Les éditions de l’Observatoire publieront en 2025 les mémoires de Jean-Marc Ayrault. Ce n’est pas une blague ‑ du moins l’information vient-elle d’une source sérieuse, le cahier économie du Figaro*. Dix ans après son calamiteux passage à l’Hôtel Matignon, des lecteurs s’intéresseraient donc encore à l’ancien maire de Nantes ?
À ce jour, la littérature concernant Jean-Marc Ayrault est des
plus limitées. Côté éloges, il y a deux livres d’Alain Besson, publiés
localement chez Coiffard en 2004 et 2012, et celui de Jean-Marie Biette, paru
en 2012 aux éditions de
l’Archipel ; côté critiques, mon propre Jean-Marc
Ayrault, maire de Nantes, modeste autoédition en ligne de 2012.
Jean-Marc Ayrault sur le mur de Royal de Luxe en 2011 |
Ayrault n’a rien à raconter, pourrait croire un citoyen
distrait. Pourtant, si l’on anticipe le sommaire de son livre, on s’aperçoit
qu’il n’est pas vide :
- Comment je suis arrivé
au Parti socialiste via l’extrême-gauche de Poperen
- Comment j’ai recentré
Saint-Herblain sur une énorme zone commerciale qui aspire les forces vives
du commerce nantais
- Comment j’ai fait de
Nantes le n° 1 des palmarès des meilleures villes à mon arrivée, puis le
n° 2, puis le n° 3, puis le n° X
- Comment j’ai été
condamné à six mois de prison avec sursis pour favoritisme (mais c’était
pour la bonne cause d'un financement politique)
- Comment j’ai fait de
Nantes la Mecque de la culture avec les Allumées et Royal de Luxe (du
temps où il produisait quelque chose)
- Comment Trafics et Fin
de Siècle, destinés à élargir le succès des Allumées, ont laissé plus de dettes que de souvenirs
- Comment j’ai fait de Nantes une « métropole touristique internationale » avec Les Machines de l’île
- Comment j’ai mis la politique touristique de Nantes entre les mains d’un Jean Blaise dont la gestion venait d’être critiquée par la Chambre régionale des comptes
- Comment j’ai fait la
fortune de MM. Delarozière et Orefice (sans leur réclamer de
droits sur l’image de leur éléphant)
- Comment j’ai construit
l’Arbre aux Hérons à partir de la branche prototype de 2007
- Comment j’ai imposé aux
Nantais de pratiquer la repentance en tant que descendants de négriers
avec un Mémorial
massif mais fragile quand même
- Comment j’ai fait de
Nantes la Green Capital de l’Europe grâce à un trait
de peinture verte et à un gag
répétitif
- Comment j’ai fait du
Combi Volkswagen (12 l aux 100) le véhicule
emblématique de Nantes
- Comment j’ai relancé le
Carnaval
de Nantes pour concurrencer Rio, Venise et Dunkerque
- Comment le musée
d’arts, « grand projet » de mon quatrième mandat a demandé deux
fois plus d’argent et trois fois plus de temps que prévu
- Comment j’ai construit
un nouvel
aéroport international à Notre-Dame-des-Landes, profitant de ma
nomination comme Premier ministre pour réaliser l’Ayraultport
- Comment j’ai peuplé les
trottoirs nantais de tout
un tas de bidules
- Comment j’ai lutté
contre la délinquance en refusant
la téléprotection
- Comment en tant que
président du groupe socialiste de l’Assemblée nationale je me suis montré
un orateur
redoutable
- Comment j’ai voulu éradiquer Colbert au
point de contredire
le musée de Nantes
- Comment j’ai si bien enraciné
ma circonscription électorale dans le socialisme qu’elle a été perdue par
Karine Daniel en un rien de temps
- Comment j’ai raté l’aménagement
de l’île de Nantes après avoir prétendu en faire un « centre urbain à
dimension internationale »
- Comment j’ai imposé la
transformation d’un bâtiment industriel en école des beaux-arts, et
qu’importe si c’est plus cher et malcommode
- Comment j’ai sauvé
l’Hôtel de la Duchesse Anne, face au château des ducs de
Bretagne
- Comment j’ai soutenu la
construction de la Villa
Déchets, « symbole du développement durable »
- Comment j’ai reconstruit
les salons Mauduit vingt ans après l’avoir annoncé
- Comment j’ai fait
construire un palais de justice par Dominique Perrault. Ou bien
était-ce quelqu’un
d’autre ?
- Comment j’ai choisi
d’implanter un CHU au plus
mauvais endroit possible (enfin, presque)
- Comment j’ai, en tant
que Premier ministre, dirigé
un gouvernement homogène et cohérent
- Comment j’ai secondé un
président de la République charismatique et déterminé
- Comment, de toute ma
carrière politique, je
n’ai commis qu’une seule erreur
- Comment j’ai remis
la diplomatie française au centre du jeu international
- Comment je ne suis
devenu ni
président de l’Assemblée nationale ni membre du Conseil constitutionnel
- Comment ma Fondation
pour la mémoire de l’esclavage reste pratiquement au point mort sept ans
après l’annonce de sa création
Et ce n’est sûrement pas
tout ! Bien des Nantais auront sûrement d’autres épisodes glorieux à
rappeler. Reste à voir si les lecteurs se précipiteront. La concurrence sera
rude : selon la même source, les mémoires d’Anne Hidalgo, maire de Paris,
doivent aussi paraître en 2025 chez le même éditeur. En voilà un qui a le goût
du risque commercial.
* Claudia
Cohen, « Le livre politique, un passage
obligé à la veille des élections mais sans garantie de succès », Le Figaro, 18 avril 2024
**
Philippe Guibert, Gulliver enchaîné – le déclin du chef politique en France,
Paris, Éditions du Cerf, 2024.