L’Éloge
de la transgression de Philippe Ramette exposé
cours Cambronne par Le Voyage à Nantes a déjà été montré
ailleurs, en particulier au Centre Georges Pompidou de Paris en 2011. Quid de
l’Éloge du pas de côté visible place du Bouffay, qui sert d’affiche à la
manifestation estivale ? Davantage original, il ne l’est quand même pas
tout à fait. Ramette a déjà présenté un Éloge du pas de côté à la galerie
Xippas de Paris en 2016. Le format était plus petit, le matériau différent, le
costume de l’autoportrait plus casual, mais le concept était exactement
identique, comme son nom.
Saisir un personnage dans un instant d’équilibre
transitoire est une idée vieille comme l’Antique : elle inspirait déjà le Discobole
de Myron voici vingt-cinq siècles. Si l’on veut des exemples d’équilibre sur un
pied, on en trouvera des quantités, tantôt gracieux (comme les Arabesques
d’Edgar Degas) tantôt plus robustes (comme le Sinnataggen de Josef Vigeland).
Mais ce qui intéresse le sculpteur, ici, n’est pas le mouvement, ni l’équilibre, ni la beauté. Peu importe que son personnage rigide et inexpressif s’apprête à
se casser la figure – en tombant à droite, horrible détail ! Son souci est
conceptuel. À propos de l’Éloge du pas de côté de 2016, Éric Simon, dans
le blog Actuart, écrivait qu’il continuait « une des réflexions chères
à Ramette, celle autour de la question du socle ».
Clairement, cette
réflexion se prolonge avec Le Voyage à Nantes – chère à Ramette, elle devient
coûteuse aux Nantais. « Dédié à la ville de Nantes, Éloge du pas de
côté rend hommage à la ville, à son engagement et à son rapport étroit avec
la culture », assure le cartel posé place du Bouffay. Qui oserait ne pas s'émouvoir devant tant de bonne
grosse flagornerie ?
Le jeu entre la statue et son socle est une idée rigolote
mais pas neuve. C’est un classique de la sculpture animalière et de l’art
funéraire, par exemple. Ce qui est nouveau, peut-être, chez Ramette, c’est
qu’il y va à la serpe, avec un clin d’œil appuyé, afin que le populo ne risque
pas de passer à côté. Chez lui, le socle n'est plus seulement un élément de l’œuvre mais son point focal.
Ses prédécesseurs traitaient l’idée de manière plus subtile.
Il n’est pas nécessaire d’aller bien loin pour le constater. Tous les Nantais connaissent par exemple le groupe de Charles Correia dont le socle forme un balcon
fictif sur la façade arrière du théâtre Graslin. Nos œuvres verniennes
illustrent aussi la « question du socle » :
- Le Buste de Jules Verne, de Georges Bareau, au Jardin des plantes, est juché sur un piédestal qui englobe lui-même deux statues, celles d’une femme et d’un enfant lisant les Voyages extraordinaires, assis sur leur propre socle.
- Le Michel Ardan, de Jacques Raoult, rue de l’Héronnière, repose sur un socle divisé en quatre parties qui prolongent comme des ailettes l’obus géant de De la Terre à la Lune.
- Le Jules Verne enfant d’Élisabeth Cibot, qui orne depuis 2005 la montée de la butte Sainte-Anne, est assis sur son socle en forme de banc (dans un mouvement moins raide que celui de l’autoportrait de Ramette).
Toujours à propos de socle, on ira voir L’Épave de
Paul Auban, dans le square Maurice-Schwob (le récif sur lequel la Bretonne
recueille le corps de son fils noyé), le Gorille enlevant une femme
d’Emmanuel Frémiet, au musée d’arts (un rocher sur lequel le grand singe hisse
sa proie), La Cigarière, de Jacques Raoult, à la
Manufacture des tabacs (des outils du métier), ou Aristide Briand, également de Jacques Raoult,
sur la place du même nom (une évocation de l’Europe). Mais personne n’a traité
la « question du socle » plus radicalement que Jean Fréour avec son Anne
de Bretagne, devant le château. De plain-pied avec ses sujets, la duchesse n’a pas besoin d’un piédestal
pour s’imposer.
Au fait, toutes ces sculptures ont un point commun : le
parcours du Voyage à
Nantes les ignore. Il s’acharne en revanche à signaler des
œuvres comme la Canadienne, qui dépare la terrasse du Un (étape 16), L’Absence,
qui aggrave l’état esthétique de l’École d’architecture (étape 19) ou le Cours
à travers, qui encombre les jardins de l’hôtel de ville (étape 49). Il
signale bien sûr le Jardin des plantes mais n’y voit, en fait de statues, que « quelques
oeuvres restées permanentes de l'artiste Claude Ponti, telles que les "Bancs processionnaires",
le "Banc géant" ou
le "Dormanron" une
sorte d'ours faisant la sieste sur la pelouse ».
Nantes, avant Blaise, n’existait pas. Éloge du pas de côté, soit, à condition de marcher en crabe le long de la ligne verte !
___________________________
P.S. Un lecteur (merci E.L.) signale cette statue de Charles La Trobe par Charles Robb installée à l’université Latrobe de Melbourne (Photo RB30DE sur Wikipedia) :