une trentaine de Maker Faire auront été organisées dans le monde, et environ deux cents Mini Maker Faire – la piétaille.

Avec 6 106 entrées, la Maker Faire de Nantes fait moins bien que la Maker Faire de Paris, 65 000 visiteurs, mais mieux que la Mini Maker Faire de Saint-Malo, 2 500 visiteurs. Est-elle plus proche de l’une ou de l’autre ? Et surtout, répond-elle aux normes assez strictes fixées par Maker Media ? Clairement pas. Une vraie Maker Faire doit attirer au moins 10 000 visiteurs. Au-dessous, c'est Mini. « Si votre envergure/taille est supérieure [à 10 000 visiteurs] veuillez poursuivre votre demande de candidature et indiquer dans le formulaire que vous désirez envisager notre programme Featured Faire », précise Maker Media.

Conclusion : si Nantes a obtenu le label Maker Faire au lieu de Mini Maker Faire, c’est que les organisateurs comptaient sur un minimum de 10 000 visiteurs. Avec 6 106 entrées, l’objectif est manqué à 40 % près. Pas sûr que Pierre Orefice soit aussi ravi qu’il le dit. Et pas sûr, si l’expérience est renouvelée l’an prochain, que Nantes évite la relégation au format Mini. 

11 juillet 2016

Arbre aux hérons : quel négociateur que François Delarozière !

Obtenir d’un grand élu qu’il se déjuge n’est pas facile. Les promoteurs de l’Arbre aux hérons y sont parvenus brillamment. Johanna Rolland ne voulait pas de leur projet voici quelques mois, elle le veut à présent. Pour sauver les apparences, elle prétend résolue la question du financement, qui ne l’est pas du tout. Y croit-elle elle-même ? Cela ne prouverait que davantage le talent commercial de ses interlocuteurs.

Pour Delarozière, ce n’est pas une première : il a déjà montré sa capacité à « retourner » le maire d’une grande ville. Toulouse Métropole lui avait commandé pour 2,8 millions d’euros un Minotaure géant qui aurait dû faire sa première apparition dans la ville en 2013. Elle avait aussi décidé de bâtir la Piste des Géants, une sorte de musée Delarozière exposant les machines de scène du créateur (dont l’association La Machine a son siège près de Toulouse et non à Nantes comme on le croit souvent). En 2014, accident de parcours : le nouveau maire toulousain, Jean-Luc Moudenc, abandonne publiquement les projets delaroziériens de son prédécesseur. François Delarozière monte alors au créneau et M. Moudenc mange son chapeau : le Minotaure sera livré, le musée sera construit !

Entre-temps, François Delarozière est devenu négociateur international : il a convaincu un promoteur immobilier chinois d’offrir à son pays un cheval-dragon géant, Long-Ma, dont la taille, le poids, la technologie, l’aspect général et… le prix correspondent par un heureux hasard à ceux du Minotaure, déjà payé mais toujours pas livré. À l’issue d’une démonstration confidentielle (à l’échelle de la Chine…) à Pékin l’an dernier, nouveau rebondissement inattendu : La Machine récupère le cadeau d’un Chinois à la Chine et continue à commercialiser ses apparitions (0,8 million d’euros pour sa récente sortie à Calais avec l’araignée géante).

La Machine fait de bonnes affaires

Mais toutes ces négociations fructueuses aux motivations jamais explicitées découlent en fait du contrat initial vendu par Pierre Orefice et François Delarozière à Jean-Marc Ayrault, voici une douzaine d’années. Un coup de génie qui repose sur la conjonction de deux structures, l’une publique et dirigée par Pierre Orefice, Les Machines de l’île, l’autre privée et dirigée par François Delarozière, La Machine, la première assurant l’essentiel du chiffre d’affaires de la seconde dans le cadre de marchés de gré à gré – c’est-à-dire que quand l’une achète quelque chose à l’autre, les deux amis fixent ensemble le prix qui sera supporté in fine par le contribuable nantais.

Cette construction n’incite évidemment pas à serrer les coûts. Il est difficile cependant d’analyser la situation : La Machine se dispense de publier ses comptes au Journal officiel. Les derniers qu’elle ait publiés conformément à la loi datent de 2011. La situation de l’époque, avant même le Carrousel, était bonne : le salaire moyen versé par l’association s’élevait à 52.269,60 euros par an hors charges (à quoi il faut ajouter des rémunérations de licences et le pourcentage perçu personnellement par MM. Orefice et Delarozière sur la billetterie des Machines de l’île et sur le chiffre d’affaires de leur boutique). Jean-Marc Ayrault s’était aussi fait rouler dans la farine en oubliant de négocier la cession des droits à l’image (son homologue de Toulouse, Pierre Cohen, commettra la même erreur par la suite). 

La Chambre régionale des comptes des Pays de la Loire ne semble pas s’être intéressée à cette situation étrange. Mais avant de signer quoi que ce soit, Johanna Rolland ferait mieux de demander son avis, comme le lui permet l’article L211-8 du code des juridictions financières.

09 juillet 2016

Arbre aux hérons : il nous faudrait les 500 millions de la Bégum

L’Arbre aux hérons, on ne sait déjà pas très bien ce qu’il coûterait. Sait-on davantage qui le paierait ? En principe, oui. « Pour que ce grand projet voie le jour, Johanna Rolland a en effet fixé un cadre », assurent aussi bien Nantes Métropole que la ville de Nantes : « un tiers financé par la Métropole, un tiers apporté par des fonds privés et le tiers restant par d'autres partenaires publics (Etat, Europe, etc.) ». Voilà qui est clair.

Petit exercice mental rapide : un tiers de 35 millions d’euros, pas même 12 millions d’euros à la charge des Nantais, ça n’est pas la mort du petit cheval. Second petit exercice mental rapide : oui, mais qui comblera le trou si ces « partenaires publics » et/ou ces « fonds privés » ne considèrent pas l’Arbre aux hérons nantais comme une ardente obligation ? Mme le maire de Nantes ne semble pas avoir « fixé un cadre » pour ce cas de figure.

Le Feder se dégonfle

Certes, une partie de l’investissement initial des Machines de l’île a été financée par le Fonds européen de développement régional. Le Feder a ainsi versé 2 millions d'euros pour la construction du Carrousel des mondes marins, qui en a coûté 10. Il a prévu une enveloppe d’aides de plus de 300 millions d'euros dans les Pays de la Loire pour la période 2014-2020. Mais ses priorités ont évolué. Disparue la thématique « tourisme, culture » qui avait justifié le financement des Machines. Il va être difficile de faire passer un Arbre aux hérons pour une grande avancée dans l’un des « axes » aujourd’hui prioritaires : renforcer la recherche, améliorer l’accès aux TIC, améliorer la compétitivité des PME, soutenir la transition énergétique, promouvoir la prévention des risques, promouvoir l’inclusion sociale.

Complication supplémentaire : les fonds du Feder sont administrés par les régions. Au moment de la création des Machines de l’île, en somme, Jean-Marc Ayrault a demandé des sous à Jacques Auxiette. Le jour où Johanna Rolland ira solliciter Bruno Retailleau, rien ne dit qu’elle trouvera en lui autant de mansuétude. Il lui restera la solution de se tourner vers l’État. Mais, en période de disette, l’État accordera-t-il à un Arbre aux hérons ce qu’il refuse à des hôpitaux ou à des universités ? Et puis, là aussi, il n’est pas sûr que l’État d’après mai 2017 montre beaucoup de bienveillance envers un maire socialiste.

Financement privé ou privé de financement ?

Quant aux financements privés, « une quinzaine d'entreprises parrainent également des branches de l'arbre, à hauteur de 50 000 euros chacune », assurent Nantes Métropole et la ville de Nantes. « Dix-huit entreprises auraient donné leur accord pour signer un chèque », écrit même Christophe Jaunet dans Ouest France (8 juillet 2016). Des noms ! Des noms ! Quelle entreprise privée s’engagerait en 2016 à parrainer un équipement qui n’ouvrira pas avant 2023 ? Il est donc à craindre que les entreprises en question soient des pseudopodes des collectivités locales, et que l’argent qu’elles apportent soit in fine celui des contribuables.

Encore un petit calcul mental : si la totalité des vingt-deux branches trouvaient preneur au même tarif, l’Arbre aurait peut-être l’air d’un vaste panneau publicitaire, mais il n’aurait encore réuni que 1,1 million d’euros, soit 3,14 % des 35 millions d’euros nécessaires – même pas un dixième du financement attendu des partenaires privés. Il resterait encore pas loin de 10,6 millions à trouver côté mécènes. Il paraît que le Crédit Mutuel va co-financer l’étude de faisabilité à 4 millions d’euros de l’Arbre aux hérons ; parviendra-t-il à éclairer davantage l’équation financière ?

À mon avis, le seul espoir qui reste au contribuable nantais n’est autre que l’héritage de la Bégum Gokool. Si Johanna Rolland s’avérait être elle aussi une descendante de Jean-Jacques Langévol (…du héron), nul doute qu’elle ferait comme le bon docteur Sarrasin : elle consacrerait l’argent à une opération d’urbanisme. Après tout, le projet des Machines de l’île « se situe à la croisée des ‘mondes inventés’ de Jules Verne », n’est-ce pas ? Et du musée Jules Verne à la carrière de Miséry, il n’y a qu’une centaine de mètres à vol d’oiseau (…de héron). C’est comme si c’était fait.

08 juillet 2016

Arbre aux hérons : Miséry et prodigalité

Trente-cinq millions d’euros pour un Arbre aux hérons dans la carrière de Miséry, est-ce si coûteux ? Bah ! ça n’est que le prix d’un bon joueur de foot, 35 millions, c’est le ticket classique du mercato, ces temps-ci, évoqué pour Kalidou Coulibaly, Éric Bailly, Renato Sanches, Yacine Brahimi, Michi Batshuayi, Joao Mario ou Luiz Gustavo. Mais les footballeurs, les clubs savent pourquoi ils les paient. Du moins, ils feraient mieux de savoir.

À ce jour, on ne sait pas très bien ce que Nantes achèterait pour 35 millions. D’ordinaire, quand une ville achète un grand équipement, elle établit un cahier des charges et lance un appel d’offres. Rien de tel chez nous. On est entre amis. Mme le maire achète sur la foi d’une maquette, de quelques dessins et de la réputation de Pierre Orefice et François Delarozière. Or ces derniers ne sont même très sûrs du contenu du projet. « Le projet continue de s’inventer. La page blanche s’écrit », déclare Pierre Orefice dans Ouest France aujourd’hui. Bref, on ne sait pas ce qu’on achète. Et pourquoi ça coûte 35 millions d’euros, alors ? Parce que !

Il y a plus de trois ans que ce montant a été annoncé, on n’en a jamais démordu : belle stabilité du budget, non ? Du moins avant le premier coup de pioche. S’en tiendra-t-on là après ? Ce n’est pas forcément dans les habitudes de MM. Orefice et Delarozière. Le Grand éléphant, la Galerie des machines et la branche prototype devaient initialement coûter 4,8 millions d’euros. Ils ont finalement coûté 6 millions, sans compter la cafétéria. Le Carrousel des mondes marins devait coûter 6,4 millions d’euros, il en a coûté 10. Hors taxes. Un dérapage du même ordre mènerait l’Arbre aux hérons pas loin de 55 millions d’euros.

Et l’on ne parle ici que de l’investissement initial, que Nantes a renoncé à récupérer. L’exploitation des Machines de l'île, elle, aurait dû « tendre vers l’équilibre » en 2009 : sept ans plus tard, elle continue à coûter aux Nantais et voisins plus de 1 million d’euros par an ! (Un avenant à la convention de délégation de service public, fin 2015, avait prévu de ramener la subvention un peu au-dessous du million « au vu de la très bonne dynamique de fréquentation du site », mais un nouvel avenant, quatre mois plus tard, a rendu aux Machines plus de la moitié de la somme prétendument ratiboisée.)

Avec l’Arbre aux hérons, l’avenir ne se présente pas trop bien. « Nous allons lancer une étude de faisabilité qui doit s’étaler sur deux ans », déclare Johanna Rolland, interrogée par Stéphane Pajot et Virginie Meillerais, dans Presse Océan. Mme le maire aurait donc pris une décision avant de savoir si elle était faisable ? L'an dernier pourtant, comme rappelé ici avant-hier, elle subordonnait toute décision à une étude de faisabilité. Elle a donc changé d’avis et subordonné l’étude de faisabilité à la décision... Une étude à 4 millions d’euros, quand même, qui fait déjà monter la facture à 39 millions, sans compter l’aménagement de la carrière de Miséry. Et qui rappelle que la branche prototype installée sur les Nefs de l’île de Nantes avait déjà pour but de vérifier la faisabilité de l’Arbre, moyennant déjà une dépense de 0,6 million d’euros. 

Faisable, pas faisable ? La seule chose sûre, c’est que l’Arbre sera payable.

06 juillet 2016

L’Arbre aux hérons, faisable et attractif ?

Johanna Rolland s’apprête, dit la presse, à annoncer la construction d’un Arbre aux hérons dans la carrière de Miséry. Si tel est le cas, c’est forcément que la double étude « de faisabilité et d’attractivité » qu’elle avait réclamé l’an dernier à ses promoteurs a donné des résultats positifs.

Un arbre chassera-t-il l'autre ? Si l'Arbre
aux hérons devait se faire, on ne donnerait
pas cher de la peau du Lunar Tree de
Mrzyk et Moriceau, oeuvre en principe
pérenne d'Estuaire 2012.
Le fait que l’étude ait été demandée à Pierre Orefice et François Delarozière inspire bien sûr un certain scepticisme : il est difficile d’être juge et partie à la fois. Pour démontrer la bonne foi de tous, Johanna Rolland aura sûrement à cœur de publier cette étude. Chaque Nantais pourra ainsi constater la pertinence de son choix.

 La faisabilité, avait indiqué Johanna Rolland, était liée, entre autres, à l’obtention de financements privés. La Jeune chambre économique de Nantes Métropole Sud-Loire avait alors annoncé un plan de financement du projet par une campagne de crowdfunding. Sans doute s'apprête-t-elle, elle aussi, à révéler le détail de ce plan en cours d'élaboration depuis plus de quinze mois.

On attendra donc d’en savoir plus pour se faire une opinion. 

03 juillet 2016

Lobbying pour NDDL (35) : Respecter la démocratie ? Que MM. les démocrates commencent

Depuis lundi dernier, les hommes (et femmes) politiques partisans d’un aéroport à Notre-Dame-des-Landes sautent sur leur chaise comme des cabris en criant « la démocratie », « la démocratie », « la démocratie ». Mais de quoi parlent-ils donc ? Reprenons la séquence des événements.
  1. Le 11 février dernier, François Hollande annonce un « référendum local » sur le projet de Notre-Dame-des-Landes. Ce qui montre au passage qu’il n’est pas très sûr de tout ce qui s’est fait jusque-là. Un référendum est-il démocratique ? La question est discutée. Hitler et Mussolini en ont fait grand usage. Mais peut-être étaient-ils des démocrates, après tout ? Quoi qu’il en soit, le référendum local est une formule prévue par la Constitution de la république française et par les articles LO1112-1 et suivants du code général des collectivités territoriales*.
  2. Au lieu d'organiser le référendum annoncé, Manuel Valls crée par ordonnance une formule nouvelle, la « consultation locale » en exploitant une disposition de la « loi Macron » du 6 août 2015. Une ordonnance est-elle démocratique ? Plus ou moins. Elle aussi est prévue par la Constitution – mais comme une procédure d’exception. Elle permet au gouvernement d’avancer vite sur certains sujets urgents relevant en principe du parlement. Ici, l’urgence d’un avis consultatif sur une question qui traîne depuis un demi-siècle ne saute pas aux yeux…
  3. Pour respecter la loi du 6 août 2015, l’ordonnance de Manuel Valls doit être soumise au Conseil national de la transition écologique (CNTE). Le CNTE est-il démocratique ? Il a été créé par la loi. Parmi ses cinquante membres figurent huit parlementaires, huit représentants des collectivités locales, huit représentants des syndicats, huit représentants des entreprises, etc. Le 24 mars, le CNTE retoque sèchement le projet d’ordonnance, et à l’unanimité encore. Pas grave : Manuel Valls passe outre et publie son ordonnance le 21 avril.
  4. La consultation du 26 juin se prépare. Plusieurs collectivités locales, et non des moindres, font ouvertement campagne pour le « oui ». Les sites web de la région des Pays de la Loire et de Nantes Métropole affichent des panégyriques du projet d’aéroport. Est-il démocratique d’utiliser les moyens des citoyens pour influencer le vote des citoyens ? Il faudra au minimum que la justice se prononce. Tous les discours en faveur du « oui », y compris le document de la Commission nationale du débat public (CNDP) font la part belle aux arguments économiques. Est-il démocratique d’utiliser ces arguments avancés pendant l’enquête publique de 2006 mais devenus illicites depuis le Grenelle de l’environnement ? Là aussi, il faudra que la justice se prononce.
  5. La consultation du 26 juin est imminente. « Si le non l’emporte, le projet sera abandonné », déclare Manuel Valls à l’Assemblée nationale le 21. « Si le oui l’emporte dimanche, le projet sera engagé. » C’est un engagement de sa part – uniquement de sa part. Car il est trop tard : la consultation publique telle qu’il l’a voulue est seulement consultative (article L. 123-20 du code de l’environnement). C’est lui qui n’a pas voulu d’un référendum décisionnel. Et son engagement paraîtrait beaucoup plus sincère et démocratique s’il l’avait pris dès la publication de l’ordonnance, au mois d’avril, et non à cinq jours du scrutin… à une date où il avait sûrement en mains des sondages du ministère de l’intérieur annonçant le succès du « oui ».
  6. Et l’histoire ne s’arrête pas au 26 juin. Une ordonnance doit être ratifiée a posteriori par une loi. Sans cette ratification, elle demeure un fait du prince. Manuel Valls a jusqu’au 21 septembre pour déposer un projet de loi de ratification de son ordonnance. Si jamais le projet de loi n’était pas déposé, ou s'il était rejeté, on pourrait dire que la démarche de Manuel Valls n’était pas démocratique.
Je suis assez vieux pour me souvenir ‑ et pas assez vieux pour avoir oublié – qu’en 2005 nous avons été conviés à un référendum sur un projet de constitution pour l’Europe. Un référendum, un vrai, pas une simple consultation. Le « non » l’a emporté à près de 55 %… et la quasi-totalité des dispositions rejetées ont été adoptées par voie législative. Je ne me rappelle pas avoir entendu François Hollande et Manuel Valls protester à l’époque.

N’allons pas confondre respect de la démocratie et ingénierie électorale : ce n’est pas parce qu’une manipulation politicienne a été bien montée qu’elle respecte la démocratie. « Si l’on veut abolir la peine de mort, que MM. les assassins commencent », plaisantait Alphonse Karr au début du siècle dernier. On est tenté de réutiliser la boutade ici et maintenant : « Si l’on veut respecter la démocratie, que MM. les démocrates commencent ».
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* Un référendum local ne peut porter que sur des questions relevant de la compétence de la collectivité qui l’organise, or l’aéroport relève de l’État. Bruno Retailleau aurait sûrement refusé d’organiser un référendum régional. Ce qui n'était pas gênant puisqu’on ne voulait consulter que la Loire-Atlantique : il suffisait de demander à Philippe Grosvalet de s’y coller. Socialiste, il n’aurait tout de même pas refusé de faire ce plaisir au gouvernement. Il suffisait de poser une question du genre : « Voulez-vous que le département soutienne la construction d’un aéroport à Notre-Dame-des-Landes » et le tour était joué. Le préfet peut s’opposer à un référendum qui excède les compétences de la collectivité ; en l’occurrence, il n’aurait eu aucune raison de faire du zèle. Cette manip' aurait eu une petite odeur de magouille ? Bah ! ni plus ni moins que ce que nous avons eu.