« Dire non à l'Arbre aux Hérons, ce
serait dire non à la pérennité des Machines », avaient
prévenu Pierre Orefice et François Delarozière dès 2013. « Ce serait
stopper une belle aventure et condamner la dynamique des Machines dans les dix
ans à venir. » Tout parc d’attraction doit évoluer régulièrement pour
inciter le public à revenir. Même si elles n’étaient pas très spectaculaires –
un « paresseux », des « colibris »… ‑ les nouveautés
destinées in fine à l’Arbre aux Hérons permettaient aux Machines de
stimuler leur fréquentation grâce à une communication ardemment relayée par la
presse locale. De plus, le succès de la Galerie des Machines repose sur le
talent de ses animateurs, qui ont besoin de perspectives pour maintenir leur
motivation. Plus d’Arbre, plus de nouveautés. Voilà pourquoi les Machines de l’île sont en
danger.
Johanna Rolland s’est donné le temps de
réfléchir à la question. Le 7 juillet 2016, elle annonce la construction de
l’Arbre aux Hérons puis lance une longue et coûteuse série d’études préalables.
Il y en a au total pour 8,6 millions d’euros de dépenses préliminaires ‑ et
même 9,2 millions en comptant la branche prototype construite dès 2007 devant
les Nefs des Chantiers. Le 9 juillet 2021 enfin, entourée de Fabrice Roussel, Pierre Orefice, Yann Trichard et Ben Barbaud, patron du
Hellfest, Johanna Rolland déclare : « Le projet entre
dans une phase décisive ». Mais au lieu de faire voter un feu vert formel
par le conseil métropolitain, elle remet le sujet à plus tard,
de séance en séance, pendant plus d’un an. Puis, soudain, le 15 septembre 2022,
elle annonce l’abandon du projet pour
des raisons économiques fort peu convaincantes.
L’Arbre aux Hérons est un
projet
mal fichu à plusieurs égards : il est raisonnable d’y renoncer et
déraisonnable d’avoir tergiversé si longtemps. Mais il faut en assumer les
conséquences. Johanna Rolland sait que, conformément à la prophétie de MM.
Delarozière et Orefice, elle risque de tuer les Machines en abandonnant l’Arbre
aux Hérons. Elle le sait si bien qu’elle avance un plan B. L’abandon de l’Arbre
aux Hérons
« ne marque pas la fin des Machines de l’île », assure expressément
Nantes Métropole (c’est nous qui soulignons), « puisque Johanna Rolland et
Fabrice Roussel ont confirmé aux mécènes que les fonds collectés par le fonds
de dotation financeront la mise en exploitation du Grand Héron […] dès la
saison touristique 2024/2025
».
Un plan B peu convaincant
Autrement dit, cette mise en exploitation
est le fil qui relie les Machines à la vie. C’est un plan B au rabais, mais il
a le mérite d’exister. Il est confirmé
début 2024 quand Fabrice Roussel, alors premier vice-président de Nantes
Métropole, déclare : « Ce
que nous voulons et nous nous y sommes engagés par rapport aux mécènes, c’est [mettre
le Grand Héron] en exploitation comme le Grand Éléphant à partir de 2025 ». L’engagement initial pris « par rapport aux mécènes »
est même la construction de l’Arbre aux Hérons tout entier, mais passons… Cette
première promesse n’ayant pas été tenue, la seconde le sera-t-elle ?
Elle
figure encore à ce jour sur le site web de Nantes Métropole.
Plusieurs
mois passent encore avant qu’un bureau d’études soit chargé, en octobre
2024, pour un montant pouvant atteindre 220 000 euros HT, d’établir un
diagnostic de la santé du Héron, puis de piloter son éventuelle réparation. Il
semble que le diagnostic n’ait pas encore été livré. Même si ce n’est pas en 2025,
la promesse de Nantes Métropole sera-t-elle tenue un jour ?
Il suffit de regarder la machine abandonnée
à côté des Nefs pour en douter. En trois ans et demi de présence, utilisée une
seule fois à l’automne 2022, elle semble devenue une épave. Elle a subi des
intempéries, certes. Mais tel était son destin ‑ et à 40 mètres de
hauteur ! ‑ si l’Arbre avait vu le jour. Et puis, on imagine mal sa
proposition commerciale : qui aurait envie d’acheter un billet pour
s’installer dans un de ses paniers d’osier afin de tourner en rond pendant
quelques minutes à quatre ou cinq mètres du sol.
Le plan C oublié
Puisque la survie des Machines dépend de ce
Héron, faut-il en conclure, corrélativement, que Nantes Métropole s’est
résignée à la « fin des Machines de l’île » ?
Le soupçon est d’autant plus légitime que, tout le monde semble l’avoir oublié,
il a existé un plan C dont Johanna Rolland n’a pas voulu.
En novembre 2022, Yann Trichard, président
de la Chambre de commerce et d’industrie, propose une
solution privée pour
réaliser l’Arbre aux Hérons malgré le renoncement de Nantes Métropole. Il va
même jusqu’à évoquer un investissement
rentable, et Nantes Métropole admettra
que la « faisabilité économique du projet » est démontrée. Ce qui
revient à reconnaître entre les lignes que Johanna Rolland s’est trompée en
affirmant le contraire deux mois plus tôt !