Elle ressemble fâcheusement à un travail bâclé, la
décision de lundi dernier par laquelle le Conseil d’État a rejeté la requête de
l’ACIPA et de quelques autres contre le décret organisant la consultation
du 26 juin sur le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. De plus savants
que moi l’analyseront certainement. Cependant, je voudrais revenir sur un détail auquel je m’étais déjà intéressé : la
« piste de Nantes Atlantique ».
La question posée le 26 juin n’est pas claire, soutenaient les
requérants, car elle porte sur un « projet de transfert » dont
le contenu n’est pas précisé. Mais si ! a répondu en substance le Conseil d’État :
il s’agit du projet qui a fait l’objet d’une déclaration d’utilité publique en 2008.
Cela se devine aisément puisque « le Gouvernement n’a ni décidé, ni manifesté la volonté de modifier ce
projet, ni annoncé une consultation des électeurs portant sur un projet
distinct ». Et tant pis
si la composition du corps électoral a sensiblement changé en huit ans :
nul n’est censé ignorer la DUP, même si la question posée n’en fait pas état.
Reste quand même un
détail gênant qui n’a pas échappé au Conseil d’État : la consultation ne
porte pas seulement sur la création d’un nouvel aéroport mais aussi sur le
sort de l’ancien puisque il s’agit de son « transfert ». Pas
de problème répondent les hauts magistrats : le dossier d’information
établi par la Commission nationale du débat public indique que « la
piste de Nantes-Atlantique serait maintenue pour un usage strictement
industriel d’Airbus avec deux ou trois vols par semaine en fonction des besoins
logistiques du pôle industriel aéronautique ». En vertu de quoi, les
termes de la question posée le 26 « ne sont entachés d’aucune erreur ou ambigüité » (le Conseil d’État pratique l'orthographe réformée).
Des ambiguïtés, pourtant, il y en a au moins quatre.
Première ambiguïté : Le Conseil d’État, qui n’est
pas l’Académie française, ne s’est pas interrogé sur le sens du mot « transfert ».
N’importe quel dictionnaire en donne une définition du genre : « déplacement
d’un lieu à un autre ». Ce qui est transféré ici cesse d’être là. Dans
la mesure où une partie de Nantes Atlantique resterait en place, il s’agit au
mieux d’un transfert partiel. La question posée est donc de nature à égarer l’électeur
qui sait causer le français.
Deuxième ambiguïté : Le Conseil d’État considère
que la question soumise au corps électoral a été précisée par le dossier de la
CNDP. Mais l’ordonnance
du 21 avril 2016 dispose que « la consultation est décidée par un
décret qui en indique l'objet », tandis que la CNDP,
elle, établit un « dossier d’information ». La CNDP est une
autorité administrative indépendante, c’est-à-dire, selon la jurisprudence du
Conseil d’État lui-même, qu’elle est indépendante du gouvernement. Et elle
pourrait, par un simple dossier d’information, moduler une question qui relève
du décret, donc du gouvernement ?
Troisième ambiguïté : La formule du CNDP
contient un conditionnel (« serait maintenue »), défini par l’Académie
française comme le « mode du verbe qui, dans une proposition
principale, présente l'action comme une éventualité ou comme la conséquence
d'une condition hypothétique ». C’est donc que l’avenir de la piste n’est
pas certain, et que le projet soumis à consultation est imprécis.
Or ce n’est pas tout ! Comme
un vulgaire service de com’ de Nantes Métropole, le Conseil d’État a
tronqué sa citation. La CNDP n’avait pas seulement écrit que « la piste
de Nantes-Atlantique serait maintenue », mais que « en l’état
actuel du dossier, la piste de Nantes-Atlantique serait maintenue ». Puisque
l’état futur du dossier pourrait être différent, l’électeur ne peut savoir à
quoi il s’engagerait le 26 juin. C’est si évident qu’on peut franchement se
demander si le Conseil d’État n’a pas préféré scotomiser une mention gênante.
Quatrième ambiguïté : Au sein de la même phrase
reproduite par le Conseil d’État, la CNDP évoque « un usage strictement
industriel d’Airbus » et « des besoins logistiques du pôle
industriel aéronautique ». Ces deux formules ne sont pas synonymes. D'une part les « besoins logistiques » peuvent aller bien au-delà d’un
usage « strictement industriel », d'autre part le « pôle
industriel » comprend d’autres entreprises qu’Airbus. Là encore, l’électeur
ignore sur quoi il vote.
Quatre cafouillages et un errement
Et ce n’est pas fini ! Les quatre ambiguïtés ci-dessus s'accompagnent d'une erreur sur la nature du Nantes Atlantique futur. Une « piste »
dit la CNDP, qui s’est contenté de reprendre des présentations tendancieuses du
projet. Une « piste », répète donc explicitement le Conseil d’État.
Comme je l’ai dit, le
mot « piste » est caractéristique d’une manipulation
propagandiste. Une piste est simplement une « aire
rectangulaire aménagée ». Seule, elle ne sert à rien. Pour
l’utiliser, il faut aussi des équipements, des autorisations et surtout… des mouvements
d’aéronefs. C’est-à-dire un « aérodrome ». Tous les textes
officiels convergent sur ce point. La CNDP n’a probablement pas fait attention
à cette distinction. Le Conseil d’État l’a suivie dans son étourderie. Résultat :
la question posée le 26, telle qu’il l’a reformulée d’après le dossier de la
CNDP, est entachée d’une erreur.
Il aurait fallu écrire : « un aérodrome sera
maintenu » et non « une piste serait maintenue ». Il
aurait même fallu dire de quelle catégorie d’aérodrome il s’agirait, car le
code de l’aviation civile en distingue plusieurs. Et la quatrième ambiguïté
citée plus haut complique les choses. Si la « piste »
conservée à Nantes Atlantique était destinée à « un usage strictement
industriel d’Airbus », il s’agirait a priori d’un « aérodrome
à usage privé ». Mais si elle était utilisée « en fonction des
besoins logistiques du pôle industriel aéronautique », il s’agirait plutôt d’un
« aérodrome à usage restreint ». Or les deux catégories sont soumises
à des réglementations différentes. Là encore, l’électeur ne sait pas à quoi il
s’engage.
Je coupe les cheveux en quatre ? Mais c’est le métier même
du Conseil d’État ! Il doit fermer une à une toutes les pistes (!) de
contestation. Et s'il se laisse manipuler par le discours propagandiste, comment l'électeur de base y échapperait-il ?
Le Conseil d'Etat est-il tombé dans le panneau ? Autre question : le conseil d'Etat est-il vraiment indépendant... ?
RépondreSupprimerJe ne crois pas qu'on puisse douter de l'indépendance du Conseil d'Etat en tant qu'institution : il a amplement prouvé qu'il pouvait prendre des décisions contraires au voeu du gouvernement. Bien sûr, on peut toujours mettre en doute tel ou tel conseiller d'Etat individuellement, mais ici la décision a été prise par deux chambres réunies. Une décision ouvertement partisane aurait sûrement été retoquée. Cependant, une étourderie collective est toujours possible de la part de gens pressés par un délai qui interdisait la réflexion.
RépondreSupprimerDeux choses quand même obligent à s'interroger sur une possible rupture d'équité.
1) Au cours de la procédure, il a été reconnu que, si l'Etat entendait consulter les citoyens sur le projet tel qu'il existait lors de la DUP de 2008, la question posée le 26 aurait dû y faire explicitement référence. C'était la simplicité et l'évidence même, il suffisait d'ajouter quelques mots à la question. Que la décision finale n'ait pas retenu cette exigence me paraît prêter à conjectures !
2) L'omission de la mention "en l'état actuel du dossier" dans une phrase de la CNDP citée par ailleurs entre guillemets fait penser à un tas de poussière dont on se débarrasse sous un tapis.
Moi, je crois que la question posée est claire : l'aéroport serait transféré à Notre-Dame-des-Landes, mais sa piste resterait à Nantes Atlantique.
RépondreSupprimerOn aurait donc la piste en Sud Loire et l'aéroport en Nord Loire.
Je suis sûr que c'est ce que le gouvernement voulait dire. D'ailleurs, ce jugement de Salomon rappelle l'affaire Leonarda, non ?