Décidément, la lecture des avis de marché de la ville de
Nantes et de Nantes Métropole est pleine de surprises. Après le
marché express des « reporters professionnels et amateurs »,
voici l’avis
d’attribution de marché des études préalables de l’Arbre aux Hérons publié
par TED, supplément au Journal officiel de l’Union européenne. Là, c’est
du lourd : 2.575.000 euros.
Le marché porte sur la « Réalisation d'une étude de
définition du projet d'arbre aux Hérons permettant de confirmer sa faisabilité
dans le respect des contraintes du site retenu, du coût d'opération défini et
des contraintes réglementaires applicables à ce type d'équipement ».
Une fois qu’on a décidé de faire l’Arbre aux Hérons, il est sage en effet de
vérifier qu’il est faisable. Il aurait même été encore plus sage de s’en
assurer avant.
Car il y a eu un avant. Ce marché est un nouvel épisode
d’une séquence déjà étrange :
- Le 17 octobre 2016, le conseil métropolitain confie à Nantes Métropole Aménagement le projet du Bas-Chantenay comprenant explicitement « la reconversion de la Carrière Miséry, actuellement désaffectée en un parc métropolitain ».
- Le 10 février 2017, le conseil métropolitain s’entend dire que, « en cohérence » avec la décision précédente, Nantes Métropole Aménagement sera chargé de plusieurs études ayant pour but de « finaliser la conception de l’Arbre aux Hérons et de travailler à son intégration dans son environnement », c'est-à-dire dans la carrière. Le coût prévisionnel des études est alors de 4 millions d’euros dont 2 financés par « des fonds privés déjà identifiés ».
- Le 8 décembre 2017, le conseil métropolitain « autorise » Nantes Métropole Aménagement à confier des « pré-études » de réalisation à La Machine, Pierre Orefice et François Delarozière moyennant 2,435 millions d’euros HT plus 140.000 euros HT de droits d’auteur. Des études de sols et géotechniques seront commandées par ailleurs pour 636.000 euros HT.
Il n’est plus question ni des « fonds privés déjà
identifiés » ni d’un plafonnement des coûts de Nantes Métropole à 2
millions d’euros, et puisqu’on parle de « pré-études », il est à craindre que la facture ne s’alourdisse par la suite. Mais l’essentiel
n’est pas là. Charger Nantes Métropole Aménagement des études de faisabilité
n’avait rien d’étonnant, c’est son métier. Lui imposer de refiler ensuite le bébé
à un « groupement d’opérateurs économiques » formé de La
Machine, Pierre Orefice et François Delarozière intrigue bien davantage. En
effet :
- La Machine, association loi de 1901 dont le siège est en Haute-Garonne (et non à Nantes comme l’indique l’avis d’attribution) a pour objet : « promouvoir les métiers et savoir-faire du spectacle, plus particulièrement au travers de la création, la réalisation et la cession de décors, machines et objets de spectacles » et autres activités connexes sans rapport avec les pré-études financières ou réglementaires.
- Pierre Orefice, sorti de Sciences Po sans en être diplômé, a travaillé dans la production de spectacles avant de devenir salarié de Nantes Métropole puis du Voyage à Nantes à un poste de gestionnaire, celui de directeur général des Machines de l’île. On apprend ainsi que sa charge de travail lui laisse le loisir d’exercer des activités extérieures significatives – mais il est vrai que l’exemple vient de haut puisque son propre patron, Jean Blaise, travaille pour la ville du Havre. Plus curieux encore, il peut exercer ces activités in fine pour l’actionnaire principal de la SPL dont il est salarié.
- François Delarozière, diplômé des Beaux-arts, est un créateur de machines de spectacle, salarié de l’association La Machine en tant que directeur artistique. Il est donc doublement titulaire du marché attribué par Nantes Métropole Aménagement. Les contrats de travail de l’association ne sont sans doute pas mieux bordés que ceux du Voyage à Nantes.
Dira-t-on que ces trois-là ne possèdent à peu près aucune
des compétences techniques, financières et juridiques nécessaires à la conduite
d’une étude de 2.435 millions + 140.000 euros HT ? Non : ils ont démontré leur parfaite maîtrise du sujet. Une branche prototype est
installée devant les Nefs depuis 2007. Une maquette détaillée de l’Arbre aux
hérons a été visible pendant des années dans la Galerie des machines avant
d’être vendue au Crédit Mutuel. On
connaît précisément les dimensions de l’engin, ses équipements, ses capacités
d’accueil. Pierre Orefice a plus d'une fois commenté le coût de réalisation, le
plan de financement et les chiffres
de fréquentation future. Tout est bien bordé, donc…
Et pourtant, il faudrait encore rajouter au pot plus de 2,5
millions d’euros ? On nous aurait menti ? Il y a là un mystère que
Nantes Métropole devrait avoir à cœur d’éclaircir. Car pour l’instant, le
mystère règne sur le contenu de ces coûteuses « pré-études ».
En effet, le marché a été attribué en toute opacité, en
invoquant une disposition de l’article 30 du décret n°
2016-360 du 25 mars 2016 : un marché public peut être négocié sans publicité ni mise en concurrence
lorsqu’il « a pour objet la création ou l'acquisition d'une œuvre d'art
ou d'une performance artistique unique ». Nantes Métropole
Aménagement, « agissant au nom et pour le compte de Nantes
Métropole » (une manière de se dédouaner en cas de pépin ?) s’en
explique ainsi :
Le marché à pour objet de
confier au groupement attributaire la réalisation d'une étude de définition de
l'œuvre d'art de l'arbre aux Hérons permettant de confirmer sa faisabilité dans
le respect des contraintes du site retenu, du coût d'opération défini et des
contraintes réglementaires applicables à ce type d'équipement. Ses auteurs sont
seuls titulaires des droits intellectuels attachés au projet et donc seuls
susceptibles de le définir avec précision, de l'adapter aux contraintes
opérationnelles et d'en finaliser la conception-réalisation.
Cette explication est quintuplement boiteuse :
- L'article 30 du décret du 25 mars 2016 n’impose pas la procédure négociée : il ne fait que l’autoriser. Étant donné l’énormité des montants en jeu, Nantes Métropole aurait dû parer à tout reproche en appliquant avec rigueur les règles des marchés publics.
- L'article visé, dérogatoire à une disposition générale, doit être interprété strictement. Il concerne les cas de création ou d’acquisition d’une œuvre. Or ici, il ne s’agit pas d’une création mais, comme précisé, de « la réalisation d’une étude de définition » afin de confirmer la « faisabilité » de l'Arbre compte tenu des contraintes de lieu, de coût et de réglementation.
- Le volet créatif de la mission est expressément couvert par les 140.000 euros de droits d’auteur prévus. Ce chapitre représente 5,4 % de l’enveloppe globale. Difficile de s’en prévaloir pour considérer comme « artistiques » les 94,6 % restants.
- La chambre régionale des comptes, dans son rapport sur le Voyage à Nantes, a souligné que les éléments du Carrousel des mondes marins « ne constituent pas des œuvres d’art au sens de l’article 98 A du code général des impôts ». Pourquoi en irait-il autrement de l’Arbre aux hérons ?
- Le marché n’est pas passé avec un artiste mais avec un groupement de trois opérateurs dont aucun n’est un artiste inscrit comme tel à l’Urssaf, même si deux d’entre eux perçoivent des droits d’auteur.
Mon dieu ! Vous n'iriez pas jusqu'à prétendre qu'il s'agit d'une forme retorse de subventionnement déguisé n'est-ce pas ?
RépondreSupprimerAh. Et pour la prochaine fois @nantesmétropole : http://www.marche-public.fr/Marches-publics/Definitions/Entrees/In-house.htm
RépondreSupprimerSubventionnement déguisé ? Je ne prétends rien. Mais puisqu'il faut trouver 12 millions de financements privés auprès de généreux donateurs, il est vrai que commencer par leur remplir les poches ne pourrait pas nuire.
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