29 octobre 2025

Tourisme à Nantes (3) : Les Machines de l’île en danger

 En 2024, Nantes Métropole a précipitamment ajouté plus de 2 millions d’euros aux subventions qu’elle verse à la SPL Le Voyage à Nantes. Sans cette manne financière, la SPL aurait été déficitaire d’environ 2 millions d’euros, après 1 million en 2023, et Jean Blaise serait parti en retraite en laissant une situation désastreuse.

À chaque euro de chiffre d’affaires réalisé par la SPL, il faut ajouter 1,82 euro de subventions. L’argent du contribuable n’est qu’un palliatif. La dépense publique nantaise en faveur du tourisme est inefficace.


Les Machines de l’île en sont la cause principale. Censées rapporter de l’argent à l’origine, elles en ont toujours coûté. En 2017, Nantes Métropole a admis que ses subventions augmenteraient parallèlement à la fréquentation attendue. C’était déjà contre nature, et ça n’a pas suffi : il a fallu en rajouter. Et alors que le tourisme est en pleine expansion dans le monde, il ne l’est pas sous les Nefs de l’île de Nantes, ou du moins il ne suffit pas à compenser la désaffection du public français. Il devrait manquer en 2025 près d’un cinquième des visiteurs prévus par la convention de 2017. Dans le même temps, la fréquentation du Puy du Fou aura augmenté d’environ 25 %. Année après année, un constat s’impose : le choix imposé en 2004 par Jean-Marc Ayrault, contre l’avis formel d’un cabinet-conseil en marketing touristique, était mauvais.

La stagnation actuelle serait-elle due aux travaux en cours sur le pont Anne-de-Bretagne ? Non : ils améliorent plutôt l’accès des piétons, et les Machines elles-mêmes ne s'en plaignent pas (ce qui ne les empêche pas de bénéficier d’une indemnisation). Elles incriminent en revanche la chaleur, les pannes des machines, l’absence de nouveautés et l’absence de « levier événementiel ». Les trois premières causes ne s’arrangeront pas de sitôt. Les conséquences pourraient vite devenir graves (à suivre).

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Les Machines de l’île : le boulet du Voyage à Nantes


Précédents billets :

Tourisme à Nantes (1) : Le Voyage à Nantes 2025 a changé de patron mais a gardé ses compteurs (enfin, pas tous…)

Tourisme à Nantes (2) Le Voyage à Nantes ne fait pas mieux que vivoter depuis vingt ans


16 octobre 2025

Tourisme à Nantes (2) : Le Voyage à Nantes ne fait pas mieux que vivoter depuis quinze ans

Comme d’habitude, Le Voyage à Nantes prétend avoir cartonné cet été. Pourtant, malgré ses communiqués flatteurs, il est globalement en échec. Il progresse peu en fréquentation et en notoriété alors que le tourisme se développe partout. Et il maîtrise difficilement ses finances. Nantes Métropole peut-elle continuer ainsi ?

Le Voyage à Nantes rappelle pompeusement, dans sa  présentation institutionnelle, qu’il est une société publique locale (SPL) « née de la volonté politique de Nantes Métropole et la ville de Nantes de s’imposer dans le concert des villes françaises et européennes en se positionnant et s’affirmant comme une ville enviée d’art et de culture, leviers de son développement touristique. » Cette stratégie est poursuivie depuis le 18 juin 2004, date à laquelle Jean-Marc Ayrault a imposé la création ex nihilo des Machines de l’île. Elles bénéficieront de fonds européens en tant qu’équipement touristique.

L’année suivante est créée Nantes Culture & Patrimoine, une SEM chargée des sites culturels. Puis, début 2011, Jean-Marc Ayrault réunit cette SEM, le château des ducs de Bretagne, l’office de tourisme et les Machines de l’île dans une structure unique de droit privé mais à capitaux publics, la SPL Le Voyage à Nantes. Jean-Baptiste Desbois, Jean-Marc Devanne et Marie-Hélène Joly, respectivement dirigeants de Nantes Culture & Patrimoine, de l’office de tourisme et du château, sont poussés vers la sortie. Jean Blaise est nommé directeur général de la SPL.

Un choix étrange, a priori : alors dirigeant du CRDC, association culturelle créée dans les années 1980 avec une vocation ouvertement politique, Jean Blaise est normalement en fin de carrière : il aura 60 ans et 4 mois, âge légal de la retraite à l’époque, moins de six mois après la création de la SPL. L’unique vrai succès de sa vie professionnelle, le festival Les Allumées, remonte à une quinzaine d’années, et il vient d’essuyer un contrôle de la chambre régionale des comptes qui lui vaudra des remarques sévères sur sa gestion des biennales Estuaire (« incontestablement un projet de gauche », assure-t-il à Presse Océan). Mais c’est un proche de Jean-Marc Ayrault depuis près de trente ans.

Bilans à la Pyrrhus

Le Voyage à Nantes gère ses divers équipements dans le cadre de délégations de service public (DSP) mais « ce qui en fait son exemplarité » (sic) est son événement estival éponyme. Il doit faire boule de neige grâce à une collection d’œuvres « pérennes » accumulée d’année en année, conjecture-t-on.

Quinze ans et des centaines de millions d’euros après sa création, où en est Le Voyage à Nantes ? À l’été 2017, par exemple, Jean Blaise affichait 2 389 943 visites pour 800 000 visiteurs du parcours estival (soit trois sites visités en moyenne par personne, sur cinquante-deux proposés : on mesure l’enthousiasme). Sophie Lévy, qui l’a remplacé à la tête de la SPL, revendique 741266 visites en juillet-août 2025. Le nombre de visites a-t-il vraiment été divisé par trois ou le bilan de 2017 était-il faux ? Ou bien faut-il comparer les visiteurs de 2017 aux visites de 2025 et conclure que la fréquentation a baissé de 7,3 % par rapport à l’édition d’il y a huit ans alors que le nombre de stations numérotées au long de la ligne verte (79) a augmenté de moitié ? Avant la création de la SPL, Estuaire avait compté 764 125 visiteurs en 2007, ce que Ouest-France qualifiait de « bilan en demi-teinte ».

Les installations du Voyage à Nantes sont distrayantes pour les Nantais que nous sommes, mais les gros bataillons de touristes fréquentent surtout des sites permanents et autonomes, non spécifiques du Voyage à Nantes, qui existaient avant lui et n’ont pas forcément besoin de lui : le château des ducs de Bretagne, le Jardin des plantes, les Machines de l’île... Une exposition comme Hokusai tire les statistiques, mais ce n’est probablement pas sa concomitance avec le Voyage à Nantes qui fait son succès. D’autres manifestations de qualité, comme l’installation du cheval mécanique Zeus dans le cours Cambronne, action de mécénat privé du groupe Sanofi, réussissent très bien en dehors du Voyage à Nantes.

Une stratégie maintenue malgré son peu de résultats

Jean Blaise a opiniâtrement tracé son sillon dans une direction peu fructueuse, avec l’aval de Jean-Marc Ayrault puis de Johanna Rolland, qui avait pourtant paru hésiter brièvement en 2014. Après avoir semé ici et là des œuvres disparates et parfois médiocres, il est parti l’an dernier en laissant derrière lui un concept au bout du rouleau. Google Trends révèle que l’intérêt des internautes pour Le Voyage à Nantes va décroissant. Les requêtes en ligne ont atteint leur zénith (indice 100) dès la première année, en juin 2012. Jamais elles n’ont retrouvé ce niveau depuis lors. Elles ont plafonné à 26 % en août 2023, à 24 % en juillet 2024, à 20 % en juillet 2025.

Copie d'écran Google Trends

Dans le même temps, le tourisme a pourtant connu un développement énorme en France et dans le monde. Dynamisé par les compagnies low-cost, l’aéroport de Nantes Atlantique a vu passer 2,6 millions de passagers en 2007, 5,5 millions en 2017 et 7 millions en 2024. La mode des city-breaks s’est imposée. D’autres ont mieux profité que Nantes de ces facteurs exogènes. La ville de Bilbao, référence expresse de Jean-Marc Ayrault quand il a assigné une vocation touristique à Nantes en 2004, a doublé son nombre de visiteurs entre 2010 et 2024. Dans le marché dynamique du tourisme, qui n’avance pas recule. Nantes n’a pas réussi à « s’imposer dans le concert des villes françaises et européennes », etc.

Précédent billet : 

Le Voyage à Nantes 2025 a changé de patron mais a gardé ses compteurs (enfin, pas tous…)


01 octobre 2025

Tourisme à Nantes (1) : Le Voyage à Nantes 2025 a changé de patron mais a gardé ses compteurs (enfin, pas tous…)

Le Voyage à Nantes 2025 s’est achevé le 31 août en catimini, même si la fontaine de la place Royale joue les prolongations. Naguère, à peine les lumières éteintes, Jean Blaise s’empressait de publier des communiqués de victoire, en général largement « travaillés ». Cette année, il a fallu attendre presque un mois pour obtenir quelques données. 

La manifestation estivale a pourtant été, Sophie Lévy tient à le faire savoir, « conçue par Jean Blaise et les équipes projets ». On imagine donc que les modalités de comptage des visiteurs ont été les mêmes que les années précédentes. Les modalités de triturage des chiffres l’ont-elles aussi été ? 

Sophie Lévy annonce, selon Ouest-France, « une hausse de la fréquentation des sites de l’ordre de 8 % », et ActuNantes précise : 741266 visites en 2025 pour 685607 en 2024. Une source des plus fiables a pourtant compté 852 919 visiteurs en 2024. Autrement dit, la fréquentation aurait en réalité baissé de 13 %. Cette source des plus fiables, c’est Nantes Métropole elle-même

Le Voyage à Nantes 2025, Vie de bêtes,
d'Eléonore Saintagnan au Passage Sainte-Croix

Le Voyage à Nantes explique la différence par un « comptage à périmètre constant ». C’est un peu court ! Il faudrait au moins définir ce « périmètre », et révéler quels compteurs de l’an dernier ont enregistré la différence entre les 852 919 de 2024 en 2024 et les 685 607 de 2024 en 2025, soit pas moins de 167 312 visiteurs, ou 20% de la fréquentation 2024 ! Et tant qu’à faire, pourquoi Le Voyage à Nantes a-t-il renoncé à installer ces glorieux compteurs en 2025 ? On suppose qu’il ne les a pas posés ailleurs, puisqu’il ne livre pas d’autre statistique que celle du « périmètre constant » : ses moyens techniques se sont-ils à ce point dégradés ?

Un « compteur », ça paraît objectif et incontestable. Cependant, outre l’effet du « périmètre constant », un même visiteur pourra être compté pour un, deux, dix… cent selon les sites, avec compteur ou pas, qu’il choisit de visiter une ou plusieurs fois. Le choix des compteurs comptés permet de moduler les chiffres à volonté. La méthode de la comparaison avec un exercice antérieur minoré a posteriori avait déjà servi en 2016. Les progrès accomplis ne sont pas vraiment… comptables. 

Merci à Hokusai, pas à Zeus


Sophie Lévy mentionne comme site le plus visité cette année l’exposition Hokusai : 147 000 visiteurs. Mais l’exposition Hokusai a duré du 28 juin au 7 septembre, soit une semaine de plus que l’événement estival. Au moins 15 000 de ses visiteurs ne devraient pas figurer au bilan officiel ! Plus sérieusement, quelle est la locomotive de l’autre ? Hokusai n’a pas eu besoin du Voyage à Nantes pour remporter un grand succès. Or chaque visiteur de l’exposition en juillet-août a pu être compté pour plusieurs visiteurs du VAN à lui tout seul si, sorti du château des ducs de Bretagne, il a fait un tour en ville. Le surcroît de fréquentation dû spécifiquement aux millions d’euros investis dans les installations d’Ivan Argote et al. n’est probablement pas colossal.  

Ce qui mène à s’interroger sur les retombées d’autres expositions à succès. Le musée d’arts ne dépend pas du Voyage à Nantes. Il ne semble donc pas que les 123 283 visiteurs de l’exposition Hypersensible en juillet-août voici deux ans aient été comptabilisés dans le bilan officiel du Voyage à Nantes 2023, soit 745 440 visiteurs. De quoi faire pâlir le bilan 2025 (741 266 visiteurs, donc) qui inclut, lui, l’exposition Hokusai puisque le château est géré par Le Voyage à Nantes. 

Le même constat s’impose ces jours-ci avec Zeus, le cheval mécanique des Jeux Olympiques exposé au cours Cambronne grâce au mécénat du groupe Sanofi – le VAN n’y est pour rien. L’an dernier, le champion du Voyage à Nantes avait été Le Sursaut des bois courbes, l’escalier de bois bâti sur le même site. Il avait attiré116 198 visites en deux mois de l’été 2024. Zeus, en a attiré 48 000 en seulement deux jours de septembre 2025. Il n’est pas dit que l’effet Voyage à Nantes dépasse l’épaisseur du trait par rapport à une exposition de qualité.

Sven Jelure