D’aucuns ont qualifié de « stalinienne » l’architecture du nouveau commissariat central de Nantes. C’est injuste pour l’architecture stalinienne, dont le côté solennel et spectaculaire était destiné à montrer que la dictature du prolétariat avait remplacé celle des tsars. Le nouveau commissariat est seulement raide, terne et quelconque – davantage policier en civil que tenue de cérémonie. Quelle mouche a donc piqué les édiles nantais ? Pourquoi avoir consacré un emplacement aussi privilégié, avec une vue dominante sur l’Erdre, à un immeuble aussi insignifiant ? Sans doute fallait-il un nouveau commissariat. L’ancien était vétuste et inconfortable (ce qui pouvait avoir un avantage si cela incitait les policiers à aller sur le terrain plutôt qu’à rester au bureau). Mais pourquoi l’avoir construit sur la place Waldeck-Rousseau ? C’est un gaspillage d’espace public, la dilapidation d’une belle vue sur Erdre – car bien entendu, pendant les 30 ou 35 heures par semaine qu’il passe au bureau, le personnel du commissariat a autre chose à faire que de profiter de la vue.
La ville de Nantes n’est pas seule à avoir fait ce choix lamentable, d’ailleurs. Un peu en aval, le département construit lui aussi un vaste immeuble de bureau sur l’un des sites les plus enviables de Nantes. Comme si le bâtiment de la trésorerie générale, quai de Versailles, n’avait pas suffisamment démontré le caractère stérilisant des bureaux administratifs : sauf à l’heure du pique-nique sur les quais de l’Erdre, soit quelques heures par semaine en période de beau temps, ce gros bloc lugubre fige un site qui aurait dû être l’un des plus chaleureux, l’un des plus animés de Nantes. Le département est un indécrottable récidiviste. Du jour où il lui a fallu bâtir des locaux distincts de ceux de la préfecture, il est parti sur la mauvaise voie. Il était à droite à l’époque – mais il est vrai que la droite d’alors avait abdiqué son destin entre les mains d’un apparatchik suprême, un hyperactif caractériel et dictatorial qu’il ne faisait pas bon contrarier. Presque tous tremblaient devant ses oukases, et les autres avaient tort, car le principal talent du personnage résidait dans sa capacité de nuisance, qu’il utilisait semble-t-il avec plus de délectation contre son propre camp que contre celui d’en face. Il a construit des bureaux et détruit la droite locale pour au moins une génération : elle ne s’en est pas encore relevée.
Pour en revenir au nouveau commissariat, rappelons que le nouveau bâtiment n’a pas été reconstruit sur l’ancien. Son emplacement a été entièrement pris sur la place Waldeck-Rousseau, précédemment occupée par un parking. La mairie de Nantes adore supprimer des stationnements. Pourtant, si vraiment on tenait à construire le commissariat sur un parking, on disposait à proximité immédiate d’un espace encore plus vaste : l’immense parking du centre Cambronne, jadis ouvert au public, puis réservé aux fonctionnaires, d’abord sous prétexte de plan Vigipirate et ensuite par simple fait du prince. Ce parking de plus d'un hectare est notoirement sous-utilisé puisqu’il ne sert que quelques heures par jour, cinq jours par semaine – alors que celui de la place Waldeck-Rousseau était occupé à près de 100 % en permanence. Surtout, c’est un pousse-au-crime écologique : il incite les fonctionnaires des impôts à aller au travail en voiture au lieu de prendre le tramway tout proche. À une époque où la municipalité nantaise ne parle que de densifier l’espace urbain, ce parking-là n’a vraiment aucune raison d’être. On se demande bien pourquoi elle l’aurait sanctuarisé…
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