Comme d’habitude, Le
Voyage à Nantes prétend avoir cartonné cet été. Pourtant, malgré ses
communiqués
flatteurs, il est globalement en échec. Il progresse peu en
fréquentation et en notoriété alors que le tourisme se développe partout. Et il
maîtrise difficilement ses finances. Nantes Métropole peut-elle continuer ainsi ?
Le Voyage à Nantes rappelle pompeusement, dans
sa présentation
institutionnelle, qu’il est une société publique locale (SPL) « née de
la volonté politique de Nantes Métropole et la ville de Nantes de s’imposer
dans le concert des villes françaises et européennes en se positionnant et
s’affirmant comme une ville enviée d’art et de culture, leviers de son
développement touristique. » Cette stratégie est poursuivie depuis
le 18 juin 2004, date à laquelle Jean-Marc Ayrault a imposé la création ex
nihilo des Machines de l’île. Elles bénéficieront de fonds européens en tant
qu’équipement touristique.
L’année suivante est créée Nantes Culture
& Patrimoine, une SEM chargée des sites culturels. Puis, début 2011,
Jean-Marc Ayrault réunit cette SEM, le château des ducs de Bretagne, l’office
de tourisme et les Machines de l’île dans une structure unique de droit privé
mais à capitaux publics, la SPL Le Voyage à Nantes. Jean-Baptiste Desbois, Jean-Marc
Devanne et Marie-Hélène Joly, respectivement dirigeants de Nantes Culture &
Patrimoine, de l’office de tourisme et du château, sont poussés vers la sortie.
Jean Blaise est nommé directeur général de la SPL.
Un choix étrange, a priori : alors dirigeant
du CRDC, association culturelle créée dans les années 1980 avec une vocation
ouvertement politique, Jean Blaise est normalement en fin de carrière : il
aura 60 ans et 4 mois, âge légal de la retraite à l’époque, moins de six mois
après la création de la SPL. L’unique vrai succès de sa vie professionnelle, le festival
Les Allumées, remonte à une quinzaine d’années, et il vient d’essuyer un
contrôle de la chambre régionale des comptes qui lui vaudra des remarques
sévères sur sa gestion des biennales Estuaire (« incontestablement un
projet de gauche », assure-t-il à Presse Océan). Mais c’est un
proche de Jean-Marc Ayrault depuis près de trente ans.
Bilans à la Pyrrhus
Le Voyage à Nantes gère ses divers
équipements dans le cadre de délégations de service public (DSP) mais « ce
qui en fait son exemplarité » (sic) est son
événement estival éponyme. Il doit faire boule de neige grâce à une collection
d’œuvres « pérennes » accumulée d’année en année, conjecture-t-on.
Quinze ans et des centaines de millions
d’euros après sa création, où en est Le Voyage à Nantes ? À l’été 2017, par exemple, Jean Blaise affichait 2 389 943
visites pour 800 000 visiteurs du parcours estival (soit
trois sites visités en moyenne par personne, sur cinquante-deux proposés :
on mesure l’enthousiasme). Sophie Lévy, qui l’a remplacé à la tête de la SPL,
revendique 741 266 visites en
juillet-août 2025. Le nombre de visites a-t-il vraiment été
divisé par trois ou le bilan de 2017 était-il faux ? Ou bien faut-il
comparer les visiteurs de 2017 aux visites de 2025 et conclure
que la fréquentation a baissé de 7,3 % par rapport à l’édition d’il y a
huit ans alors que le nombre de stations
numérotées au long de la ligne verte (79) a augmenté de moitié ? Avant la
création de la SPL, Estuaire avait compté 764 125 visiteurs
en 2007, ce que Ouest-France qualifiait de « bilan
en demi-teinte ».
Les installations du Voyage à Nantes sont
distrayantes pour les Nantais que nous sommes, mais les gros bataillons de touristes
fréquentent surtout des sites permanents et autonomes, non spécifiques du Voyage
à Nantes, qui existaient avant lui et n’ont pas forcément besoin de lui :
le château des ducs de Bretagne, le Jardin des plantes, les Machines de l’île...
Une exposition comme Hokusai tire les statistiques, mais ce n’est
probablement pas sa concomitance avec le Voyage à Nantes qui fait son succès. D’autres
manifestations de qualité, comme l’installation du cheval mécanique Zeus dans
le cours Cambronne, action de mécénat privé du groupe Sanofi, réussissent très
bien en dehors du Voyage à Nantes.
Une stratégie maintenue malgré son peu
de résultats
Jean Blaise a opiniâtrement tracé son
sillon dans une direction peu fructueuse, avec l’aval de Jean-Marc Ayrault puis
de Johanna Rolland, qui
avait pourtant paru hésiter brièvement en 2014. Après avoir semé ici et là
des œuvres disparates et parfois médiocres, il est parti l’an dernier en
laissant derrière lui un concept au bout du rouleau. Google Trends révèle que
l’intérêt des internautes pour Le Voyage à Nantes va décroissant. Les requêtes
en ligne ont atteint leur zénith (indice 100) dès la première année, en juin
2012. Jamais elles n’ont retrouvé ce niveau depuis lors. Elles ont plafonné à
26 % en août 2023, à 24 % en juillet 2024, à 20 % en juillet
2025.
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| Copie d'écran Google Trends |
Dans le même temps, le tourisme a pourtant
connu un développement énorme en France et dans le monde. Dynamisé par les
compagnies
low-cost, l’aéroport de Nantes Atlantique a vu passer 2,6
millions de passagers en 2007, 5,5 millions en 2017 et 7 millions en 2024. La
mode des
city-breaks s’est imposée.
D’autres ont mieux profité
que Nantes de ces facteurs exogènes. La ville de Bilbao, référence expresse de
Jean-Marc Ayrault quand il a assigné une vocation touristique à Nantes en 2004,
a doublé son nombre de visiteurs entre 2010 et 2024. Dans le marché dynamique
du tourisme, qui n’avance pas recule. Nantes n’a pas réussi à « s’imposer
dans le concert des villes françaises et européennes », etc.
Précédent billet :
Le Voyage à Nantes 2025 a changé de patron mais a gardé ses compteurs (enfin, pas tous…)