Est-ce par indulgence envers la municipalité nantaise que la
Chambre régionale des comptes a choisi le dernier vendredi avant les fêtes pour
rendre public son rapport
d’observations définitives sur la gestion du spectacle vivant par la Ville de
Nantes ? Les comptes rendus de la presse ont été rares et succincts.
Sur ce document de plus de cinquante pages qui aurait dû faire scandale, on a
vite jeté le manteau de Noë(l) : ce n’est pas autour de la dinde qu’on va
traiter de sujets qui fâchent, tout de même !
Le commentaire le plus critique – tout est relatif ‑ est
probablement celui de Benoît
Balthy sur Télénantes : c’est à saluer puisque la télévision locale
vit à 80 % de subventions publiques. Mais le journaliste a pris soin de
laisser largement la parole aux personnes implicitement incriminées par la
Chambre régionale des comptes, en particulier à Jean-Louis Jossic, ex-adjoint à
la culture, pour qui non, non tout est normal, qu’alliez-vous donc penser
là ? et à Jean-Paul Davois, directeur général d’Angers Nantes Opéra, qui
s’indigne : « la Chambre régionale des comptes n’a pas à prendre
de position politique, elle sort de son rôle et je trouve ça très
inquiétant » (une déclaration qui ne manque pas de sel quand on se
rappelle les
conditions de désignation de l’intéressé).
Que dit ce rapport ? D’abord que les dépenses
culturelles de Nantes, globalement dans la moyenne des grandes villes, sont
très concentrées sur quelques bénéficiaires en ce qui concerne les subventions
au « spectacle vivant » : « En 2012, la moitié des subventions
était versée à quatre structures, les trois quarts à neuf et 90 % à 23. »
Angers Nantes Opéra, leur destinataire n°1 est bien sûr dans le collimateur.
Mais la Chambre distribue les mauvais points tous azimuts : « les relations contractuelles avec
un certain nombre d’associations posent question quant au respect des règles
européennes concernant les aides d’État, à l’évolution non maîtrisée des subventions
ou à la situation monopolistique dans certaines disciplines ». Lire La Folle Journée pour l’oubli des règles,
Stéréolux et Trempolino pour le dérapage des budgets, Royal de Luxe pour le
monopole.
Le roi ne partage pas son luxe avec les manants
Royal de
Luxe, tiens, justement. La Méforme d’une ville a naguère souligné le
coût invraisemblable de ses spectacles pour les Nantais. La Chambre
s’étonne des sommes en jeu, qui permettent à la troupe de vivre très confortablement
(« son modèle économique est en total décalage par rapport aux normes
de la discipline »), mais signale surtout un paradoxe étonnant : les
arts de la rue, discipline la plus fréquentée au plan national (« 34 %
des Français ont assisté à un spectacle au cours d’une année »), sont
peu présents à Nantes. En effet, en raflant toute la mise pour des spectacles
épisodiques, Royal de Luxe fait le vide autour de lui. Vous pensiez que Nantes
est la ville ou le spectacle de rue est roi ? Au contraire, il y est
réduit à la portion congrue.
Interrogé
par Benoît Balthy, Jean-Louis Jossic défend très mal cette situation. « Royal
de Luxe est une compagnie très, très rentable », assure-t-il (on le
croit volontiers) « et si quelque chose de novateur apparaît, nous
allons y aller ». Mais justement, c’est ce que préconise la Chambre
régionale des comptes et dont la municipalité nantaise ne veut surtout
pas : mettre en place une procédure d’appel à projets. Alors, des
spectacles originaux pourraient se faire connaître, tandis que le monopole
actuel de Royal de Luxe aboutit à une répétition en boucle de spectacles de
géants inaugurés voici plus de deux décennies. Car, déguisée en grand-mère, en
Mexicain, en scaphandrier ou en Père Noël, une marionnette géante est toujours
une marionnette géante (c’est même là-dessus que repose l’action judiciaire de Royal de
Luxe contre Coca-Cola !).
Faute de temps, on ne va pas passer en revue ici tout le rapport. Qu’il suffise de dire que sur quasiment
tous les plans, que ce soient les finances, le contrôle des dossiers,
l’implication des structures subventionnées dans la création, les retombées
pour les troupes et les artistes nantais, la participation du jeune public, la
diversité sociale des spectateurs, la répartition des charges entre Nantes et
sa périphérie, etc., la Chambre régionale des comptes décrit une situation à la
fois peu rigoureuse et corsetée. Une sorte de répertoire de ce qu’il ne
faudrait pas faire !
Triste sire, votre compulsion pathologique au dénigrement n'y changera rien : les nantais ont adopté le Royal de Luxe. A chaque spectacle, l'engouement se confirme. On est nantais, on aime la troupe, on suit la croupe ; on suit la croupe de n'importe quel nouveau colosse articulé, c'est comme ça, on hume avec bonheur jusqu'au dernier pet sonorisé. Samedi encore, ce sont quelques 250.000 personnes qui se sont réunies place du Commerce, pour la dernière super-production locale. Du jamais vu : le public lui-même devenait la marionnette géante. Et c'était bouleversant...
RépondreSupprimerCette coulée magnifique de léviathan constrictor dont la progression urbaine semblait, vue d'avion, enserrer les moulons, n'était autre que la promesse enfin réalisée d'un spectacle où le public, tout entier, pourrait devenir l'acteur de sa propre destinée. La multitude domptée, comme possédée par une unique pensée, sublime, forcément sublime, s'oubliait dans les vapeurs de l'opium républicain. La fable nationale, écrite à l'encre même des jarrets, pas à pas, s'incarnait sportivement dans un exercice collectif de reptation transcendantale. Le peuple n'était plus qu'un muscle. Et il avait bel allure.
On a pleuré, on a rit, tandis que votre blog grinçant, mesquinement comptable, fait montre d'une lucidité déprimante : la laideur se vend mal, vos calembours n'y changeront rien. On lui préférera toujours un pieux mensonge, surtout s'il est partagé. Une rêverie sulpicienne, où des cohortes de saints sébastiens sexys se mirent dans le récit complaisant de leur martyr. Une légende dorée à la portée de toutes les bourses, de toutes les mesquineries : je suis Charlie.
Des djihadistes ont détruit les corps, des petits politiques se sont occupé de l'esprit, à coups de je suis Charlie. Marchant derrière Jean-Marc Ayrault (qui, avec tant d'autres, invitait en 2012 les caricaturistes à l'auto-censure), et ailleurs, à Paris, marchant derrière les représentants de la Russie de Poutine, du Quatar et de l'Arabie Saoudite, on pouvait prétendre, en choeurs déchirants, je suis Charlie... Et oublier Raif Badawi en même temps que notre peur.
Merci pour ce bon coup de fouet. J'apprécie lâchement de ne pas être Raif Badawi...
RépondreSupprimerVous me rendrez tout de même cette justice : dans un post du mois de juin (http://lameformeduneville.blogspot.fr/2014_06_01_archive.html), j'avais reconnu le caractère liturgique des spectacles de Royal de Luxe. "Dans la foule, pourtant, la plupart sont ravis", écrivais-je alors. "Manque de discernement ? Pas seulement. Royal de Luxe relève moins du spectacle que de la liturgie. L’important n’est pas dans ce qu’on voit mais dans la communion populaire autour d’une même idole."
Derrière la satire se posent quelquefois des questions sérieuses. Royal de Luxe comme Je suis Charlie signalent sûrement quelque chose, mais quoi ? Un désir de communion, une aspiration à l'unanimité face à l'adversité ? Ce sentiment collectif soulève assurément les âmes, Gustave Le Bon l'avait bien dit dans La Psychologie des foules, mais il n'est pas univoque, l'histoire a montré qu'il suffit d'un rien pour qu'il débouche sur une déclaration de guerre, une chasse aux sorcières, un pogrom, etc. Donc, méfiance. Devant l'unanimisme, oui, pour le coup, je suis Charlie : je préfère ricaner et me moquer des bons sentiments gratuits.
"Beaucoup de vaseline, encore plus de patience, et l'éléphant encule la fourmi" (Proverbe hispanocélinien cité dans une production hollywoodienne)
RépondreSupprimer@nonyme 1
Double peine donc pour les fourmis-contribuables, elles doivent fournir le lubrifiant alors qu'elles n'ont plus les moyens de s'en procurer... Fort heureusement, nous nantais avons un grand Orefice et un immense Courcoult capables de nous aider à supporter ces désagréments. Sur ce point et indépendamment des qualités artistiques attribuées aux Machines ou à RDL, je suis d'accord avec vous.
En revanche, votre évocation de la photo VIP du 11 Janvier est incomplète. Vous omettez de citer Netanyahu, les représentants US et autres criminels ou "bafoueurs" de droits humains présents à Paris ce jour-là... Vos propos gagnaient ainsi en objectivité voire en pertinence si votre liste eût été exhaustive. Comme vous, il me plaît d'employer le conditionnel passé deuxième forme, repéré dans l'une de vos précédentes contributions.
#JeSuisLaCallasEtmonCopainCestLesBeatles