Il s’agit du visage de vieillard sculpté sur l’arrière de la
tête de la statue représentant la Prudence, qui forme l’un des angles du
mausolée. Cette figure double fascine le visiteur. Elle n’était pourtant pas
une nouveauté à l’époque de sa création : le tarot de Mantegna, antérieur
de quelques dizaines d’années, représentait déjà la Prudence avec deux visages,
celui d’une jeune femme et celui d’un vieillard. (Selon la tradition, le visage
féminin du tombeau serait celui de la duchesse Anne.)
La thèse est séduisante*.
Hélas, il est permis de la considérer comme le point faible de ce livre par
ailleurs remarquable. Sophie de Gourcy argue de la ressemblance entre le
personnage du tombeau et le célèbre autoportrait de Léonard de Vinci conservé à
Turin. Assurément, l’un et l’autre présentent une longue barbe, des poches sous
les yeux et le front ridé. Mais beaucoup de vieillards barbus sont aussi ridés. La bouche
aux coins tombants n’est pas plus significative : depuis l’Antiquité
grecque, elle connote la sagesse de la vieillesse.
Oui, mais Perréal a rencontré Vinci, avance l'historienne. Jean Perréal, portraitiste favori de la cour de Charles VIII, a conçu le
tombeau sculpté par Michel Colombe à la demande d’Anne de Bretagne. S’il a
rencontré Léonard de Vinci, on peut imaginer qu’il en a fait le portrait. Mais
cette rencontre aurait eu lieu, d’après une note manuscrite de Léonard, vers
1494, soit une petite vingtaine d’années avant l’autoportrait réalisé entre
1512 et 1515. Léonard de Vinci avait alors 42 ans : il ne pouvait être le
vieillard du tombeau.
Un biographe de Perréal ne tient d'ailleurs pour certaine qu’une seule
rencontre entre les deux artistes, quand Léonard, sexagénaire, est
arrivé en France en compagnie de François Ier**. Mais c’était en 1516, dix ans après l’achèvement du tombeau de François II.
Et puis, la ressemblance entre la statue de Nantes et l’autoportrait ne
vaut que de trois-quarts face. De profil, c’est une autre affaire. Allez-y voir : la statue montre un nez modeste, presque grec, bien différent du nez
puissant, plutôt bourbonien, visible sur les portraits de Léonard de Vinci. La
thèse de Sophie de Gourcy est séduisante, oui, mais elle manque de... prudence. Dire que Léonard de Vinci a inspiré le tombeau de
François II n’est pas plus crédible que de dire qu’il a inspiré – au hasard –
Les Machines de l’île.____________________________
* Geneviève-Morgane Tanguy en avait presque eu l’intuition dans Les Jardins secrets d’Anne de Bretagne, Paris, Fernand Lanore, 1991, p. 15.
** Léon
Charvet, Jehan
Perréal, Clément Trie et Édouard Grand, Lyon, Glairon Mondet, 1874.
À Nantes, les statues provoquent parfois des hallucinations. Après le vrai-faux navigateur place du Commerce, voici un second cas de démence dans notre vieille ville avec un ouvrage édité le plus sérieusement du monde. Dois-je faire un autodafé de mon abondante littérature et documententation nantaise ?
RépondreSupprimerJe suis encore bouleversé par votre révélation sur les Machines, je croyais vraiment l'inspiration maritime de Jules Verne à égalité de celle, ligerienne et d'outre-tombe, de Léonard de Vinci... Mes informations sont encore erronées et fantaisistes.
RépondreSupprimerIl existe une autre "face cachée" si on peut dire : celle d'Auguste Burgaud qui fut photographe à Nantes au temps du Second Empire. Allez voir sur Presse-Océan:
RépondreSupprimerhttp://www.presseocean.fr/actualite/nantes-l-incroyable-histoire-d-un-photographe-sourd-au-19e-siecle-10-05-2016-191891
Particularité de ce photographe : outre d'être sourd et de tenir boutique au centre de Nantes, on n'a jamais retrouvé un seul portrait de lui ! Nantes : royaume des faces cachées ? N'en voit-on pas des quantités lors des manifs ?
Intéressante histoire que celle de M. Burgaud. On ne pratiquait pas encore le "selfie" de son temps !
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