Mais quelle mouche a donc piqué Jean-Marc Ayrault pour qu’il
publie dans Le Monde, deux jours avant le deuxième tour des élections
législatives, une tribune
consacrée à la réforme de la Constitution par le Rassemblement national
(RN) ?
L’ancien maire de Nantes n’a jamais été considéré comme un
constitutionnaliste éminent, ni même comme un législateur éminent, d’ailleurs. Certes,
il s’est fait aider dans sa rédaction par son collaborateur Pierre-Yves Bocquet.
Mais celui-ci, qui a jadis écrit des discours pour le président Hollande, n’est
pas davantage constitutionnaliste (en fait, c’est plutôt un spécialiste de
la musique américaine contemporaine). Alors, pourquoi s’aventurer en terrain
mal connu ? Mystère.
Cette tribune se situe dans l’optique d’une victoire
électorale du RN. Envisager froidement la victoire de l’adversaire n’est jamais
une bonne idée : c’est répandre un climat défaitiste. Sans même l’excuse d’une
vision prophétique puisque finalement le RN ne l’a pas emporté !
Dans le récit de politique-fiction ayraultique, le RN remporte l’élection et Emmanuel Macron, après une brève cohabitation, démissionne le 15 septembre 2024 (les auteurs de la tribune conviennent quand même qu’il s’agit d’une hypothèse « purement théorique » !). Une élection présidentielle est organisée les 20 octobre et 3 novembre 2024 et Marine Le Pen est élue au deuxième tour. Elle prend ses fonctions le 8 novembre.
La nouvelle présidente de la République engage alors une modification de la Constitution de la Ve République afin de transformer la France en une démocratie « illibérale ». Elle dispose pour cela d’une clé magique : « Cette clé est le recours à l’article 11 de la Constitution, qui permet au président de soumettre au référendum un texte de loi sans le soumettre au Parlement. » Politique fiction toujours : ce référendum a lieu le 22 décembre 2024.
Ce qu’en dit Fabius
La Constitution de la Ve République a été modifiée vingt-cinq fois, mais pas souvent par le biais de l’article 11. Pour Jean-Marc Ayrault, il semble plus ou moins caduc de facto : « après 1969, l’article 11 n’a plus été utilisé pour modifier la Constitution ». Cette affirmation est fausse, bien entendu : en 2005, l’article 11 a bel et bien été utilisé lors du référendum sur le traité établissant une Constitution pour l’Europe. Simplement, le coup a manqué : si la Constitution n’a pas été modifiée, c’est parce que les Français ont dit « non » !
Aujourd’hui, insiste néanmoins Jean-Marc Ayrault, « la plupart des juristes, comme le président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, considèrent que la Constitution ne peut être révisée par cette voie ». Ah ! tiens, Laurent Fabius, justement, a été interrogé sur le sujet par Le Monde voici deux mois. Il a répondu : « l’article 11 prévoit les cas précis dans lesquels on peut utiliser le référendum direct. » Autrement dit, on peut l’utiliser au moins dans certains cas (et en fait, ces « cas précis » ratissent large : ils peuvent porter « sur l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics » !). Avant d’invoquer le président du Conseil constitutionnel, Jean-Marc Ayrault aurait bien fait de lui demander son avis.
François Mitterrand n’a jamais utilisé l’article 11. Cependant, le 12 juillet 1984, il envisageait une révision de cet article qui lui aurait permis de consulter directement les Français sur les grandes questions touchant aux libertés publiques. Le 12 avril 1992, il menaçait, en cas de « mauvais vouloir » du Parlement à propos du traité de Maastricht, de recourir au référendum prévu à l’article 11 de la Constitution. Mais quoi, François Mitterrand, c’est loin…
La mémoire qui flanche
Jean-Marc Ayrault lui-même nourrissait autrefois envers l’article 11 des sentiments beaucoup plus positifs. En 2009, il a déposé à l’Assemblée nationale, au nom du groupe socialiste, une proposition de résolution « estimant urgente la mise en œuvre l’article 11 de la Constitution sur l’extension du référendum ». Il s’agissait de faciliter le référendum d’initiative populaire, « exercice démocratique national » en limitant le pouvoir du Parlement (et en constatant au passage que le Conseil constitutionnel n’a pas à s’en mêler – et toc ! pour Laurent Fabius). La résolution n’ira pas plus loin, mais les archives de l’Assemblée nationale sont impitoyables !
Ce qui rend encore plus épineuse la question posée ci-dessus : quelle mouche a piqué Jean-Marc Ayrault ? Il a fait quelques apparitions sur le terrain pendant la campagne des législatives. Et l’on annonce déjà la parution de ses mémoires pour l’an prochain. Voudrait-il sortir de sa quasi-retraite (la Fondation pour la mémoire de l’esclavage progresse à petits pas prudents…) afin de redevenir maire de Nantes en 2026, à 76 ans, inspiré peut-être par l’exemple de Donald Trump et Joe Biden, respectivement 78 et 81 ans ?
Ou bien, puisqu'il a été dit, après son calamiteux passage au gouvernement sous Hollande, qu’il aimerait siéger au Conseil constitutionnel, et que justement le siège de Laurent Fabius sera disponible en mars prochain, lorgnerait-il vers le Palais-Royal ? Mais cette tribune bricolée serait une drôle de manière de présenter une candidature…
Illustration : extrait de la fresque du mur de Royal de Luxe en 2011 après vandalisation
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