À la pointe de l’île Beaulieu, la Loire paraît familière au long des berges du Crapa. À la pointe de l’île de Nantes, quais et rambardes la rendent insaisissable.
Peut-être que le symbole arrange certains. Côté Orient, entre Malakoff et palais régional ligérien, l’eau opportune qui vient d’Anjou bénirait une population et une histoire néo-nantaises échafaudées de toutes pièces depuis un demi-siècle. Côté Occident, entre hôtels du quai de la Fosse et vestiges d’une ville industrieuse, l’eau interdite qui va vers l’océan laverait symboliquement la ville de son passé négrier et pue-la-sueur, chassant au loin des rêves trop bretons.
Mais les rêves ont la vie dure. Et puisque le trafic maritime ne reviendra pas de sitôt (rêve n’est pas nostalgie), à quoi bon conserver les hautes estacades qui nous isolent du fleuve ? On imagine des degrés se perdant dans les eaux, façon ghâts de Bénarès, où des mystagogues barbus baptiseraient leurs disciples, où les familles déçues du morne crématorium brûleraient les corps de leurs défunts sur des bûchers fumants au vent du centre-ville (les vieux Nantais qui ont encore dans les narines l’odeur des petits LU tout chauds comprendront l’idée), où, surtout, on viendrait se promener au bord de l’eau et non loin au-dessus. Ils serviraient aussi de gradins lors de spectacles nautiques.
Hélas, l’estacade paraît aussi sacrée que les grues Titan ou les hangars des chantiers, comme si le conservatisme était érigé en religion municipale. Et désormais, les anneaux de Buren veillent au grain : fixés sur les piliers, ils assurent leur survie à jamais, protection des œuvres d’art oblige. Au nom d’Estuaire, Nantes a pérennisé l’exclusion de la Loire !
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