21 juillet 2025

Le Voyage à Nantes 2025 : de plus en plus de mal à bien faire semblant

Le Voyage à Nantes 2025 consacre la couverture de son livret estival à Antipodos, d’Ivan Argote. On y voit un personnage aux pieds retournés gravir la colonne Louis XVI surmontée par… rien. Louis XVI a disparu « grâce à un jeu de miroirs [qui] reflète le ciel environnant ». Seule une petite nuance dans le bleu du ciel témoigne du stratagème.

Une légende en caractères minuscules, au dos, avoue : « d’après esquisse ». L’installation réelle est plus modeste, et même franchement ratée. Elle a pourtant dû coûter une fortune, vu le matériel mis en œuvre. Le boîtage réfléchissant censé donner « l’illusion de disparition » de Louis XVI est parfaitement visible, même sur un ciel uniformément bleu, tandis que le personnage « défiant toute logique gravitationnelle » est maintenu à la colonne par un double cerclage métallique bien costaud.


Cerise sur le gâteau, le photomontage du Voyage à Nantes montre le personnage 60 % plus grand qu’il n’est en réalité, et fixé plus haut sur la colonne. Pas grave ? Non, sauf que cela illustre une fois de plus un certain j’m’en-fichisme du Voyage à Nantes : c’est toujours bien assez bon comme ça. On a acheté un concept irréalisable, on fait comme si la promesse était tenue. Et après tout, puisqu’une bonne partie de la presse veut bien se contenter de reprendre le communiqué officiel…


L’étrangeté, thème du Voyage à Nantes 2025, n’est pas tant dans Antipodos que dans l’évaporation marketing du Voyage à Nantes. Sa mission initiale était de faire de Nantes une destination touristique internationale. Que pensera l'éventuel visiteur étranger de « l’illusion de disparition de la sculpture de Louis XVI » ? Rien, puisqu’il n’a jamais vu ce qui est censé avoir disparu. Antipodos se résume pour lui à une statue grossièrement fixée à une colonne surmontée d’un tronçon de colonne décagonal réfléchissant. Bof.

On comprend que Sophie Lévy, nouvelle directrice du Voyage à Nantes, tienne à le faire savoir : l’édition estivale 2025 « a été conçue par Jean Blaise et les équipes projets ».

Voir article complet sur Nantes Plus :

https://nantesplus.org/le-voyage-a-nantes-devenu-simple-balade-dans-nantes-letrange-retraite/

Le Voyage à Nantes devenu simple balade dans Nantes : l’étrange retraité

17 juillet 2025

La culture, handicap de la nature à Nantes ?

 Le texte ci-dessous reprend un commentaire apporté au billet "Fini la culture, la nature c'est maintenant". Merci à son auteur, VertCocu, pour sa mise en perspective de la vocation « verte » de Nantes.

Il ne faut pas blâmer Johanna Rolland des manquements de Jean-Marc Ayrault.

Même du haut de mon adolescence, à la fin du siècle dernier, je remarquais que Nantes accordait au « vert » une place plus importante qu'ailleurs. Particulièrement en comparaison de ses « sœurs » Rennes et Bordeaux – et même de sa « cousine » Angers, qui a pourtant récupéré tout ce qui tourne autour de l'horticulture officielle au détriment de Nantes. Et triche avec son Lac de Maine.

Par « vert », j'entends un tilleul isolé et des carrés d'herbes de ci, de là. Pas forcément les parcs et squares, même si dans ces catégories, Nantes est tout à fait remarquable également.

L'épiphanie nantaise a eu lieu en 2006 quand Nicolas Hulot a fait un chantage écolo aux politiques, qui ont bien remarqué que cela plaisait aux citoyens. Jean-Marc Ayrault s'est rendu compte qu'artificialiser le moindre bout de pelouse pour faire plaisir à la CCI n'était peut-être pas si sage. Et il mettra beaucoup d'énergie, comme à son habitude, pour faire de Nantes la « capitale verte de l'Europe » en 2013.

Depuis, la municipalité est vigilante sur la question, sans malheureusement être innovante. Elle avait pris beaucoup trop de retard et n'est sauvée que par sa géographie de cours d'eau. Mais on peut tout de même regretter que, dans le sillage du tramway, même si l'écologie n'était pas forcémenten ligne de mire, Nantes ne soit pas devenue, toute proportion gardée, l'équivalent de Copenhague. Ou à défaut Strasbourg.

Elle a préféré se prendre pour Bilbao. Ce qui est d'autant plus imbécile que Jean-Marc Ayrault avait pourtant été mandaté par le Parti socialiste pour accompagner la disparition du caractère industriel de Nantes. Prendre le contre-pied en reincorporant du "naturel" n'était pas inimaginable dans les années 90.

À la décharge du Maugeois, Nantes est aussi la ville qui a comblé ses cours d'eau. Sous la pression de sa soi-disante élite, appâtée, comme tout bon chien de Pavlov, par la manne financière de l'Etat pour les travaux. On aura connu une quasi-répétition autour d'un aéroport.

Mais comme il est systématiquement impossible de dédouaner le professeur d'allemand (là encore, illusion d'une autre époque, déjà dans les années 80, les Allemands ne juraient que par l'anglais et délaissaient le français), on se souvient que dans les années 90, il y avait encore possibilité de décombler quelque peu. Volonté et idées citoyennes ne manquaient pas. L'argent sans doute. Mais on pourrait être curieux de savoir combien cela aurait réellement coûté au regard de l'argent jeté par les fenêtres dans le culturel qui, comme le disait un Nantais fameux « est à la Culture ce que le naturel est à la Nature, une pâle copie ».

Tenez. Apparemment, le dernier Royal de luxe, proposé dans ce qui ressemble à une certaine indifférence sorti d'une campagne d'affichage, ne ferait pas l'unanimité d'après la presse locale. (Lu aux devantures des tabacs.) Les temps changent. Comme toujours. Mais bien tard.

08 juillet 2025

Grande vague et petite bise au château de Nantes

Hoku… hoku… hoku n’hésitation, il faut aller voir l’exposition Hokusai au château des ducs de Bretagne (jusqu’au 7 septembre). Oh ! pas tant pour La Grande Vague (tout le monde l’a déjà vue mille fois et l’on en connaît dans le monde plus de cent tirages originaux) que pour la présentation d’ensemble de l’œuvre du génial artiste nippon.


Le musée du château n’a pas fait dans l’excès de zèle. Toute l’exposition provient d’un même petit musée japonais. Il n’a pas tenu à y superposer ses propres réalisations comme il l’avait fait avec Chevaliers. Il n’épuise pas le visiteur avec une accumulation de centaines d’œuvres comme l’avait fait le Grand Palais à Paris en 2014. Il n’a pas eu recours à un accrochage savamment compliqué : les estampes sont alignées comme à la parade au rez-de-chaussée, les dernières œuvres réalisées à Obuse sont groupées à l’étage, etc. C’est très bien ainsi. 

Il n’y a presque rien en trop. Juste quelques commentaires hasardeux sur le caractère prophétique de La Grande Vague (« Faut-il lire autre chose dans cette image ? » Et pourquoi pas dans toutes les autres, alors ?). Mais il y a quelque chose en pas assez. Hokusai est aussi un maître des estampes érotiques. Elles ont beaucoup fait pour sa réputation dans la France de la fin du 19e siècle. Ne les cherchez pas au château de Nantes.

Voir article complet sur Nantes Plus :

https://nantesplus.org/hokusai-au-chateau-des-ducs-de-bretagne-la-vague-sans-le-vagin/

Hokusai au château des ducs de Bretagne : la vague sans le vagin


Illustration : ChatGPT Image

27 juin 2025

Fini la culture, la nature c'est maintenant

Ce week-end, c’est à l’Ouest qu’il faut être ! Dès ce soir, même, au parc de Procé, avec l’inauguration de L’étoile verte, premiers pas, une rando jonglée et un spectacle « lumino-poétique ». Demain, ça se passe à Saint-Herblain, à Sautron et au val de Chézine, après-demain à Orvault et au parc de La Gaudinière. Vous avez dit Nuit du VAN ? Vous n’y êtes pas ! Ringard, le voyage à Nantes, l’heure est à la balade hors de Nantes.

La Goguette (à droite) n’est pas une petite gogue
(gros boudin additionné de légumes hachés)
mais le cœur itinérant des activités de plein-air de l’Étoile verte.

Avec  L’Étoile verte, premiers pas, l’Association culturelle de l’été fait profil bas, ou du moins pas trop haut. Malgré une profusion de manifestations, elle ne se pose pas en concurrente du Voyage à Nantes. Un peu de patience suffira. Toute longue route commence par un premier pas.

« Jean Blaise était un intuitif visuel, je suis plutôt une conteuse », avertit Sophie Lévy, qui lui a succédé. « J’aimerais approfondir le lien entre l’art et la nature, montrer que Nantes est une grande ville de nature, avec des fleuves, des rivières, une très belle lumière... » Ça tombe bien c’est ce que veut faire L’étoile verte. Fini la culture, au sens dégradé qu’elle a pris à Nantes, retour à la nature !

Voir article complet sur Nantes Plus :

https://nantesplus.org/letoile-verte/

L’Étoile verte : des balades en plus du Voyage à Nantes ?

 


26 juin 2025

Une histoire fichtrement ennuyeuse pour Le Voyage à Nantes et pour Fabrice Roussel, député de Loire-Atlantique

Voilà de quoi animer les coulisses du conseil métropolitain aujourd’hui et demain. La chambre régionale des comptes a publié cette semaine un rapport sur La Chapelle-sur-Erdre. À bien des égards, il n’est pas flatteur. Mais ce qui retiendra le plus l’attention est sa section 2.4.2 intitulée « Un projet mené avec le VAN source d’irrégularités et de dérives budgétaires ». Elle concerne la construction en 2021, au bord de l’Erdre, sur le site de La Gandonnière, d’une œuvre décrite comme « une construction de simples abris en bois et d’une rampe d’accès pour personnes à mobilité réduite ». Une réalisation en partenariat avec la SPL Le Voyage à Nantes.

Le maire de l’époque était Fabrice Roussel, et Fabrice Roussel était aussi président du Voyage à Nantes. Risque de conflit d’intérêt, note la Chambre, qui s’interroge aussi sur la nature du contrat entre la commune et la SPL. Mais le point le plus intéressant est la critique approfondie qu’elle fait de la commande de l’œuvre au collectif Fichtre – une commande effectuée sans mise en concurrence sous couvert de l’article R2122-3 du code de la commande publique (CCP). Cet article autorise les acheteurs publics à déroger au principe des appels d’offres quand les achats concernent une propriété intellectuelle. Pour la conception, d’accord, dit la Chambre ; pour la réalisation, en revanche, la construction des abris, ça ne fonctionne pas.

Rembrandt maçon (illustr. Bing créateur d'images)

Fabrice Roussel n’a pas dû être trop étonné par cette position. Président du Voyage à Nantes, donc, et aussi premier vice-président de Nantes Métropole chargé des grands équipements touristiques, avant son élection comme député de Loire-Atlantique l’an dernier, il avait pu lire avec intérêt en 2022 le rapport de la chambre régionale des comptes sur Saint-Sébastien-sur-Loire, en particulier sa section 6.4, « La réalisation de la Station Nuage a dérogé aux règles de la commande publique ». Même cause, mêmes remarques, qui avaient mené à une perquisition de la brigade financière à la mairie de Saint-Seb’ et au siège du Voyage à Nantes. L’enquête est en cours. On ne voit pas comment La Chapelle-sur-Erdre pourrait y couper.

« L’analyse ne doit pas consister en une analyse subjective de l’œuvre, elle doit consister plutôt dans l’analyse d’un processus qui a consisté à créer une œuvre d’art unique dans un lieu unique », plaide Fabrice Roussel dans sa réponse à la Chambre. Y croit-il lui-même ? Le 15 septembre 2022, Johanna Rolland et lui annonçaient l’abandon du projet d’Arbre aux Hérons pour deux raisons : l’augmentation du coût de l’acier et l’impossibilité de passer un marché unique en application de l’article R2122-3 du CCP.

Voir article complet sur Nantes Plus :

https://nantesplus.org/les-nuages-sur-le-voyage-a-nantes-et-sur-un-depute-sepaississent/

Les nuages sur Le Voyage à Nantes et sur un député s’épaississent

21 mai 2025

« Liberté, égalité, féminité », devise nantaise

La Ville de Nantes poursuit depuis quelques années « une politique de féminisation des dénominations de voies et d’équipements publics » : autrement dit, une politique de discrimination sexuelle. Le dire ainsi n’est pas politiquement correct, bien entendu, mais c’est l’évidence même. La municipalité nantaise, l’effectif de Nantes Métropole en est la preuve, n’est pas sexuellement égalitaire. 

Les noms de rue, à Nantes comme ailleurs, proviennent de lieux-dits (rue du Bois-Tortu…), de destinations géographiques (quai des Antilles…), de villes (rue de Strasbourg…), d’événements (esplanade des Victimes des bombardements des 16 et 23 septembre 1943…), de particularités géographiques (quai de la Fosse...), de professions (rue des Cap-Horniers…), d’industries (rue de la Brasserie…), d’institutions religieuses (rue du Chapeau-rouge…), de concepts pieux (boulevard de l’Égalité…), d’animaux (rue des Grenouilles…), de végétaux (rue des Clématites…), de lieux de batailles (rue de Valmy…), de nationalités (boulevard des Belges…), etc. 

Et aussi, pour un bon tiers, de personnages ‑ très majoritairement des hommes sans aucun doute. Cependant, aucun n’a été choisi en raison de son sexe. À tort ou à raison, on a retenu des artistes, des chefs d’État, des militaires, des savants, des médecins, etc. au titre d’œuvres, d’inventions, de victoires, de fonctions, etc. et pas parce qu’ils étaient des hommes. Nantes n’a même pas de rue Dieu le père. En fait, la seule voie de Nantes à porter un nom d’origine sexuée était autrefois la rue de la Rosière d’Artois.

Un peu de place aux femmes

Naguère, si l’on hésitait sur le choix d’un nom, c’était entre deux mérites, pas entre deux sexes. Nous sommes la ville d'Anne de Bretagne, quoi, et La Vie des femmes célèbres, écrit en 1504 à sa demande, est l'un des trésors du musée Dobrée. Les édiles nantais d'autrefois n’étaient pas hostiles aux femmes par principe. Ils en ont honorées qui n’étaient pas des « épouses de ». Qui sait que la dédicataire de la rue Bonne-Louise était une Madame Charrier ? Le mariage n’était d’ailleurs pas une condition. Une cour Moreau, dans la rue du Moulin, a porté le nom des sœurs Moreau, qui y tenaient une école maternelle, la rue Fanny-Peccot honore une généreuse célibataire qui légua sa fortune au bureau de bienfaisance, la rue Dudrézène, commémore l’auteure de Une vie manquée : souvenirs d’une vieille fille (j’avoue un peu de provoc’, là : l’œuvre de Sophie Ulliac-Tremadeure, alias Sophie Dudrézène, comprend surtout des romans pour la jeunesse et ses articles du Journal des jeunes personnes). 

Débaptiser des rues, déshabiller l’un pour habiller l’autre ? Refuser l’hommage d’une rue à un homme parce qu’il est homme pour le donner à une femme parce qu’elle est femme ? Ce serait courir le risque d’échanger une injustice contre une autre. Mais ce ne serait pas la première fois. À Nantes, la place Cincinnatus est devenue place de la Duchesse-Anne et la rue Montaigne est devenue rue Marie-Anne du Boccage. La rue Jeanne d’Arc a amputé la rue Moquechien en 1892. En sens inverse, on a aussi vu dans l’histoire de la Ville la rue des Bonnes-sœurs devenir rue de l’Union, le passage Sainte-Anne rue Brizeux, le pont Sainte-Catherine pont d’Orléans, la rue des Saintes-Claires rue Fénelon, la place Sainte-Elisabeth rue du Marchix, la rue des Ursules rue du Lycée, la rue de la Vierge rue Pérelle, etc. On soupçonne pourtant que c’était un signe de passion politique plutôt que de répression sexuelle.

Jules Ferry dans le collimateur ?

L’odonymie est un exercice délicat. En 1946, pour faire pendant à Roosevelt et Churchill, Nantes n’a pas honoré Staline mais… Stalingrad ! Chaque époque a ses propres pudeurs et ses propres engouements, que les suivantes doivent parfois traîner comme un boulet. Aujourd’hui, à quelles voies donnerions-nous un nom de général, un nom de saint(e), un nom d’aristocrate ? Honorerions-nous Colbert, rédacteur du Code Noir, Kléber, massacreur des Vendéens, Lamoricière, conquérant de l’Algérie, André Morice, maire rad’soc’ de Nantes mais constructeur de la ligne Morice pendant la guerre d’Algérie, l’amiral Courbet, qui guerroya contre la Chine pour garder à la France sa colonie du Tonkin ? Pour limiter les dégâts, nous en sommes réduits à apposer des déclarations de repentance à côté des noms d’armateurs du 18e siècle.

Faudra-t-il systématiquement expliquer, chaque fois qu'un nom est contestable,
qu'on l'a gardé quand même afin de pouvoir "assumer" l'héritage de l'histoire nantaise ?
Et puis, à partir de quand des déclarations outrageantes doivent-elles oblitérer des mérites matériels ? Comment imaginer un dédicataire plus louable que le docteur Alexis Carrel, chirurgien de pointe et prix Nobel de médecine ? Hélas, personne sans doute dans la municipalité nantaise n’avait lu L’Homme cet inconnu, vendu pourtant à 400 000 exemplaires en France, où il faisait l’éloge de l’eugénisme… Si Alexis Carrel a été privé de son boulevard, Jules Ferry, chantre de la colonisation (« Il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures »…), conserve sa rue. Pour le moment. 

Il n'est pas toujours nécessaire d’attendre longtemps pour se mordre les doigts. Johanna Rolland se félicitait voici trois ans d’inaugurer une place Abbé-Pierre. Les édiles nantais qui imposent aujourd’hui des noms de femmes sont-ils bien certains que leurs vertus resteront impérissables ? Dans les lotissements des banlieues-dortoirs, les nouvelles voies s’appellent plutôt rue des Mésanges ou allée des Glycines. C’est la sagesse même

12 mai 2025

Est-ce le stock de noms féminins qui s’épuise à Nantes, ou plutôt le « dialogue citoyen » ?

Nantes est une fois de plus en plein dialogue citoyen – vous le savez aussi bien que moi, naturellement. Le thème du moment est : « Noms de rues, place à l’Égalité ». Il s’agit de proposer de nouveaux noms à donner aux rues de la ville. On lit bien proposer : les citoyens proposent, la maire dispose – l’Égalité a des limites. La première partie du projet s’est déroulée du 24 mars au 21 avril. Tout un chacun a pu présenter ses propositions sur le site web dédié.

Ça sent un peu le réchauffé. Nantes avait déjà lancé une consultation sur le thème « Nom de rues, place aux femmes » début 2016. L’Égalité de cette année ratisse plus large, ou moins sexiste : si l’appel municipal porte d’abord sur des « noms de femmes qui ont marqué l’histoire locale, nationale ou internationale », il accepte aussi « des noms de personnalités, peu importe leur genre, engagées en faveur de la défense des droits humains » ‑ ou en tout cas de certains droits : « lutte contre le racisme, l’esclavage, les discriminations, en faveur des droits des minorités, etc. » Une Égalité à périmètre délimité, en somme, dont les Nantais ont compris le caractère rhétorique : ils ont proposé 359 noms pour la première catégorie, 119 seulement pour la seconde.

Comment féminiser un nom de rue à  Nantes : Acte I

En 2016, la catégorie « femmes » étant seule en lice, la Ville avait reçu 1 118 réponses ! On mesure la baisse d’enthousiasme des Nantais... D’autant plus que 28 % des propositions reçues cette année (132) proviennent en réalité d’un unique contributeur stakhanoviste. Il devance de très loin la numéro deux, à qui la Ville doit « seulement » 18 % des propositions (87). Le premier a écumé Wikipédia, la seconde a surtout recyclé en copier-coller les articles de son propre blog Médiapart. Cette dernière est aussi l’auteur de la plupart des rares commentaires (une vingtaine) déposés sur le site, sous forme de renvois vers son blog. On n’est jamais si bien servi que par soi-même.

Un contributeur a proposé une douzaine de patronymes ukrainiens. Un autre avance une vingtaine de noms parmi lesquels « La Séléné du Rocher », « La Cléopâtre de Jersey » et la « Rue des femmes du 12ème art ». Dix pour cent des contributions ont été déposées in extremis, le dernier jour de la consultation. Au total, 89 personnes ont répondu à l’appel à idées, soit environ 0,027 % de la population nantaise. Pour donner l’échelle, le conseil municipal de Nantes compte 69 élus. 

Ces inconnu.e.s qui ont déjà leur rue ou leur boulevard 

L’examen des 478 idées déposées est en cours dans les services de la ville jusqu’au 16 mai. Néanmoins, le résultat est apparemment acquis d’avance puisque, annonce déjà la Ville sur le site web du débat, « plus de 350 propositions sont recevables ». De 478 à 350, pourquoi un tel taux de chute ?

Un peu parce que certains noms sont proposés en double (Mahsa Armini, Catherine Bernheim, Hypathie d’Alexandrie, Alice Milliat, Cecilia Payne, Anne Sylvestre, Harriet Tubman, Élisabeth Vigée-Lebrun ; « La Séléné du Rocher » est aussi un doublon sophistiqué pour Claude Cahun), voire en triple (Frantz Fanon, Katherine Johnson). 

Et beaucoup parce que certains contributeurs n’ont pas pigé les règles fixées. Il n’y en a pourtant que deux. D’abord, les personnalités nommées doivent être décédées depuis au moins deux ans. Ce qui exclut par exemple « Roseline Bachelot (1964-2023), ancienne ministre de la culture », née Roselyne Narquin en 1946 et bien vivante à ce jour.

Comment féminiser un nom de rue à Nantes : Acte II
Ensuite, ces personnalités ne doivent pas être déjà honorées à Nantes. On s’imaginerait que le citoyen qui propose une allée Mme Untel ou un square Melle Duchmol s’intéresse assez aux susdites pour savoir si leur nom figure sur une plaque au coin d’une rue… Eh bien pas du tout. Parmi les personnalités proposées ces jours-ci, beaucoup ont déjà été honorées par Nantes, qui a donné leur nom à

  • une rue (Maya Angelou, Susan Brownell Anthony, Florence Arthaud, Barbara, Marcelle Baron, Anita Conti, Jeanne d’Arc, Jeanne de Belleville, Olympe de Gouges, Sophie Germain, Gisèle Giraudeau, Raymonde Guérif, Caroline Herschel, Miriam Makeba, Marie Marvingt, Louise Michel, Édith Piaf, Marie-Claude Vaillant-Couturier),
  • une allée (Madeleine Brès, Claude Cahun, Jacqueline de Romilly, Isabelle Eberhardt, Adélaïde Hautval, Françoise Héritier, Claire Lacombe, Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé, Lise Meitner, Marie Pape-Carpentier),
  • une ruelle (Lilla Hansen),
  • une venelle (Alexandra David-Néel, Françoise d’Eaubonne),
  • une avenue (Christine de Pisan, Émilie du Châtelet, Alice Milliat, Joséphine Pencalet),
  • un cours (Bertie Albrecht),
  • une place (Marion Cahour, Edmée Chandon, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Paulette Nardal, Suzanne Noël, Charlotte Perriand),
  • un boulevard (Gisèle Halimi, Martin Luther King),
  • un square (Marion Cahour, Virginia Woolf),
  • un pont (Anne de Bretagne),
  • une école (Françoise Dolto, Pauline Kergomard, Louise Michel, Alice Milliat), 
  • une salle de sport (Alice Milliat).

Soit une bonne cinquantaine d’errements : la voirie n’apporte pas forcément la notoriété… (Pour être juste, l’avocat de Françoise d’Eaubonne n’ignore pas que celle-ci est déjà honorée à Nantes ; il trouve juste qu’une venelle n’est pas un hommage à sa mesure.) Ainsi, ce n’est pas seulement la quantité d’idées qui baisse, c’est aussi leur qualité. Comme on l’a déjà vu avec d’autres consultations, par exemple à propos du pôle d’écologie urbaine, les Nantais ne croient plus guère au dialogue municipal.


Prochain billet : Liberté, égalité, féminité, devise nantaise

28 avril 2025

Par quoi remplacer le palais de justice de Nantes ?

Le sort futur du site actuel de l’Hôtel-Dieu est en discussion, mais il ne devrait pas y avoir photo : l’emplacement est idéal pour une cité judiciaire. Le palais de justice de Nantes est trop petit et ne pourraitêtre agrandi sans sacrifier des dizaines d’arbres. Donc c’est fichu, il faut le mettre ailleurs. La solution évidente est de le déplacer de 500 mètres vers l’autre rive de la Loire, où l’on aura dans deux ans tout l’espace voulu. La vraie question n’est donc pas « Que faire du site de l’Hôtel-Dieu » ? mais « Que faire du site du palais de justice ? »

Cet énorme bâtiment conçu en 1993 et achevé en 2000 a causé plus que sa part d’ennuis techniques. Certains le trouvent beau parce qu’il est signé d’un architecte connu, mais c’est un peu comme certains Picasso de la dernière période : la principale qualité de l’œuvre, c’est sa signature. Ceux qui le trouvent moche sont sûrement plus nombreux.


Surtout, c’est un non-sens urbanistique. Ce gros cube noir est l’antithèse de la Kaaba. On ne tourne pas autour pour l’honorer mais pour l’éviter. Il dresse un obstacle massif entre le centre-ville et un quartier qui aurait dû être celui de la création. Supprimons l’obstacle ! Et bâtissons sur ses ruines une place de la Création homothétique de la place du Commerce sur l’autre rive de la Loire.

Rien ne s’oppose à ce que les deux places soient reliées par un téléphérique. Et pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Il ne resterait qu’à prolonger le cheminement vers la pointe de l’île où un pont transbordeur déposerait les usagers à la porte du musée Jules Verne et du Jardin extraordinaire. Du délire ? Certainement beaucoup moins que de construire un CHU sur une île !

Voir article complet sur Nantes Plus :

https://nantesplus.org/hotel-dieu/

L’Hôtel-Dieu va devenir la Cité judiciaire de Nantes…












23 avril 2025

Johanna s’inquiète plus des dettes payées jadis par les Haïtiens que des dettes à payer demain par les Nantais

Commémorer, deux siècles après, la dette d'un pays étranger éteinte depuis longtemps : idée bizarre s’il en est. Johanna Rolland l’a eue cependant. Elle s’est associée à Pierre Hurmic et Jean-François Fountaine, maires de Bordeaux et de La Rochelle pour publier dans Le Monde une tribune sur l’ordonnance du 17 avril 1825 par laquelle Charles X a « concédé » à Haïti son indépendance.

La date cloche. Au 17 avril 1825, Haïti s’était libéré de facto depuis plus de trente ans et de jure depuis plus de vingt ans avec sa déclaration solennelle d'indépendance du 1er janvier 1804 ! Accessoirement, l’expédition Leclerc envoyée en 1801 par Napoléon pour reprendre le contrôle de la colonie avait été un échec sanglant. Alors, pourquoi cette ordonnance à retardement ? Parce que, Johanna Rolland semble l’ignorer, Haïti la demandait. Non pour obtenir son indépendance mais pour que celle-ci soit reconnue en droit international.


Ses dirigeants y tenaient tant qu’ils avaient proposé, en 1814, en 1821 et en 1824, de verser une indemnité au profit des colons dépossédés. Ils avaient proposé spontanément 80 millions de francs et en avaient accepté 100. Charles X avait réclamé 150 millions payables en cinq fois (« sous la menace militaire », affirme la tribune municipale... alors que la France était bien incapable de faire en 1825, dix ans après Waterloo, ce qu’elle avait été incapable de faire en 1801). Les trois maires évoquent donc « le versement d’une somme de 150 millions de francs or ». Comme s’ils ignoraient – on a peine à le croire – que, après un premier paiement de 30 millions, Haïti a obtenu que le solde de la dette soit ramené de 120 à 60 millions payables sur trente-neuf années sans intérêt.

Selon le New York Times, recopié sans discussion par Johanna Rolland, la valeur actuelle des versements faits par Haïti à la France en l’espace de soixante-dix ans est de 525 millions d’euros, soit environ 350 euros par habitant, pour une population moyenne de 1,5 million d’habitants  à l’époque. Est-ce peu ou beaucoup ? À l’évidence, c’était trop pour un pays ravagé par les guerres civiles. Reste que la dette de Nantes Métropole dépassait 1 061 millions d’euros à fin 2023, soit 1 550 euros par habitant (ce qui, il est vrai, n’est pas grand-chose à côté des 49 120 euros par tête de notre dette nationale).

Voir article complet sur Nantes Plus :

https://nantesplus.org/haiti/

La mémoire haïtienne de Johanna Rolland a des lacunes

18 avril 2025

Adieu à Denise Rigot-Dessirier

 Il y a des jours où le microcosme métropolitain paraît dénué du moindre intérêt. À quoi bon l’accabler de sarcasmes sur ses ridicules, ses petitesses et ses illusions ? La disparition de Denise Rigot-Dessirier la semaine dernière renvoie à de plus justes valeurs.

Denise était une grande poétesse. Une poétesse contemporaine aussi : l’électronique était devenue son mode d’expression naturel. Chaque jour ou presque, deux fois même certains jours, elle était présente sur Facebook. L’immédiateté du web répondait à la spontanéité de son œuvre. Oh ! comme tout un chacun, elle aspirait à la chose imprimée, elle y voyait une sorte de bâton de maréchal, elle espérait qu’un éditeur la découvrirait, qu’un jour son princeps viendrait. Chez Stellamaris, elle avait publié L’Enclos des jours ; ce joli recueil était aussi un enclos des pages. Elle, si sensible aux « cloches lourdes dans le soir ténébreux », à « l’ombre solitaire d’un arbre qui semble attendre un bout d’éternité », au « jardin secoué par l’orage », au « matin colorié comme un dessin d’enfant », ne pouvait être parfaitement servie par une encre figée.

Son talent à fleur de peau ne semblait jamais en repos. Elle créait sans relâche des visions saisissantes, si simples pourtant, faites de fragments de tous les jours – un gros bourdon, deux pluies diamantées, une femme aux voiles rouges, l’eau morte du bassin, un rêve de goudron… ‑ immédiatement reconnaissables comme siennes et néanmoins toujours renouvelées, jamais répétées. Elle ne se baignait jamais deux fois dans la même ode ! Et son style était libre comme elle ‑ libre mais jamais relâché, comme guidé par une sorte de common decency poétique. Sa versification se coulait dans l’inspiration du moment. Elle n’usait des rimes qu’autant qu’il lui convenait. Elle ne se revendiquait d’aucune école. Un spécialiste rattacherait peut-être son lyrisme du quotidien au surromantisme par lequel René-Guy Cadou désignait « une voix aussi éloignée de l’ouragan romantique que des chutes de vaisselle surréalistes ».

Denise (à gauche) et Gérard (3e à partir de la gauche) en 2015
avec des artistes russes sur les rives du golfe de Finlande

Elle était cependant guidée par une étoile polaire : son amour pour son mari, Gérard Rigot, artiste magnifique devenu peintre et sculpteur après avoir exercé cent métiers, fameux notamment pour ses meubles animaliers, qui lui ont valu une grande renommée et de nombreuses contrefaçons à l’étranger, encore aujourd’hui. Le cliché « couple fusionnel » a rarement été aussi juste. Ces dernières années, ils ne quittaient plus guère leur grande maison peuplée d’œuvres, de souvenirs et de rêves, mais les habitués du Flesselles d’avant le covid-19 ont certainement en mémoire la haute stature et la crinière léonine de Gérard côte à côte avec les boucles rousses et le sourire lumineux de Denise. Ils ne passaient jamais inaperçus. « Ces Français sont fous », s’amusait leur guide russe quand Gérard, largement octogénaire déjà, avait escaladé en compagnie de Denise, flasque de vodka en poche, les toits de Saint-Pétersbourg.

Gérard, multipliait inlassablement les portraits de sa femme. Jamais nommé pourtant, il tenait une place majeure dans l’œuvre de celle-ci. Beaucoup plus jeune que lui, Denise s’était laissée envahir par la crainte immanente du moment où il ne serait plus là : « Et je ne savais pas/qu’un jour tu serais vieux (…) Je t’ai cru éternel ». Il ne l’aura jamais démentie. Les derniers mots de son dernier poème, composé sur son lit d’hôpital, ont été pour lui : « Ô mon aimé. Ne m'abandonne pas. JE T'AIME. »